> 29 janvier 2022
Les amours de Naïs Micoulin et de Frédéric Rostand ne sont guère du goût du vieux papa Micoulin, qui veille sur la vertu de sa fille, une trique à la main. Naïs et Frédéric se connaissent depuis leur plus tendre enfance. Naïs est une fille du peuple à la peau ambrée, Frédéric un jeune homme de la ville, à la peau tendre et protégée du soleil. Lorsque Naïs devient une jeune fille, les jeux dans la garrigue font place à des rendez-vous nocturnes, dans une « fraîcheur délicieuse, tout embaumée des plantes aromatiques chauffées pendant le jour » ou bien dans « une odeur pénétrante d’herbes marines » étonnamment grisantes. Le père Micoulin, pourtant, est là qui veille ; il tente même de supprimer Frédéric. Le fait que ce beau monsieur à la nuque blanche tourne imprudemment autour de sa fille rend le père Micoulin, à la « nuque brûlée de hâle », littéralement fou. Heureusement que Toine, le bossu, veille sur le couple et met en place un piège qui se referme sur le vieil homme. En récompense, Naïs a promis de l’épouser !1
Naïs, la petite fille « brune de peau », qui vient porter des fruits, une fois par mois, à Aix en Provence, chez M. et Mme Rostand, a bien grandi. Alors qu’on attend une fillette, c’est une femme qui se présente en ville. « Naïs était superbe, avec sa tête brune, sous le casque sombre de ses épais cheveux noirs ; et elle avait des épaules fortes, une taille ronde, des bras magnifiques dont elle montrait les poignets nus. » De quoi donner envie à Frédéric d’aller passer toutes les vacances dans la propriété de famille, située à Blancarde, dans la banlieue de Marseille. Là, Naïs gagne son pain quotidien dans une tuilerie ; un travail en extérieur qui lui confère un beau hâle et une belle santé. « Le soleil ardent lui dorait la peau, lui mettait une large collerette d’ambre ; ses cheveux noirs poussaient, s’entassaient, comme pour la garantir de leurs mèches volantes [...] ». Frédéric est, bien évidemment, attiré par cette belle voisine ; « Lui, la trouvait belle, excitante avec son hâle et son odeur de terre [...] ». Quant à Naïs... elle ne dit pas non. Quel orgueil pour cette fille, battue comme plâtre par un père irascible, d’être la maîtresse d’un jeune homme de la ville, plein de délicatesse !
Frédéric est un « beau jeune homme, grand et de figure régulière, avec une forte barbe noire ». Naïs admire sa peau délicate et blanche. La barbe mise à part, Frédéric a tout d’une jeune fille. Grâce, fragilité... versatilité. A peine ses amours consommées, voilà Frédéric qui s’ennuie déjà. Au feu du grand soleil d’été, le visage de Naïs s’assèche. Pas du genre à s’enduire la peau de pommade comme ces belles dames de la ville qui commencent à manquer à Frédéric. « Il regrettait l’eau de Cologne et la poudre de riz des filles d’Aix et de Marseille. » Pourtant, une belle pluie d’été ranime les sentiments du jeune homme déjà prêt à tourner la page d’une aventure sans lendemain. « Lorsque cette campagne si desséchée se mouille profondément, elle prend une violence de couleurs et de parfums : les terres rouges saignent, les pins ont des reflets d’émeraude, les rochers laissent éclater des blancheurs de linges fraîchement lessivés. »
Naïs, par amour pour Frédéric, s’est donnée à Toine. Celui-ci, en sabotant le chemin qui mène à la mer, a conduit le vieux Micoulin à la tombe. Bon débarras ! Reste Naïs et sa peau vouée aux taches de soleil. Apprenant le mariage de sa petite Manon des Sources, Frédéric crâne un peu : la beauté de Naïs « un déjeuner de soleil ! ». Et puis après tout, Toine va s’occuper de la propriété, Naïs restera sur place, « l’arrangement » est « commode pour tout le monde » !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour !
1 Zola E., Naïs Micoulin, Librio (n°127), 2021
Retour aux regards