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Moustache contre barbe, un duel à peignes tirés orchestré par Agatha Christie

> 19 septembre 2020

Moustache contre barbe, un duel à peignes tirés orchestré par Agatha Christie

Cette affaire de Styles constitue la toute première œuvre de la désormais célèbre Agatha Christie.1 Hercule Poirot, réfugié belge, accueilli avec générosité par le bon peuple anglais et Hastings, jeune permissionnaire ayant fui les horreurs de la guerre (celles de 14) et séjournant chez son ami John Cavendish, sont ici réunis pour le plaisir mais… pas que ! Hastings, qui est hébergé au château, se retrouve plongé dans une ambiance pas franchement détendue, du fait d’une situation un peu spéciale. La belle-mère de John et Lawrence Cavendish vient d’épouser en secondes noces un homme d’une vingtaine d’années son cadet. L’heureux élu, Alfred Inglethorp, est considéré d’un œil suspicieux par l’ensemble des membres de la famille. Celui-ci semble visiblement intéressé par l’argent de sa douce et belle. Tout comme d’ailleurs John et Lawrence qui dépendent financièrement de leur belle-mère. Lorsque celle-ci succombe brutalement en pleine nuit le doute n’est guère possible. Emily Inglethorp a été empoisonnée. Reste à savoir par qui ?

Alfred Inglethorp, un barbu d’opérette

Alfred Inglethorp a tout du « sale petit gommeux ». La gouvernante de la maison, Evelyn Howard, qui est également sa lointaine cousine, ne décolère pas en le regardant… Elle le hait visiblement… trop visiblement même. On ne sera guère étonné lorsque l’on apprendra que ces deux-là sont plus que des cousins lointains et qu’ils ont manigancé l’empoisonnement de la pauvre Emily depuis longtemps. Alfred se reconnaît à sa « longue barbe noire » (« Rien de surprenant que sa barbe déplût à John : c’était une des plus longues et des plus noires qu’il m’ait été donné de voir. »), à des vêtements « singuliers » et à une paire de lunettes non moins originales qui occulte complètement son regard. Un vrai personnage échappé d’un vaudeville !

Evelyn Howard, avec ou sans barbe ?

Miss Howard est une vraie perle domestique. Avec elle, tout marche comme sur des roulettes. Cette femme au visage hâlé et à l’allure masculine a projeté de tuer sa maîtresse et d’hériter de ses biens. Afin de brouiller les pistes (c’est un peu nébuleux à ce niveau-là), Evelyn se déguise en Alfred (avec une belle barbe de composition) et se procure de la strychnine à la pharmacie du village. Pour faire porter le chapeau à Lawrence, elle a commandé, en son nom, une barbe postiche qu’elle cache ensuite soigneusement dans la malle aux déguisements. « Tout au fond, venait d’apparaître une magnifique barbe d’un noir de jais. » Ce « postiche flambant neuf » n’étonne nullement Poirot qui a reconstitué tous les faits et gestes d’Evelyn avec précision.

Hercule Poirot, une moustache cirée d’exception

Hercule Poirot nous est présenté, dans ce premier roman, comme un « petit homme extraordinaire », à l’intelligence « hallucinante ». De petite taille (1m62), Poirot domine son monde par ses facultés intellectuelles plus que par ses performances physiques. Une tête de « forme ovoïde », une « moustache cirée », impeccablement entretenue, voici en quelques mots le portrait de cet inspecteur de la police belge en retraite. Ce parfait dandy, qui ne supporte pas un grain de poussière sur ses vêtements, est amoureux de l’ordre, de la géométrie et des souliers vernis. Il se livre chaque matin à une toilette minutieuse, pratiquée avec un « soin maniaque ». Une torsion des moustaches et le voilà prêt à se mettre en chasse (« D’un mouvement décidé, il tordit les pointes de sa moustache »). Durant cette enquête, Poirot se livre à quelques prélèvements. Il flaire le fond des tasses (à café, à cacao), renifle les taches observées sur le tapis (une tache de bougie blanche en particulier), recueille les liquides qui restent au fond des récipients… Il s’agit de savoir comment Emily a été empoisonnée. Poirot résout cette énigme, ni une ni deux. Lorsque l’on sait qu’Emily utilise du bromure comme somnifère et un fortifiant à la strychnine, on comprend, chimiquement parlant, comment le couple diabolique s’y est pris pour se débarrasser de la pauvre femme. Le bromure mêlé au fortifiant provoque la précipitation de la strychnine, qui se retrouve au fond du récipient. Il est donc possible pour un meurtrier de programmer son meurtre à l’avance et de se constituer un alibi en béton.

Hastings et les femmes

Les « beaux yeux fauves » de Mary ne vont pas laisser indifférents le brave Hastings. Attention, prudence… Mary est déjà la femme de John Cavendish. Il sera également fasciné par Cynthia, la protégée de Mrs Inglethorp, dont la chevelure rousse se transforme en « or vivant », lorsqu’elle est au soleil. Une proposition de mariage sera même écartée par la belle orpheline.

Et une femme de chambre qui défit les lois cosmétiques

Dans ce roman, l’on rencontre également une curiosité cosmétique sous les traits d’une femme de chambre quelque peu étrange. « Les ondulations raides de ses cheveux gris dépassaient de sa coiffe blanche. » Des ondulations raides, vraiment ?

Duel moustache versus barbe

Dans ce duel entre Alfred Inglethorp, à la longue barbe noire de jais et Hercule Poirot, à la magnifique moustache cirée non moins noire, c’est bien sûr Hercule Poirot et sa moustache légendaire qui porte l’estocade finale. Sur le terrain folliculaire, nul ne peut le battre !

Bibliographie

1 Christie A. La mystérieuse affaire de Styles, Editions du masque, Paris, 223 pages

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