> 14 septembre 2024
Lorsqu’il publie le recueil de nouvelles intitulé Maigret et l’inspecteur Malgracieux,1 du nom du premier récit de l’ouvrage, en 1947, Georges Simenon sait bien que le cosmétique n°1 de l’époque est une certaine poudre de riz, qui est appliquée dès le matin et remise, par petites touches successives, tout au long de la journée. Un produit cosmétique qui permet d’éclaircir le teint, de masquer les imperfections, de boire la sueur et le sébum et donc, ainsi, d’éviter de briller ! Un cosmétique employé dans de nombreuses circonstances, mais peut-être pas quand même quand on vient tout juste d’apprendre que son mari s’est suicidé. Un meurtre maquillé en suicide. Maquiller est ici le terme qui convient le mieux. Une poudre de riz… qui mène à l’échafaud. Il fallait avoir l’œil !
On s’explique…
Si Maigret est sur le coup, c’est grâce à son neveu Daniel. En effet, celui-ci travaille à Police Secours et son cher Tonton ne boude pas son plaisir, lorsqu’il quitte une PJ ennuyeuse pour venir taper l’incruste dans le service voisin.
Un appel retentit. Un homme a crié dans une borne : « M… pour les flics ! », avant qu’un coup de feu ne retentisse. Un certain Michel Goldfinger, diamantaire, est retrouvé, sur le trottoir, à deux pas de chez lui, une balle dans l’oreille, un sachet rempli de petits diamants dans le portefeuille.
Pourquoi se suicider en invectivant la police avec le mot de Cambronne ? Bizarre…
Sur les lieux, Maigret retrouve l’inspecteur du quartier, un dénommé Lognon, surnommé Malgracieux, tant son tempérament peu avenant est connu de tous. Il est connu de Maigret, cet inspecteur Lognon, pour avoir la poisse. Il fait partie, en tout cas de la grande famille de la PJ !
La femme du mort se prénomme Mathilde ; il s’agit d’une « brune assez grasse, aux yeux presque noirs », que la mort de Michel laisse apparemment assez froide !
Elle était au lit, malade, au moment du drame. Sa sœur Eva peut en attester. Son mari est sorti pour un rendez-vous (apparemment bidon) et s’est donné la mort quelques minutes après.
L’histoire semble convenir à la veuve, qui est loin d’être éplorée.
Dans les jours qui suivent, Mathilde continue à jouer les malades. Pourtant, quand Maigret frappe à sa porte, la femme, qui dit sortir tout juste du sommeil, présente « la coiffure aussi nette qu’une dame en visite ». Son épiderme porte même des traces de poudre de riz qui intriguent fort Maigret.
« Tout au plus viens-je vous poser quelques questions… Un instant… Où est votre poudre ? »
La femme, suffoquée, interroge : « Quelle poudre ? »
La poudre de riz, évidemment, celle qu’elle a utilisée pour uniformiser son teint. Mathilde, « fraîchement poudrée », se voit dans l’obligation d’emmener le commissaire dans le « cabinet de toilette » où se trouve, sur la « tablette » la fameuse boîte !
Grâce à ce détail, tout s’éclaire dans l’esprit de Maigret. Mathilde a un amant (un bellâtre du nom de Mariani, qui a travaillé dans l’équipe de Maigret avant d’en être viré !) qui a liquidé le mari ; tous deux vont devenir riches, grâce à l’assurance contractée un an auparavant.
La belle sœur du mort, Eva, est une jeune fille « blonde aux yeux bleus », que la mort de Michel semble désespérer. Eva était visiblement très amoureuse de son beau-frère.
Tout de suite, Maigret sent qu’il va se régaler avec ce trio, composé d’un mari, de sa femme acariâtre et d’une belle-sœur au cœur tendre. « C’était une de ces affaires dont l’odeur lui plaisait, qu’il aurait aimé renifler à loisir jusqu’au moment où il en serait si bien imprégné que la vérité lui apparaîtrait d’elle-même. »
Après avoir passé la nuit à renifler sur la scène de crime et dans l’appartement de la victime, Maigret retourne chez lui pour une toilette approfondie. « Il prit un bain, suivi d’une douche glacée […] ».
Durant cette enquête, Maigret reste en retrait, par délicatesse. C’est Lognon qui est arrivé le premier sur le terrain, c’est à lui que revient l’honneur de boucler l’enquête.
Afin d’obtenir les renseignements indispensables, Maigret doit donc user de diplomatie pour que Lognon lâche les bonnes informations sans prendre la mouche. « Du baume. De la pommade. Beaucoup de pommade pour adoucir les blessures d’amour-propre de l’inspecteur Malgracieux. »
Parallèlement à l’affaire Goldfinger, Maigret est sur la piste d’un « escroc international spécialisé dans le lavage des chèques et des titres au porteur […]. » Un bel homme à monocle qui résiste des heures, avant de passer aux aveux.
Maigret a flairé la bonne piste du meurtre prémédité. Il a également senti l’odeur de la poudre de riz qui trahit… Mathilde n’est pas nette. Elle y est visiblement pour quelque chose dans la mort de son époux. Lorsque Lognon met la main sur Mariani dans l’immeuble-même des Goldfinger, l’intuition du commissaire est confirmée. Ces deux-là font une belle paire d’escrocs. Poudre de riz pour l’échafaud ! C’est sans doute ce que Maigret a murmuré dans son lit en s’endormant le soir du jour où ont été pincés ensemble les deux amants !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Simenon G., Maigret et l’inspecteur Malgracieux, Presses de la cité, Paris, 1983, 185 pages