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Mme du Deffand, la philosophe au tonneau !

> 09 septembre 2018

Mme du Deffand, la philosophe au tonneau !

Mme du Deffand est une femme qui craint l’ennui... Elle réclame, d’ailleurs, de ses amis, des « instructions et des recettes », pour lutter contre la monotonie de ses jours. Elle aime la compagnie. Confortablement installée dans son fauteuil « tonneau » (c’est « l’équivalent des coins et des trous de mes chiens et chats. »), elle écoute les cancans qui lui sont rapportés, elle se distrait en se faisant faire la lecture ( elle raffole des œuvres de Shakespeare qui font à son âme « ce que le lilium fait au corps. » ; elle en sort « ressuscitée »)- elle est, en effet, atteinte de cécité vers l’âge de 50 ans -, elle écrit à ses amis (Horace Walpole, Voltaire) ou à ses amours (le Président Hénault). Recevoir des lettres et en écrire (Lettres (1742 - 1780) Madame du Deffand - Le temps retrouvé - Mercure de France, 2002, 981 pages) constitue véritablement le sel de sa vie. Il est bon de préciser que ses nuits sont courtes, du fait de longues phases d’insomnie.

Les lettres de Mme du Deffand sont savoureuses... ne nous laissons pas rebuter par l’épaisseur du volume et plongeons dans ce XVIIIe siècle que nous aimons tant !

Rien ne vaut le naturel

« Quand vous êtes dans votre naturel, que vous vous laissez aller, sans soin, sans art, je vous trouve on ne peut plus à mon gré. ». C’est ainsi que s’adresse Mme du Deffand à son amant. Ce naturel doit pourtant être amélioré lorsque l’âge vient. Le roi Louis XV, quant à lui, fait confiance aux cosmétiques qui redonnent une seconde jeunesse après une chasse harassante (« Quand on était vieux, il fallait faire une toilette avant que de se laisser voir. »)

Rien ne sert de trop manger

La qualité du teint est mise en relation avec le régime alimentaire. « [...] je n’enlaidis plus, surtout depuis ce matin : mon teint s’est fort éclairci [...] ». Les fraises sont jugées pernicieuses (« Les fraises et la crème me rendent tristes. ») car sources de « vapeurs ».


Rien ne vaut l’eau de veau et les bains pour lutter contre les vapeurs

Le célèbre Dr Pierre Pomme a fait des vapeurs féminines sa raison d’être ; c’est à lui que l’on doit ce traitement de choc ! Attention, toutefois, Mme d’Aiguillon est morte « d’apoplexie », en « une demi-heure (sic) de temps » « dans son bain » !

Rien ne sert mieux un ami que de le brosser dans le sens du poil...

... Surtout lorsque c’est un Anglais dont les lettres ont une « teinture de mécontentement » : Mme du Deffand conseille à Horace Walpole de se faire « brosser tous les jours avec une brosse un peu rude ; rien ne facilite autant la transpiration ».

Rien ne vaut le contenu des petites boîtes de Cotignac

On y trouve une gelée de coing qui permet de réguler les transits les plus rapides.

Rien ne sert mieux les intestins que la casse

Mme du Deffand semble ignorer que ce laxatif correspondant au fruit du cassier vient à bout des santés les plus florissantes. On sait, en effet, par Mme de Sévigné, que le cardinal de Retz est décédé après 4 saignées et 2 petits verres de casse (Georges Dillemann, René Lemay, Les médicaments de Mme de Sévigné (suite), Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1966, 190, 161-184). Mme du Deffand en est friande et la recommande à Voltaire. Pour sa part, elle en prend tous les 8 à 10 jours, toujours cuite, une demi-once pour 2 bols administrés avant le souper.

Rien ne vaut une « macédoine » de jeux chez M. et Mme de Choiseul

On y peut jouer au billard, au tric trac, au macao, au whist, au tresset, au piquet, à la comète. Dans la Grande galerie, on ne sait trop où se mettre, près du feu, on brûle, loin de celui-ci on gèle !

Rien ne sert de se payer une loupe grossissante

Mme du Deffand connaît toutes les bassesses humaines. Elle se rêve, parfois, « taupe » (rappelons qu’elle n’est pas loin d’être aveugle), tellement tout ce qui se passe sur Terre la désole. De quoi avoir envie de creuser une petite galerie bien hermétique pour vivre en paix !

Rien ne vaut les conseils d’un ami surtout lorsqu’il est philosophe

Alors que Mme du Deffand ne cesse de se plaindre de son état de santé et des outrages du temps, Voltaire lui apporte force consolations. Ses lettres sont « pour la santé de l’âme ce que sont les infusions de tilleul, de camomille, de bouillon blanc, etc., etc., pour la santé du corps ; ce qu’est l’eau bénite contre les tentations du diable. »

Rien ne sert d’abuser de médecines

Les médecins anglais sont, dans l’esprit de Mme du Duffand, bien capables de faire mourir son ami anglais, Horace Walpole. « J’ai peur que vos médecins ne soient détestables ; je les crois pires que les nôtres : les uns et les autres peuvent être des empoisonneurs, mais leurs poisons sont différents ; les nôtres sont lents, et les vôtres prompts et violents. »

Rien ne vaut une bonne dermatose pour éliminer de la course à la beauté une concurrente dangereuse

La maréchale de Mirepoix va sur ses 60 ans lorsque Mme du Deffand dresse son portrait. « Son esprit rétrograde, et aujourd’hui il n’a guère plus de 15 ans. » Cette jouvencelle par l’esprit organise des bals fastueux. Il en est un donné en l’honneur de la princesse d’Hénin. Malheureusement, celle-ci souffre d’herpès miliaire. Pas de chance !

