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Plaidoyer en faveur des hommes forts et bronzés sur fond de roman d’espionnage !

> 09 août 2020

Plaidoyer en faveur des hommes forts et bronzés sur fond de roman d’espionnage !

Anne Beddingfeld est la fille d’un éminent savant qui a passé toute sa vie, penché au-dessus des restes « d’hommes primitifs », sans jamais vraiment se soucier d’autres choses.1 Tout juste orpheline, elle est bien décidée à quitter son village natal afin de gagner Londres et d’y vivre, si possible, des aventures palpitantes. Effectivement, le métro londonien s’avère un cadre propice à l’aventure, puisqu’un homme qui sent terriblement la naphtaline - une odeur qui porte sur les nerfs - tombe du quai et meurt sur le coup, sous ses yeux. Nous sommes le 8 janvier 1922. Lorsqu’un faux-médecin (sa façon d’ausculter l’accidenté ne laisse aucun doute à ce sujet) que l’on appellera « l’homme au complet marron » entre en scène, Anne comprend qu’en suivant sa piste elle risque de vivre des moments forts, très forts. Un papier qui s’échappe d’une poche, un texte codé et voilà Anne embarquée sur le Kilmorden Castle, un paquebot qui fait route vers l’Afrique du sud. Anne qui rêve de la Rhodésie depuis toujours va être servie !

Dans l’un de ses premiers romans, Agatha Christie se plaît à jouer les entremetteuses afin de tirer Anne Beddingfeld de la grisaille de sa vie. Avant de trouver l’amour, Anne va devoir échapper aux griffes des méchants, avec pour seule arme une houppette et une boîte renfermant de la poudre de riz.

Nadia, une danseuse russe trop maquillée en quête d’ennuis

Nadia est une danseuse russe, membre d’un réseau de malfaiteurs dont le chef se fait appeler « Le colonel ». Elle se parfume avec un parfum « exotique et étrange ». C’est une femme « brune, avec un visage très blanc, plus blanc que nature [...] et une bouche » peinte sans grande délicatesse. Elle a décidé de faire chanter le colonel... Mauvaise idée, évidemment. Nadia n’est pas de taille à lutter. Elle sera assassinée dans la villa de Sir Eustace Pelder. L’assassin présumé, un homme « de grande taille » « aux épaules larges » « au visage bronzé » et aux yeux marrons est « rasé de frais » et porte un complet marron.

Anne Beddingfeld, une jeune fille anglaise en quête d’aventure

Anne rêve depuis toujours d’hommes « forts et bronzés » avec une prédilection marquée pour les Rhodésiens. Cette jolie jeune fille a plus d’un atout à son actif. D’abord, de magnifiques cheveux « noirs, pas châtain foncé, mais du noir le plus noir » qui l’enveloppent « comme dans un manteau noir jusqu’aux genoux » dès lors qu’elle fait glisser les épingles qui retiennent son chignon. Puis des yeux verts « comme des rayons de soleil dans une forêt noire. ». Enfin, « les plus jolies jambes qui soient ». Selon les circonstances, elle peut jouer les petites filles sages un « chignon le plus démodé » du monde sur la tête ou bien se muer en femme fatale. Dans ce cas, quelques cosmétiques sont nécessaires. « Puis je défis mon chignon d’orpheline et je laissai flotter mes cheveux. Je me poudrai abondamment, pour faire paraître ma peau plus blanche encore. Déterrant un vieux bâton de rouge, j’en frottai vigoureusement mes lèvres. A l’aide d’un bouchon brûlé, je noircis mes yeux. » Sur le Kilmorden Castle, l’aventure commence lorsque « l’homme au complet marron » se réfugie, blessé, dans sa cabine. Anne fait face à ses poursuivants avec beaucoup de sang-froid ; quand elle apparait à sa porte un « chignon hideux » au sommet du crâne et un « morceau de savon » à la main, il est hors de doute que la passagère est surprise en pleine toilette du soir.

