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Peut-on être une bonne mère lorsque l’on ignore le b.a.-ba cosmétique ?

> 13 novembre 2022

Peut-on être une bonne mère lorsque l’on ignore le b.a.-ba cosmétique ?

Avec Le sagouin,1 paru en 1947 François Mauriac nous pose une question très simple. Peut-on être une bonne mère lorsque l’on ignore le b.a.-ba cosmétique ? Avec un exemple dont il a le secret (ça sent le vu, le vécu), François Mauriac y apporte une réponse claire et nette. Non ! Un tel mépris cosmétique traduit forcément un problème psychologique grave. Une telle ignorance du geste qui rend belle traduit forcément un souci affectif de taille. Avec Paule, Galéas et Guillaume, François démontre, faits à l’appui, qu’une telle monstruosité ne peut qu’engendrer un drame !

Guillaume, le sagouin, une âme propre dans un corps sale

Guillaume (Guillou pour les intimes !), est un jeune garçon âgé de 12 ans qui a déjà été renvoyé de 2 collèges successifs. Méprisé par sa mère pour la simple raison qu’il fait encore pipi au lit, c’est dans la lecture qu’il trouve sa consolation. C’est également auprès de sa vieille bonne qu’il trouve l’amour dont sa mère le prive. Son père, un homme faible et sa grand-mère, une femme de fort tempérament, sont en guerre contre Paule, la mère dénaturée qui ne fait que rudoyer son enfant.

Un enfant laid et sale d’aspect extérieur (un nez qui coule en permanence n’est pas en sa faveur), bon et propre, vu avec les yeux de l’intérieur. Sensible, attachant, aimant, Guillaume partage avec l’instituteur du village la passion de la lecture. Cet enfant disgracié par la nature est loin d’être bête !

Chez l’instituteur, Guillaume découvre la chambre d’un enfant aimé, une chambre coquette où livres et jouets sont bien rangés. Rien à voir avec le réduit qui lui tient lieu de chambre, un réduit qui sent mauvais (« L’odeur y régnait de Melle Adrienne, chargée d’entretenir le linge du château, et qui y passait les après-midis. ») !

Chez l’instituteur, Guillaume hume, avec délectation, « l’odeur d’encre et de colle », l’odeur de livres, qui habite les lieux. Pourtant, cette expérience sera de courte durée… L’instituteur ne réitérera pas l’expérience…

La vieille baronne, une âme un peu grise, pas très propre

La grand-mère, la belle-mère donc, connaît bien les limites de son fils Galéas et de son petit-fils, Guillaume. Là-dessus, aucun doute. La baronne, qui vit avec ces derniers, ne se fait pas d’illusions sur leur capacité à « réussir » dans la vie. Des êtres à part… Rien de commun avec sa fille Yolande (devenue Mme la Comtesse d’Arbis) et avec sa petite-fille Danièle, la fille du regretté Georges (fils défunt de la baronne). En créant un climat de tension avec sa belle-fille, la baronne alimente le foyer qui brûle son intérieur.

La baronne Galéas de Cernès, une âme franchement sale

Paule de Cernès est mariée avec Galéas depuis 13 ans. Elle a maintenant 49 ans. Nièce de Constant Meulière, un ancien maire de Bordeaux, Paule n’a vu dans le mariage qu’une technique infaillible afin de pouvoir se prévaloir d’un titre de noblesse. Bien évidemment, Paule est en guerre avec sa belle-mère.

Physiquement, elle n’a rien de très séduisant. Le « teint jaune », un « point de beauté parmi un duvet noir ». Pour le moral : un tempérament de feu… Lorsque Paule est en colère, elle s’enfuit pour parcourir, les environs, à grandes enjambées ; elle en revient suante et odorante. Toute la maisonnée sait, parfaitement, qu’à son retour, elle sentira « la transpiration » !

Pas coquette pour un sou, Paule ne fait aucun effort d’ordre esthétique. Même lorsqu’il s’agit d’aller demander à l’instituteur du village de prendre en charge l’éducation de son fils, Paule n’use d’aucun artifice féminin. C’est, donc, brute de brute qu’elle se rend à l’école… « Une autre femme eût longuement choisi la toilette qui convenait à une démarche de cet ordre. Elle se fût en tout cas appliquée à tirer le meilleur parti de son apparence physique. La pensée ne vînt même pas à Mme Galéas de poudrer sa figure, ni de rien tenter pour rendre moins apparent le duvet brun qui recouvrait ses lèvres et ses joues. » C’est donc telle une femme à barbe du cirque Barnum que Paule se propose d’aller quémander l’aide de l’instituteur. « Elle aurait pu supposer que l’instituteur inconnu était, comme la plupart des hommes, sensible aux parfums…Mais non : sans plus d’apprêts que de coutume, aussi négligée que jamais, elle allait tenter sa dernière chance. » Il y a, il faut bien l’avouer, un peu de malice dans cette démarche… Confier l’enfant d’une famille très catholique à un instituteur laïc, quelle meilleure vengeance pour celle qui ne se sent pas acceptée dans le milieu noble où elle s’est introduite presque par effraction ?

Fräulein, une âme qui sent bon le savon

Fräulein est la vieille bonne de la maison ; elle est d’origine autrichienne. Un concentré d’amour qui voue au sagouin un amour fort et inextinguible ! « C’était elle qui le baignait, qui le savonnait de ses vieilles mains sales et crevassées. »

Le couple d’instituteurs, juste un peu de poussière sur des âmes pas très sales

Robert et Léone Bordas se projettent à fond dans leur fils – Jean-Pierre - qui cristallise tous leurs espoirs de réussite sociale. Robert, un homme lettré, dont la valeur mériterait d’être reconnue, trépigne dans son village paumé ! Afin de mettre un peu de beurre dans les épinards, il accepte de recevoir Guillaume. Le courant passe plutôt bien. Pourtant, Robert renâcle à travailler pour les Cernès. Quel remord par la suite lorsqu’il constatera la portée de son acte ! En refusant de tendre la main à Guillaume, Robert à ouvert la fosse sous ses pas !

Le sagouin, en bref

Que peut-on attendre d’une mère qui n’use d’aucun artifice cosmétique pour améliorer ses défauts esthétiques ? Que peut-on attendre d’une mère qui ne connaît ni déodorant, ni dépilatoire, ni poudre de riz, ni parfum ? Rien de bon, nous répond François Mauriac, qui étaye sa thèse d’un dossier d’une bonne épaisseur. Une telle mère n’est bonne qu’à donner des sobriquets stupides, qu’à rendre malheureux, qu’à donner envie d’en finir… Et, ma foi, c’est bien ce que Galéas et Guillaume vont être obligés de faire. Noyer leur désespoir commun – Galéas et Guillaume sont aussi incompris l’un que l’autre – dans l’eau de la rivière qui coule non loin de là. Se tenir par la main, unis face à l’injustice des hommes, pour toujours !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Mauriac F., Le sagouin, Plon, 1966, 153 pages

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