> 22 avril 2018
Tous les lecteurs assidus (ou non) de la bande dessinée « Astérix » savent parfaitement qu’Obélix est tombé dans le chaudron de potion magique alors qu’il était tout bébé... Les lecteurs assidus de Colette ne savent peut-être pas à quel âge et comment Colette est tombée dans un pot de khôl ! C’est ce vide que nous allons combler aujourd’hui.
Tout d’abord, mettons-nous d’accord sur l’orthographe de ce fard à paupière cher aux Egyptiens. Colette, elle-même, hésite entre « kohl, koheul, mokoheul » ; le Larousse tranche en faveur de « khôl ». René Cerbelaud en rajoute une couche (de khôl !) avec le mot « kohol »... D’autres auteurs enfin, optent pour un terme très différent, la mesdemet... (C. Couteau & L. Coiffard, Dictionnaire égoïste des cosmétiques, Edilivre, 2016, 246 pages)
Avec autant de termes différents pour désigner un même produit on comprend que cela ne va pas être simple d’en connaître la composition. Et rebelote. Le Larousse nous décrit une « Substance noire provenant de la carbonisation incomplète de différentes matières grasses, utilisée pour le maquillage des yeux. » (http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/kh%C3%B4l/45502#67LWdywuivsdOmgl.99). René Cerbelaud nous propose des khôls de composition variable. Sulfure d’antimoine, charbon (obtenu par calcination d’encens, d’oléorésines, d’os, de défenses d’éléphants ou d’huiles végétales diverses). Il y ajoute de la poudre de perles fines, de l’ambre, du musc, de l’or... Il y mêle de l’eau ou de l’eau de rose, afin d’obtenir un fard liquide plus facile à appliquer ! (René Cerbelaud - Formulaire de parfumerie - 1933)
Avant d’être noire... la mesdemet est verte. C’est la malachite qui est alors utilisée. Les Egyptiens raffolent de ce qui est considéré à la fois comme un médicament qui permet d’éviter les affections oculaires et comme un cosmétique qui permet de « parler avec les yeux ». On a ainsi pu retrouver des témoignages écrits marquant l’attachement des hommes et des femmes pour ce produit incontournable. Une mesdemet « vraie » est ainsi réclamée par un homme à son fils... Comme quoi les adultérations ou fraudes ne datent pas d’hier !
Le khôl est appliqué à l’aide d’un stylet en bois qui est d’abord trempé dans l’eau de rose, puis dans le mélange pigmentaire (C. Couteau & L. Coiffard, Beauté mon beau souci - Une histoire de la beauté et des cosmétiques, Edilivre, 2015, 285 pages).
Mais revenons à Colette. C’est à l’âge de 15 ans qu’elle est envoyée à Paris chez une amie de ses parents, Madame la générale C. Originaire d’Oran, la générale C. est une femme à poigne qui mène à la baguette aussi bien son valet de chambre (à qui elle aime à pincer les fesses !) que sa jeune invitée qui découvre avec elle l’art d’appliquer le précieux fard. En trois semaines, Colette succombe au couscous, aux « grasses sucreries oranaises » et au cosmétique pour les yeux...
Par la suite, elle se désintoxiquera de ces addictions alimentaires, mais restera fidèle à ce fard qui constitue « un pansement, qui garde les paupières de rougir, permet d’affronter soleil ou lampes, la lumière et l’air poussiéreux, bref l’antimoine que l’Orient glisse entre les paupières des nouveau-nés. »
C’est chez un parfumeur syrien, un certain Bichara, que Colette s’approvisionne. Elle lui achète également de l’argile, pour réaliser ses shampooings, des savons « d’aspect comestible » et de « chauds parfums ». Tiens, tiens… finalement rien de bien nouveau au sujet de ces cosmétiques qui se font aussi appétissants que des pâtisseries (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/bienvenue-a-la-patisserie-euh-non-pardon-a-la-parfumerie-139/ ; https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/shampooing-solide-ou-cannele-bordelais-un-meme-moule-pour-les-deux-produits-432/) !
Parfois, Colette en reçoit en cadeau du Pacha el Glaoui qui lui fait parvenir de Marrakech des flacons « d’antimoine gris, tendre et pailleté ».
C’est dans « Le fanal bleu », paru en 1949, qu’il faut chercher la réponse à notre question : à l’âge de 15 ans, à Paris, Colette est tombée dans un pot de khôl. Contrairement à Obélix, cela ne l’a pas empêché d’en appliquer soigneusement tous les jours de sa vie.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui, vous en conviendrez, nous invite au voyage dans le temps (hors du temps ?) et dans l'espace...