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Pour Chardonne, le bonheur est en Charente

> 16 novembre 2019

Pour Chardonne, le bonheur est en Charente

Barbezieux « chef-lieu de la littérature » écrit Raphaël Sorin.1 C’est le lieu du bonheur pour Chardonne.2 Jacques Chardonne (1884-1968), nom de plume de Jean-Jacques Boutelleau, a commencé sa vie de romancier comme un chouchou de l’édition, pour finir comme un paria des lettres, en raison de son comportement durant l’Occupation.3 Pour différentes raisons, Chardonne restera toujours l’écrivain préféré de François Mitterand, « le modèle », écrira-t-il.4 « Par esprit de clocher, peut-être. Je suis né à quelques lieues de sa maison et me suis beaucoup promené près de la « butte sablonneuse » où, pendant les vacances, avec Jacques Delamain, son ami et voisin, il écoutait le chant des oiseaux.»5 Il est évident que Barbezieux — une commune de la taille de Jarnac et située à peine à trente kilomètres au sud de celle-ci — chère à Chardonne, qui évoquait des souvenirs de jeunesse heureuse, la lumière si particulière en Charente, les rues et les maisons de pierres si blanches, les « brûlures de la mélancolie » ont laissé de profondes marques dans l’esprit de Mitterrand.5 Proximité géographique donc… proximité de milieu également…

La famille

Jean-Jacques Boutelleau naît le 2 janvier 1884 à Barbezieux-Saint-Hilaire, dans une famille de la bourgeoisie, une famille de négociants.6 « Quelle bonne odeur dans cet atelier de mise en bouteilles »… Si cette odeur est celle du cognac, n’est-elle pas aussi celle de l’argent ? « Ce parfum qui embaume tout un bâtiment émane de ce filet de cognac qui s’écoule d’un baril »…

La mère

La mère de Chardonne, Mary Ann Haviland, fille de David Haviland, porcelainier américain installé à Limoges,7 est trouvée, par son mari, « trop maigre et trop grande », dans sa jeunesse. Pour son fils, elle est tout simplement belle et comme Tante Emma, elle le restera jusqu’à sa mort qui ne surviendra qu’à un âge très avancé. « La beauté dure quand on n’y touche pas ». Pas très cosmétiques, ni pratiques esthétiques, ce Chardonne… Si Mary Ann était réellement maigre dans sa jeunesse, avec l’âge un embonpoint certain s’installa. Ce qui resta constant chez Mme Boutelleau, née Haviland, c’est un port de reine avec ce « visage bien modelé » et ce « beau front que surmontaient comme un diadème des cheveux relevés haut et poudrés ».

Le père

Il est peu question de Georges Boutelleau dans le Bonheur. Un soir, l’enfant « le vit se laver les mains longuement »… La famille était ruinée…

La tante Emma

Tante Emma était très belle et le resta dans sa vieillesse. « Son beau visage de camée un peu évanescent, ses fines narines […] rappelaient encore par des reflets blêmes le choc de la jeune Haviland enlevée à sa famille. » Sa pâleur extrême se manifestait sur ses « mains décolorées, presque diaphanes ».

L’oncle Charles

Charles Haviland accueille son neveu lors de séjours à Paris dans son petit hôtel particulier situé avenue de Villiers – excusez du peu. Chardonne en gardera le souvenir du « doux trottinement des chevaux, [du] léger tintement de leurs grelots », d’« un salon un peu étouffant et très orné » et d’une « odeur de caoutchouc » bien incongrue !

Les amours enfantines

Il y a Douce Lili, « un peu joufflue sous la mousse de ses cheveux blonds ». Il y aussi « des Jeanne et des Madeleine et des Suzanne »… mais il y a par-dessus tout « les jumelles » !

Les grandes personnes

Il y a M. Fauconnier. On sait de lui qu’il a « le crâne bien nu, entre deux touffes grises », qu’il jouait de l’harmonium et qu’il jugeait fortifiante un « breuvage ferrugineux » conservé dans une « carafe d’eau pleine de clous ».

Il y a aussi un professeur de piano « qui sortait de l’Ecole Niedermeyer » et avait « les cheveux roux tout hérissés ». Elève peu doué pour la musique ? Professeur trop peu pédagogue ? Echec !

Un autre professeur, de philo, cette fois, mais pas que d’ailleurs car il « enseignait aussi l’histoire, la géographie, la littérature », également remarquable par son capillaire, car il « laissait poindre derrière un monceau de livres sa chevelure pommadée. »

Quant au préfet de la Haute-Loire, il « passait nerveusement sa main brune sur ses cheveux crépus, coupés ras, sur son nez busqué et sa barbe de bédouin triste. »

A un concert qui se donnait au théâtre de Limoges, c’est une jeune femme au « teint mat, le nez légèrement busqué » qui retient toute l’attention de l’enfant. Une résille emprisonne « ses cheveux assez courts et plats comme ceux d’une petite fille. »

Une autre jeune fille est attirante : c’est la fille du sous-préfet, car elle « était bien jolie avec ses bandeaux noirs ». Sa beauté particulière « rappelait les pêches de vigne. »

Les cheveux donc paraissent avoir grande importance pour le jeune Jean-Jacques !

L’entrée dans la vie adulte

L’entrée dans la vie adulte, c’est, à cette époque, le service militaire. Pour Chardonne, ce sont des crises de toux à couper le sommeil des autres et le conseil d’un médecin : « aller passer un an au soleil de Tunisie. » Conseil radical pour celui qui était habitué à la lumière charentaise, si particulière et si douce.

Il faut relire Chardonne (faire abstraction de ses égarements passés)… un écrivain ne doit pas être jugé à ses options politiques, ses comportements moraux… ou pas, mais à la qualité de sa production littéraire. Lovons-nous dans la douce lumière qui ricoche passivement sur les maisons bourgeoises de pierres blanches, entre Jarnac et Barbezieux…

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette part des anges, en image !

Bibliographie

1 https://www.lexpress.fr/informations/barbezieux-chef-lieu-de-la-litterature_615202.html

2 Chardonne J. Le bonheur de Barbezieux, Stock Ed., Dijon, 1938

3 https://www.telerama.fr/livre/trois-raisons-de-relire-%28malgre-tout%29...-jacques-chardonne,n5890096.php

4 Winock M. François Mitterand, Gallimard Ed., 2015

5 François Mitterrand, Élie Wiesel, Mémoire à deux voix, Éd. Odile Jacob, 1995, p.13

6 https://republique-des-lettres.fr/11544-jacques-chardonne.php

7 https://www.haviland.fr/lhistoire/

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