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Parfum de meurtre ou meurtre au parfum... de jasmin

> 16 août 2020

Parfum de meurtre ou meurtre au parfum... de jasmin

Dans son roman Cinq petits cochons, Agatha Christie place son héros à « l’invraisemblable moustache » dans une drôle de situation. Afin de permettre à Clara Lemarchant d’épouser son fiancé, John Rattery, en toute tranquillité, Hercule Poirot se voit dans l’obligation de remonter le temps, afin de résoudre un meurtre survenu 16 ans plus tôt (« En avant ! Ou plutôt, pour être exact, en arrière ! »). Pour bien comprendre, il suffit de rappeler que la mère de Caroline a été accusée du meurtre de son mari Amyas... Rien de bien encourageant donc... C’est en fredonnant une comptine pour enfants mettant en scène cinq petits cochons qu’Hercule Poirot se met en route afin de recueillir le témoignage des 5 témoins principaux de la ténébreuse affaire.

La situation en 2 mots

Amyas Crale, peintre de renom et coureur invétéré, s’est vu commander un portrait par une toute jeune fille qui n’a pas froid aux yeux. Amyas - 40 ans - et Elsa Greer, son modèle d’à peine 20 ans, « une créature magnifique », « beaucoup de maquillage et presque pas de vêtements »  - ne tardent pas à devenir amants et ce sous le toit même de Caroline Crale, la femme qu’Amyas a épousé 10 ans plus tôt. Sur les lieux - il s’agit de la belle propriété de Alderbury - se trouvent une gouvernante, Mrs Williams, Angela Warren, la demi-sœur de Caroline, Clara la petite fille d’Amyas et de son épouse. Meredith et Philip Blake, voisins et amis d’Amyas partagent les repas avec la charmante petite famille. Inutile de dire que l’ambiance est plutôt tendue entre la femme légitime très colérique - elle a lancé autrefois un serre-livres à la tête de sa jeune sœur, ce qui a laissé sur la joue droite de cette dernière une énorme cicatrice - et la maîtresse très possessive - Elsa se comportant dans la propriété comme si elle était déjà chez elle. Personne n’est donc vraiment surpris lorsqu’Amyas meurt empoisonné. De la conéine, le principe actif issu de la cigüe, a été versée dans son verre de bière ! Cette conéine, tout le monde sait qu’elle provient du laboratoire de Meredith. Lorsque l’on découvre, bien caché dans la commode de Caroline « un flacon de parfum vide », contenant des traces « d’huile de jasmin », diluée dans une « forte solution d’hydrobromide de conéine », le doute n’est plus permis. La colérique Caroline a encore frappé. Aucun doute quant à sa culpabilité et ce d’autant plus que Caroline ne se cache pas d’avoir subtilisé la conéine, afin, dit-elle, de se suicider au cas où Amyas demanderait le divorce.

Elsa Greer, celle par qui le crime arrive

Elsa Greer est décrite par l’ensemble des témoins comme une jeune femme éminemment séduisante. Seize ans après les faits, Elsa est toujours aussi jolie ; un observateur un peu perspicace se rend pourtant compte que le jeune animal plein de vie qui avait ensorcelé Amyas est mort. Lady Dittisham - Elsa est désormais mariée - ne renverse plus de pots de peinture sur sa figure comme elle le faisait autrefois. « Sa noire chevelure artistement coiffée, encadrait un visage aux traits d’une pureté presque classique maquillé avec une discrétion exquise. » Dans les yeux gris d’Elsa, la petite flamme qui dansait autrefois s’est éteinte. Il ne reste plus qu’une femme froide, peu sujette aux états d’âme. Cette femme n’a pas « l’épiderme délicat »...

Meredith, celui qui fournit l’arme du crime

Meredith Blake est à la fois naturaliste et chimiste-amateur. Le pouvoir thérapeutique des plantes, il y croit dur comme fer. « C’est surprenant, mais c’est incontestable, une simple décoction de ceci ou de cela réussit des miracles. » Admiratif des Français qui « font des tisanes réellement merveilleuses », Meredith n’hésite pas à s’adonner, dans son laboratoire personnel, à la fabrication de préparations diverses et variées, à partir de plantes récoltées par ses soins. Il va même jusqu’à tenir compte de la lune afin d’optimiser la qualité des espèces cueillies. La veille du meurtre d’Amyas, il a reçu ses voisins et leur a prodigué un véritable cours sur les toxiques issus des plantes. Cigüe, belladone et atropine... valériane. Un véritable cours de pharmacognosie !

C’est bien joli tout cela, mais lorsqu’en rangeant ses petits flacons il se rend compte que celui contenant une « préparation de cigüe » est maintenant presque vide, une sueur froide lui parcoure le dos ! Et ce d’autant plus que, faisant étalage de sa science quelques heures plus tôt, il n’a pas manqué de préciser qu’utilisée à « dose légère » la conéine est souveraine pour traiter coqueluche et asthme, mais mortelle dès lors que l’on dépasse un certain seuil.

Meredith, retour en arrière grâce à du jasmin

Il est important pour Hercule Poirot de savoir qui a quitté le laboratoire de Meredith en dernier. Afin de replonger le gentleman dans le passé, Hercule lui fait fermer les yeux et passe sous ses narines un mouchoir imprégné de parfum au jasmin. Se mettent alors à défiler sous ses yeux tous les protagonistes de l’affaire... Caroline ferme la marche ! En ouvrant à nouveau les yeux, Meredith se retrouve face au détective. « Meredith flaira l’atmosphère et remarqua mentalement, non sans quelque mépris, que Poirot se parfumait. » « Une bouffée de jasmin stimula immédiatement sa mémoire. Les odeurs agissent sur nous beaucoup plus que nous ne le pensons. »

Encore un mot sur ce fameux flacon de parfum

Agatha Christie ne cesse de nous balader avec son flacon de parfum, sur lequel seules les empreintes de Caroline ont été retrouvées. Il est clair pour Hercule Poirot que Caroline a vidé son flacon de jasmin à la fenêtre du laboratoire. Le parfum senti par Meredith, ce jour-là, ne provenait pas du jasmin du jardin - la floraison étant finie en ce mois de septembre - mais de ce petit flacon qui intrigue tant les petites cellules grises d’Hercule.

Pour finir et un peu à la va-vite, Agatha Christie nous livre la clé du mystère. Caroline est innocente. Elle s’est laissée accuser à la place de sa sœur Angela, en croyant que celle-ci avait voulu une fois de plus faire une farce à son beau-frère. Après le sel dans la bière, les limaces dans le lit, pourquoi pas de la cigüe ? Et bien non... Angela n’est pas responsable de ce crime. Ce n’est pas de la cigüe qu’elle comptait mettre dans la boisson d’Amyas, mais de la valériane ! La meurtrière est Elsa. Apprenant que pour Amyas elle n’était qu’une conquête de plus, sa décision fut vite prise. Un petit tour dans la chambre de Caroline, une fouille rapide dans sa commode, un prélèvement éclair de conéine avec une « pipette, un compte-gouttes de stylographe » et le tour était joué. Un peu tiré par les cheveux... mais efficace tout de même.

En résumé,

Tout est bien qui finit bien pour Clara Lemarchant et John Rattery. Clara n’est pas la fille d’une meurtrière. Même si elle se parfume au jasmin, John pourra boire son thé en toute tranquillité ! Il ne risque pas de finir empoisonné...

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour.

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