> 08 septembre 2024
Pep Beni, son amie photographe (visiblement celle-ci est fictive puisqu’elle photographie des lieux où elle n’est jamais allée) ayant remporté le prix Nicéphore Niepce (la récompense consiste en un billet d’avion aller-retour long-courrier pour deux personnes), Amélie Nothomb se voit obligée, pour lui complaire, d’accepter l’idée de retourner au Japon et de lui servir de guide.1 Un guide qui a perdu son GPS et dont les « émotions sans domicile fixe » semblent s’amuser à déménager à la cloche de bois ! Pep passe son temps à grogner, pendant qu’Amélie se laisse submerger par des vagues de sensations, qui semblent sortir de la nuit des temps. Quand l’une grogne, l’autre rit ! Le tout en dégustant des merveilles culinaires à base de riz !
Rares sont les moments où Pep est pleinement heureuse (Pep « respire le Japon par tous les pores de sa peau »), durant ce voyage qui met sa santé à rude épreuve. Pep est allergique. Pep est spontanée, bruyante… Bref, tout ce qui n’a pas lieu d’être au Japon !
Dès les premières lignes de ce roman, Amélie nous renseigne, d’une part, sur son génome (elle est prédisposée à une allergie bien précise) et, d’autre part sur son mode de vie (cette allergie a comme élément déclencheur le mot : départ). Autrement dit, Amélie possède une hypersensibilité vis-à-vis de tous les éléments qui se mettent à bouillonner autour d’elle lorsqu’un départ est annoncé. Avec ses parents, du fait de la profession paternelle, Amélie a été vouée aux déménagements, dès son plus jeune âge. « Au lieu de m’y habituer, j’ai contracté une allergie au départ. » Nous n’en saurons pas plus en matière des signes cliniques résultant de cette mise en présence de l’allergène (le départ) avec le système immunitaire de l’écrivaine.
Pep est allergique aux oreillers d’Air France, bourrés de plumes. Une crise d’asthme est susceptible de survenir à tout moment. Peut-être vaut-il mieux quitter l’avion ? Non, inutile. Le personnel s’affaire et remplace l’oreiller suspect par un oreiller tout synthétique ! Le voyage ne sera pas tué dans l’œuf… de canard ou d’oie !
Pep est allergique aux acariens. Une crise d’asthme est, là encore, susceptible de se produire. Les acariens présents dans la chambre rarement aérée lui ont réservé un accueil du tonnerre. Il est clair qu’il faut quitter cet hôtel ! Oui, indispensable, si l’on ne veut pas voir mourir Pep à Tokyo.
Nos deux amies se séparent donc, Pep allant habiter chez Alice, une amie, Amélie demeurant dans l’hôtel « infesté » !
Durant cette aventure japonaise, la bouillonnante Pep et la suprêmement sereine Amélie se tiennent par la main, afin de partager leurs impressions de voyage. Un beau soir, elles décident de descendre à « l’honorable bain public » de l’hôtel d’Amélie, afin de tester cette expérience inédite. Au Japon, nul ne peut entrer au bain public avant de s’être lavé des pieds à la tête. « Récurées » et « rincées méticuleusement » … voilà la première étape indispensable à qui veut pratiquer un bain public. Pour ce faire, chacun dispose d’un baquet, d’un robinet, d’une éponge et d’un savon, afin d’éliminer toute trace de salissures. Un nettoyage à fond, suivi d’un rinçage tout aussi précis sous la douche.
A noter que ces bains publics sont interdits aux personnes tatouées, ce qui étonne Amélie tant le nombre de Japonais tatoués est impressionnant.
A noter également que ces piscines sont chauffées et même abusivement chauffées, et ce dans le respect dans la tradition, ce bain ayant pour but de se substituer à un chauffage central déficient ou inexistant. Lorsqu’Amélie subit ce bain avec stoïcisme, Pep bondit d’une piscine à une autre, afin de tester les températures qui vont crescendo.
Des bains émollients, qui dilatent les pores et mettent l’esprit dans un état de léthargie voisin de l’ivresse !
Chez un « artiste pâtissier », Pep et Amélie commandent de véritables œuvres d’art, des fleurs en « pâte de riz ». Quand l’une dévore son hortensia des yeux, afin d’en saisir toute la magnificence et partage ce plaisir visuel avec toutes les personnes de son réseau, l’autre dévore son « iris comestible » de toutes ses dents. Cet iris « comestible » est également un tantinet cosmétique, tant il possède un « arrière-goût de maquillage nippon ». L’occasion pour Amélie de pointer du doigt l’usage de la « poudre de riz » de manière « colossale » au Japon. Du « samouraï » qui en conserve toujours une petite quantité sur lui afin de « se matifier le teint » et de pouvoir garder bonne mine en cas de décès (étonnant, cette civilisation qui voit dans la pâleur cadavérique un signe de beauté et de santé !!!) à la geisha qui s’en tartine le visage en la diluant dans une petite quantité d’eau et qui s’en poudre la peau à s’en faire éternuer2... La poudre de riz est inscrite dans l’ADN des Japonais qui la considèrent comme une véritable arme de guerre contre la laideur, une arme de beauté, permettant de lutter contre les taches cutanées et d’arborer un teint uni et parfait.
Au pays du soleil levant, il y a tout un art du bien vivre, qui passe par des chemins tortueux (il est bon de manger « un kaki amer » ou de boire son thé « dans un bol dépourvu de bord lisse ») et tout un art du bien vieillir, qui s’accommode des rides laissées par le temps. Le « comble du bon goût » n’est donc pas d’arborer des lèvres pulpeuses et des pommettes surgonflées, dans un visage aussi lisse que la surface d’un étang sans vague, mais bien, au contraire, d’afficher un épiderme « aussi ridé que de l’écorce » !
L’odeur de la pluie, l’odeur des « serviettes parfumées » qui accompagnent le repas, l’odeur de la poudre de riz qui s’immisce aussi bien dans les cosmétiques que dans les pâtisseries, l’odeur du savon qui ramène Amélie dans les douces contrées de l’enfance (son allergie au mot « prendre un bain » ou « se baigner » est bien guérie)3... autant de sensations que l’auteur nous fait partager avec bonheur. Accompagnée de son double négatif (cette Pep possède l’esprit français à couper au couteau !) la belgo-parisienne surfe, ici, sur de vagues souvenirs… Tout en souplesse. Pendant ce temps-là, Pep boit la tasse (de matcha !), parle haut et fort (dans les musées, c’est interdit !!!), fait ce qu’il ne faut pas faire (aller dans les WC réservés aux hommes !!!) avec délectation. On dirait qu’elle le fait exprès.
Avec ce diablotin à ses côtés, Amélie a pu profiter de ces 11 jours nippons sans sombrer dans la mélancolie. Cette petite pépée pleine de peps est carrément la compagne de voyage idéal !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.
1 Nothomb A., L’impossible retour, Albin Michel, 2024, 157 pages