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Pilote d’avion, le métier qui combat les rides de l’intérieur !

> 22 juin 2019

Pilote d’avion, le métier qui combat les rides de l’intérieur !

Dans les années 1930, Antoine de Saint-Exupéry fait paraître Courrier sud,1 un ouvrage qui montre la solitude du pilote et son incapacité à se frotter aux choses terrestres. Dans les années 1970, Jacques Dutronc, dans un registre beaucoup plus léger, s’imagine, non pas aux commandes d’un avion, mais au sommet de talons hauts, dans la peau d’une hôtesse de l’air. Si les préoccupations de l’écrivain et celles du chanteur semblent différentes, tous deux ont, toutefois, une fascination pour la vie en « altitude », là où l’on peut « voir le bas d'en haut ».

Vu d’en haut, le monde est tout de suite mieux. Tout paraît à sa place, mieux rangé qu’une chambre d’enfant modèle. « Rangé comme dans sa boîte, la bergerie. Maisons, canaux, routes, jouets des hommes. »

Vu d’en haut, le monde appartient à celui qui le contemple. Jacques Bernis est « propriétaire » de l’univers qui défile sous sa carlingue. Il transporte un « courrier précieux », « plus précieux que la vie ». C’est, en effet, 30 000 lettres qui sont ainsi véhiculées et qui vont relier des individus, les uns aux autres.

Lorsque Jacques Bernis est en bas, rien ne va plus. Dans son « veston » qui sent le « camphre », l’aviateur, redevenu piéton, a bien du mal à naviguer sur le plancher des vaches. Il se sent « engourdi, maladroit ». Sans ses ailes de géant, il ne sait plus se déplacer ! C’est un « revenant » pour ses amis qui ne le voit que de loin en loin. Il se sent « lourd comme un portefaix », dès lors qu’il n’est plus porté dans les airs. Au milieu d’une piste de danse, il semble aussi désorienté qu’un marin breton qui aurait perdu sa boussole. Une danseuse, rencontrée dans un bar, lui apparait les « cheveux collés par la sueur », « une ride creusée dans le fard ». Cette femme était pourtant belle lorsqu’elle était en mouvement. Lorsqu’elle se pose à côté de Bernis, la magie a disparu ! Sa mise est « défraichie » et ses gestes sont malhabiles. Du côté de Geneviève, ce n’est guère mieux. Une aventure ratée se traduit, pour la jeune femme en question, par un retour à la case-mari, en moins de deux. Geneviève est décidément trop « cramponnée » à sa vie d’avant (« à ses draps blancs, à son été, à ses évidences »).

D’escale en escale, Jacques Bernis est victorieux d’un combat dans lequel il remet son titre en jeu en permanence. Ce boxeur, qui ne se plaît que les gants de boxe aux poings, est un homme qui obéit aux ordres (« Vous ferez ce qu’on vous dira. »). Chaque vol constitue, pour lui, une aventure unique qui le classe dans la catégorie des surhommes. Alors, comment dans ces conditions arriver à vivre, au jour le jour, dans un univers tellement rétréci qu’il est impossible d’y respirer sereinement ? « Il sortait de la nuit comme un égoutier de sa caverne avec ses bottes lourdes, son cuir et ses cheveux collés au front. »

Le métier de pilote d’avion est, pour Bernis, le cosmétique anti-âge le plus sûr. Le paysan, l’homme de la terre qui se brûle aux rayons du soleil, porte, « dès 30 ans » « toutes ses rides pour ne plus vieillir ». Son travail quotidien, monotone, répétitif le condamne à une vie usante. Le pilote, en revanche, « porte dans les mains l’avion en équilibre comme un bol trop plein ». Cet équilibriste, qui trouverait parfaitement sa place dans une troupe de cirque, est un éternel enfant qui ne vieillit pas. Chaque vol est unique. Chaque nuit est l’occasion de repartir à zéro.

Saint-Ex et Dutronc sont dans un avion... un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour sur laquelle vous n'hésiterez pas à cliquer pour l'agrandir !

Bibliographie

1 de Saint-Exupéry A. Courrier sud, Gallimard, 189 pages

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