Suzanne Blair, une femme du monde en quête de poudre de riz 

Suzanne est une femme de 30 ans, de « taille moyenne », aux « yeux bleu lumière ». Elle est ravissante, très riche et très chic - dans toutes les acceptions du terme. Rencontrée sur le pont du Kilmorden Castle, Suzanne devient la confidente d’Anne et son alliée la plus sûre. Suzanne raffole des cosmétiques et n’est jamais aussi bien qu’après une « double application » d’une « crème de beauté spéciale », qu’il n’est pas si facile que cela de se procurer. Pour se rafraichir, elle utilise de l’eau de Cologne et se poudre, tout naturellement, le visage, comme toutes les femmes de son époque. Sa poudre de riz vient de Paris, comme on peut s’en douter. « Je n’en aurai bientôt plus, et on n’en trouve qu’à Paris, de cette poudre-là. Paris ! »

L’homme au complet marron, un homme du monde en quête de réhabilitation

L’homme au complet marron est reconnaissable par la « cicatrice profonde traçant une diagonale de l’oeil à la mâchoire ». Il se nomme, selon les circonstances, Harry Rayburn, Harry Lucas ou John Harold Eardsley. Il est extrêmement séduisant et ne rêve que d’une chose : laver son honneur bafoué. Accusé à tort d’un vol de diamants, Harry a décidé de tout mettre en œuvre pour vivre à nouveau la tête haute !

Le révérend-père Chichester, un malfrat en quête de déguisement

Cet homme est un comédien accompli, totalement dévoué au colonel. Il peut aussi bien se déguiser en homme d’église, en femme de chambre ou en sténodactylo (une certaine Miss Pettigrew aux grands pieds !). Une simple perruque ajustée comme il faut et Chichester joue les caméléons à volonté.

Pagett, un parfait honnête homme malgré une tête d’assassin

Une tête d’assassin, ce Pagett. Et pourtant un parfait honnête homme qui joue le rôle de secrétaire de Sir Eustace depuis des années. Il « sue le mystère par tous les pores », mais n’a qu’une seule chose à cacher. Il est marié et père de 6 enfants et n’a jamais voulu avouer cela à son patron... Drôle de type...

Le colonel Race, le type même du Rhodésien et, soit dit en passant, le chouchou de la romancière

Ne nous y trompons pas, le colonel Race n’est pas le méchant colonel, chef des malfaiteurs, mais un membre éminent des services secrets. Il s’agit d’un homme de 40 ans, de « haute taille », « aux cheveux foncés et au visage hâlé ». Il peut être estampillé « Rhodésien fort et bronzé », selon le système de catégorisation d’Anne. On peut le définir comme « une espèce de beau ténébreux, un de ces hommes forts et bronzés dont sont entichés les jeunes filles et les vieilles romancières ».

L’homme au complet marron... un violent parfum d’aventure !

Dans ce roman policier, Agatha Christie mène parfaitement bien sa barque ou plutôt son paquebot. Tout s’enchaîne au mieux. De fil en aiguille, elle nous tricote une belle histoire romantique où le faux assassin flirte avec la gentille orpheline en mal d’aventures. Evidemment, tout finit bien, sous le chaud soleil africain. L’homme au complet marron déjoue les plans des malfaiteurs menés par un Sir Eustace qui cache parfaitement bien son jeu. Harry Rayburn, qui en réalité est le riche héritier d’une noble famille anglaise, enlève Anne ; les deux tourtereaux peuvent alors filer le parfait amour dans une île déserte. Une vie à l’état sauvage, loin du brouhaha des grandes capitales. Et pour couronner le tout, un petit garçon qui court sur la plage en tenue d’Adam ! « Il ne porte rien, ce qui est le meilleur costume en Afrique et il est tanné comme un cuivre. C’est vraiment l’homme au complet marron ». Un plaidoyer pour le soleil, publié dans les années 1920, à une époque où l’on ne connaît pas encore très bien ses effets néfastes sur la peau !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette Agatha Christie... en complet marron !

Bibliographie

1 Christie A. L’homme au complet marron, Librairie des Champs-Elysées, 251 pages

 

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