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Plutarque, à l’origine de la slow attitude

> 14 avril 2018

Plutarque, à l’origine de la slow attitude On connaissait le slow, cette danse qui se pratique au ralenti et sans règles bien définies. Depuis quelques années, on découvre la slow attitude, une manière de vivre qui consiste à ralentir ses activités quotidiennes, pour diminuer le stress et augmenter la qualité de vie (https://www.huffingtonpost.fr/sandrine-v/jai-fait-de-la-slow-attitude-mon-nouveau-mode-de-vie_a_21597813/). Slow food, slow travel, slow médecine (oui, oui, cela existe), slow cosmétique... tout et le reste se déclinent désormais en mode escargot !

Ce que beaucoup de gens ignorent c’est que la slow attitude n’est nullement un mouvement récent. Certains philosophes, dont Plutarque, ont posé les bases de cette belle philosophie dès l’Antiquité. Se mettre à l’écoute de son corps, manger avec pondération, boire de l’eau claire plutôt que des vins capiteux, se baigner à bon escient, écouter sa raison plutôt que ses sens… Plutarque fait appel au bon sens du lecteur bien décidé à devenir centenaire.

Médecin et philosophe, Plutarque part en guerre contre l’usage des vomitifs et des purgatifs (ces médicaments « détraquent le corps » plus sûrement qu’ils ne l’arrangent) qui seront, pourtant, et pour longtemps, à la base des pratiques médicales et qui seront appréciés tant des médecins que des patients. Il n’est que de rappeler les purges aux melons et aux fraises de Mme de Sévigné (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/conseils-medicaux-et-esthetiques-a-la-sevigne-369/) et les envies de purges de la belle Joséphine assouvies avec réticence par son médecin personnel, le célèbre Dr Corvisart (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/dans-l-intimite-de-josephine-bonaparte-575/).

Plutarque part également en guerre contre l’usage des bains, dans un essai destiné à faire savoir à ses lecteurs « Comment rester en bonne santé » (Rivages poche - petite bibliothèque, Eds Payot & rivages, Paris, 2016, 107 pages). La notion de « bain inopportun » revient de façon récurrente dans les propos de celui qui préconise la modération en tout. « Ne pas manger jusqu’à satiété », « ne pas travailler jusqu’à l’épuisement » constituent le b.a.-ba du régime mis au point par le philosophe.

Suivons, aujourd’hui, Plutarque et sa slow philosophie pour une vie sereine et en bonne santé.

Règle n°1 : Prudence en ce qui concerne la pratique du bain... Toute personne saine est un malade en puissance. Pour être prêt à adopter la bonne attitude en cas de maladie, la personne « saine » (ou malade en devenir) doit, s’habituer au régime préconisé en cas de maladie. Bouillon léger, viandes maigres, poissons... le tout arrosé d’eau et agrémenté de légumes frais. Le jour venu, point de dégoût pour ce régime connu et reconnu ! Espacer les bains... Inutile de se baigner systématiquement tous les soirs, avant le dîner. « Ainsi, il ne faut pas se reprocher de venir parfois à table sans s’être baigné, de prendre de l’eau alors qu’il y a du vin, de boire chaud en été alors qu’on a de l’eau glacée à portée de main. »

Règle n°2 : Se méfier du bain... « Un bain a aussi tué bien des gens qui n’allaient pas si mal à l’origine, sauf qu’ils ne pouvaient supporter ou accepter de manger sans s’être baignés. » Le bain pouvant être meurtrier, il est bon d’avoir la force de caractère de s’affranchir de cette coutume néfaste. Plutarque expose le cas d’un lutteur nommé Régulus qui trouva la mort après un bain matinal en compagnie de l’empereur Titus (celui-là même qui fut à l’origine de la coupe de cheveux mise à l’honneur durant la période de la Révolution française) suivi d’une coupe (de vin ?). Pour complaire à l’empereur, Régulus meurt d’apoplexie !

Règle n°3 : Le bain, source de plaisir fugace, est à pratiquer avec modération. Débauche alimentaire, débauche des sens, tout excès doit être combattu vigoureusement. Epices et condiments qui excitent les papilles sont comparables aux aphrodisiaques qui stimulent les sens. Lorsque les symptômes annonciateurs de maladie se profilent à l’horizon, certaines personnes sont tentées de se jeter une ultime fois dans la débauche avant de se soumettre à un régime strict. « [...] mus par la gloutonnerie et le goût du plaisir » les moins avisés « se ruent aux bains [...] » comme s’il fallait emmagasiner un maximum de plaisir avant la disette qui s’annonce. Tel l’avare qui laisse couler l’or entre ses doigts pour profiter physiquement de sa richesse, le sujet déraisonnable se constitue un capital de plaisir dont il pourra jouir quand les mauvais jours seront venus. Il prend « des risques en se précipitant au bain ou à la table. »

Règle n°4 : De l‘importance de la température du bain... « Prendre un bain froid après avoir fait de l’exercice est une pratique moins saine qu’ostentatrice et puérile. » Le froid resserre les pores, alors même qu’il est nécessaire de les ouvrir afin de chasser les miasmes. Le bain chaud, en revanche, est paré de nombreuses qualités : défatiguant, facilitateur de la digestion par une action de dissolution des aliments... La friction « d’huiles tièdes », dans une ambiance chaleureuse - près du feu, par exemple - semble la panacée.

Règle n°5 : Un bain de temps en temps, pourquoi pas ? Mais surtout sans savon. Lorsque Plutarque veut faire prendre conscience à son lecteur de l’aberration qui consiste à utiliser des vomitifs, il prend l’exemple du savon qui abîme le linge. « De même que le linge frotté avec de la lessive et du savon s’use plus vite que celui qu’on lave à l’eau claire, les vomissements provoqués par les médicaments altèrent et détériorent le corps. »

Tout comme Sénèque qui débusque le vice au « voisinage des bains, des étuves et des lieux qui redoutent la présence de l’édile » (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/seneque-l-ennemi-des-cosmetiques-333/), tout comme Jean-Jacques Rousseau qui condamne les commodités qui ne servent qu’à « s’amollir le corps et l’esprit » (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-beaute-a-l-origine-de-tous-les-maux-ou-la-beaute-selon-rousseau-jean-jacques-bien-sur-pas-le-douanier-347/), Plutarque ne semble guère sensible à ce qui a trait à la toilette et aux cosmétiques d’hygiène.

Si une certaine hygiène de vie est nécessaire, ne boudons toutefois pas les plaisirs de la table et suivons Sénèque et son attirail cosmétique. Pour ne pas empester notre entourage : « C’est pour cela que nous avons l’eau, l’huile, les mains, le linge, les brosses, la soude, avec tout le reste de l’attirail pour nettoyer le corps. » (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/epictete-ou-l-attirail-cosmetique-indispensable-426/)

Reconnaissons les limites de la slow cosmétique, une branche de l’industrie cosmétique aux règles « non définies » qui confond « lenteur » et « qualité » (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/ce-n-est-pas-parce-que-l-on-va-lentement-que-l-on-va-bien-la-slow-cosmetique-une-pratique-qui-flirte-avec-la-therapeutique-80/) !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous invite, à la suite de Plutarque, à prendre notre temps... tout au moins ce week-end !

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