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Passe, impair et manque

> 02 novembre 2019

Passe, impair et manque

La jeune Emilie est la dernière fille du comte de Fontaine. Enfant gâtée, choyée par ses aînés et par son père, elle ne rêve que de mariage prestigieux, devenue adulte. Ce sera « un pair de France » ou le « fils aîné d’un pair »… ou rien !1

Le comte de Fontaine est un vieux Vendéen qui s’est voué à la cause royaliste avec passion et abnégation. Après avoir refusé obstinément tous les postes proposés par Napoléon, le comte espère obtenir des faveurs de la part de Louis XVIII. Il fréquente donc le salon de celui-ci en espérant que le roi va se montrer plein de gratitude pour récompenser sa fidélité. Ce vieil homme, qui se fait poudrer chaque matin (« Pendant qu’un valet de chambre dessinait artistement sur son crâne jaune le delta de poudre qui complétait, avec des ailes de pigeon pendantes, sa coiffure vénérable, le père d’Emilie ordonna, non sans une secrète émotion, à son vieux valet de chambre d’aller avertir l’orgueilleuse demoiselle de comparaître immédiatement devant le chef de la famille. »), n’est pas le seul à tournoyer dans les allées du pouvoir. Le salon de Louis XVIII « était plein de vieux serviteurs dont les têtes poudrées, vues d’une certaine hauteur, ressemblaient à un tapis de neige. »

La reconnaissance ne viendra que tardivement... Il faudra suivre le souverain lors de son exil à Gand, pour, enfin, toucher le cœur de celui-ci. « Il fut donc, selon le mot du plus spirituel et du plus habile de nos diplomates, un des cinq cents fidèles serviteurs qui partagèrent l’exil de la cour à Gand, et l’un des cinquante mille qui en revinrent. »

Pour Emilie, la reconnaissance de sa beauté s’effectue quotidiennement dans les soirées qui sont organisées afin de mettre enfin la main sur le prétendant idéal. De beaux cheveux noirs et un « front d’albâtre » sont les principaux atouts qu’Emilie conserve dans sa manche. La jeune fille, très moqueuse, regarde avec dédain le ménage de ses sœurs et ne trouve aucun jeune homme à son goût. « Jambes trop grosses », « genoux cagneux », embonpoint, myopie... les prétendants sont passés au microscope et chaque défaut physique est présenté comme un obstacle insurmontable. Les hommes un peu enveloppés sont, en particulier, l’objet de ses sarcasmes. « Quoique ce fût une beauté recherchée en Orient, l’embonpoint lui semblait un malheur chez les femmes ; mais chez un homme, c’était un crime. »

C’est au bal de Sceaux que la belle Emilie va trouver son Apollon à « beaux cheveux noirs » et aux pieds menus. « Jamais la difficile Emilie n’avait vu les yeux d’un homme ombragés par des cils si longs et si recourbés ». Grâce à un vieil oncle, le comte de Kergarouët, la jeune fille va réussir à entrer en relation avec le bel inconnu qui se nomme Maximilien Longueville. Dépourvu de particule, ce jeune homme semble sans intérêt. « [...] son père n’a même pas acheté de savonnette à vilain. » Personne dans sa famille n’a pensé a acheté une charge permettant de sortir d’un état de roture jugé salissant. Bien qu’Emilie sente son cœur battre pour Maximilien, elle va tout faire pour s’en détacher et ce d’autant plus qu’elle découvre que le jeune homme est un simple représentant en tissus. Par orgueil, la belle Emilie se coupe de Maximilien qui s’avère, en définitive, être un riche héritier.

Au jeu de l’amour, la jeune fille a été trop audacieuse. En voulant gagner le gros lot, Emilie a tout perdu. Et comme il faut bien se marier tout de même, c’est le vieil oncle qui va bénéficier du désarroi de sa nièce. Ce vieux marin qui ne croyait plus en l’amour va s’embarquer « comme pilote sur la BELLE-EMILIE » et couler des jours paisibles à côté de celle qui a joué son bonheur… à la roulette.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien... avec toi, les illustrations, c'est toujours gagnant !

Bibliographie

1 Balzac H. Le bal de Sceaux in La maison du Chat-qui-pelote suivi de Le bal de Sceaux, de la Vendetta, et de La bourse, Gallimard, 1970, 380 pages

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