Rien ne sert de faire triste mine lorsque l’on est mis au pilori

Le banqueroutier Billard est bien de cet avis. C’est « en bas de soie, en habit noir, bien frisé, bien poudré » qu’il accepta d’être mis au pilori durant deux heures. Il arborait autour du cou un écriteau : « banqueroutier frauduleux, commis infidèle ».

Rien ne vaut un test clinique réalisé in vivo pour démontrer l’efficacité d’une crème cicatrisante

C’est ce que semble penser un certain comte de Sade, « neveu de l’abbé auteur de Pétrarque ». Celui-ci ne s’embarrasse pas d’éthique lorsqu’il a une idée en tête. S’il a décidé de réaliser un test sur « involontaire malade », il le réalise coûte que coûte. Un mardi de Pâques, il croise la route d’une mendiante de 30 ans « grande et bien faite ». Il décide, semble-t-il, de la sortir de la misère et lui propose un poste de concierge dans sa maison d’Arcueil. Arrivée au domicile du comte, celui-ci la fait monter dans le grenier et la fait déshabiller entièrement, sous la menace d’un pistolet. Il lui attache alors les mains et la fouette copieusement. « Quand elle fut tout en sang, il tira un pot d’onguent de sa poche, en pansa ses plaies, et la laissa. » Le lendemain, l’état des chairs s’était considérablement amélioré. Le comte sortit alors un canif de sa poche et lacéra les chairs afin de rouvrir les plaies... Ceci fait, il transporta la pauvre femme dans un bon lit et oignit les plaies de son onguent-miracle, puis il se retira promptement. La femme n’attendait que cela pour prendre la poudre d’escampette en se sauvant par la fenêtre à l’aide d’une corde fabriquée avec ses draps ! La police accourt ; le comte de Sade est arrêté et conduit au château de Saumur à sa grande stupéfaction. Il ne faisait, en effet, que démontrer l’excellence de son onguent. Il a, dit-il, « découvert un baume qui guérit sur le champ les blessures. » Mme du Deffand ne nous fournit malheureusement pas la recette du précieux baume.

Rien ne sert de trop gamberger

Depuis son tonneau, Mme du Deffand se pose bien des questions sur le sens de la vie ; elle s’interroge « Dites-moi pourquoi, détestant la vie, je redoute la mort ? »... Personne ne lui répond !

Rien ne vaut les gouttes du général la Motte ou l’élixir de Stoughton

Les médecins de Louis XV lui prescrivent régulièrement les gouttes de la Motte, diluées dans un bouillon. Mme de Pompadour en parle dans ses lettres (elle écrit la Mothe) (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/journal-d-une-femme-de-chambre-ou-la-pompadour-intime-647/). Mme du Deffand, boulimique de lecture, trouve ses lettres à son goût (« ni ennuyeuses, ni de mauvais ton »), mais elle dénie à la favorite la paternité de cette œuvre. La teinture ou élixir de Stoughton est envoyé par Horace Walpole à son amie qui en prend 10 gouttes chaque jour. Cet élixir est une teinture réalisée à partir de différentes plantes telles que l’absinthe, la rhubarbe, l’aloès, la gentiane et l’écorce d’orange amère. Elle favorise la digestion (https://books.google.fr/books?id=l8lSAAAAcAAJ&pg=PA635&lpg=PA635&dq=teinture+de+stoughton&source=bl&ots=xE1apN-Rim&sig=ypGgt0GKShnO_QRF01fW07swCNk&hl=fr&sa=X&ved=0a).

Rien ne sert d’éveiller ses domestiques de bon matin

Mme du Deffand compte sur son « invalide » (c’est effectivement un pensionnaire de l’Hôtel des Invalides) pour lui faire la lecture durant 3 à 4 heures tous les matins lorsque la maison est encore endormie.

Rien ne vaut le thé anglais envoyé par le cher Walpole

Accompagné d’une bouilloire, le précieux thé permet à Mme du Deffand de tenir « thé ouvert » !

Oui vraiment, comme Diogène, Mme du Deffand n’a besoin que d’un tonneau pour philosopher à loisir. Laxatif et purgatif ingurgités, Mme du Deffand est prête pour nous livrer de jolies formules. Même si elle se compare à une « vieille montre qui se détraque, et qu’il faut conduire au doigt et à l’œil pour la mettre à l’heure actuelle », elle n’a nullement besoin d’horloger pour nous indiquer l’heure de la sagesse. Laissons-lui le dernier mot et pour être en paix retenons qu’il faut se « contenter de brouter le foin au travers duquel on est placé. »

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui a imaginé, pour aujourd'hui, Mme du Deffand, dans son tonneau !

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