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Michel Déon, le maquilleur de ces dames, sous un soleil de plomb !

> 25 avril 2021

Michel Déon, le maquilleur de ces dames, sous un soleil de plomb !

Si Michel Déon vous propose de déjeuner au soleil,1 n’oubliez, ni votre chapeau de paille (une femme en cheveux, n’est pas au goût de l’ami Michel), ni votre crème solaire non parfumée (une odeur d’huile solaire ne séduit toujours pas l’ami Michel). Il vous parlera de ses conquêtes, il vous embrouillera la tête entre vie rêvée - vie vécue, brouillera les cartes, si bien que vous ne vous y retrouverez plus entre dame de cœur et valet de carreau. Il évoquera un temps où l’on traitait la fièvre avec une infusion de verveine et de la ouate thermogène, fera défiler devant vos yeux une galerie de portraits à l’emporte-pièce, mêlera le vrai et le faux. Il évoquera le temps où la « Costa Brava embaumait la myrrhe et le thym, pas encore les huiles solaires, l’essence et la poussière tenace des grands ensembles de béton » et vous fera plonger dans un « bain de beauté presque suffocant », dans la belle cité vénitienne. Il vous donnera également une leçon de maquillage, houppette d’une main, mascara automatique de l’autre. Chez Michel Déon, les armes renferment des ingrédients cosmétiques ; elles frappent mortellement le cœur de ceux qu’elles atteignent.

Un adolescent séduit par une jeune femme fardée

Tout commence, dans ce roman, par l’arrivée d’un étranger, Stanislas Beren, dans une classe de troisième du collège de Janson-de-Sailly, à Paris, en 1925. Laissé de côté par l’ensemble des élèves, Stanislas est pris sous l’aile d’André Garrett. Le jeune garçon kidnappe le jeune inconnu et l’emmène passer des vacances à Deauville, dans sa famille délicieusement bourgeoise. La mère d’André, la grand-mère du narrateur, est une femme charmante, au teint de porcelaine, mais à la poigne ferme. « Ma grand-mère craignait le soleil autant que la pluie et vivait confinée dans le salon ou sa chambre pendant que son mari paradait sur la plage, au champ de courses ou autour du tapis vert du casino [...] ». Cette femme, pleine de délicatesse, prend Stanislas par la main, l’entraîne chez le coiffeur et chez un bon tailleur. Félicité, la petite sœur de cette femme encore jeune, a tout juste 30 ans et un charme fou. Moderne, « sacrifiant avec agressivité à la mode : le cheveu court, l’œil bleu roi outrageusement fardé, du rouge aux pommettes », ce petit bout de femme se promène, traînant à sa suite une cour d’admirateurs. Ceux-ci en seront pour leurs frais. L’élu sera un jeune adolescent - Stanislas vous l’aurez compris ! Stanislas, une fois glissé dans le lit de Félicité, en sortira juste à temps pour faire vivre, avec son copain André, une maison d’édition baptisée Saeta, une maison d’édition de renom qui publie des auteurs connus et reconnus, par des stars du moment comme, par exemple, Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir (Simone « confessait aux magazines féminins qu’elle le dévorait le matin aux cabinets et que, grâce à ces longues stations émerveillées sur le siège, elle ne connaissait plus ni l’ennui ni la constipation. » ; « le » c’est bien sûr le nouvel auteur de la maison Saeta). Stanislas mettra également la main à la pâte, en s’asseyant à la table de l’écrivain. Certains critiques verront dans son œuvre une composition légère, une fresque composée de « femmes sortant d’un institut de beauté ou de chez le coiffeur. » La pire des critiques, quoi ! Bon, on ne va pas se voiler la face, Stanislas a du goût pour les femmes ; Félicité n’est pas la seule et unique élue. Elle ne le sait que trop bien. Tout son vécu... une source d’inspiration sans limite !

Et puis, Stanislas sera séduit par une fillette de 8 ans, Audrey, une petite blonde aux yeux bleus, au visage « bronzé par le soleil des neiges ». Cette rencontre fera l’objet d’un roman, celui mettant en scène Maximilien von Arelle. Celui-ci sera séduit à son tour par l’enfant devenue femme, une femme au teint « délicat », gentiment hâlé par le soleil, une femme, aux seins « aussi hâlés que le reste du corps », qui pratique le monokini sur des plages encore relativement désertes.

Félicité, une jeune femme chapeautée

Félicité, vue de profil, c’est un « demi-visage très fardé sous le chapeau cloche adopté pour toujours [...] ». Une femme de la haute bourgeoisie qui rencontre des peintres, des poètes, des écrivains, qui tient salon et fait les réputations. Une femme qui voyage et qui croise sur des paquebots de luxe des hommes élégants au « long nez fin de parfumeur » et aux mains admirables, « aussi belles que celles de Cocteau ». Une femme, qui refuse de vieillir et teint ses cheveux, jusqu’au bout, en un noir des plus profonds. Pour Félicité, « une femme n’a pas droit aux cheveux blancs ».

Melle Coco, une couturière également chapeautée

Stanislas collectionne les cannes. En nous faisant cet aveu, le narrateur nous confie également un scoop concernant une certaine Coco Chanel. « Je n’aime pas les mains dans les poches et les femmes sans chapeau. Coco Chanel prenait son bain avec son canotier sur la tête. C’est peut-être un peu beaucoup, mais elle n’avait pas tort... » L’élégance jusque dans la salle de bain !

Nathalie, une jeune femme parfumée avec soin

Nathalie est l’une des héroïnes de Stanislas, peut-être aussi l’une de ses conquêtes. Moins belle en vrai ! « Son vrai visage, rond et joyeux, ne pouvait être prêté sans risque d’incrédulité à une femme dont la beauté distille un parfum fatal dès son entrée en scène. »

Elise, une jeune femme à manager du point de vue cosmétique

Elise Dubouchez, une jeune femme commune, qui possède des « cheveux courts d’un blond fade, une bouche qu’un rouge à lèvres maladroit amenuise jusqu’à n’être plus qu’un cul de poule. » mérite toutefois que l’on se penche sur son cas. Stanislas décide de la métamorphoser, en lui apprenant les bases du maquillage ainsi que l’art de se coiffer et de s’habiller avec élégance. Vraie ou fausse, cette histoire ? Apparemment, fausse, si l’on en croit les confidences de Félicité, qui réclame la paternité de cette transformation radicale. C’est elle qui s’est chargée de la tâche d’apprendre à Elise à se « farder, à se coiffer, à s’habiller. » Dans le roman, Stanislas parle d’une « amie plus âgée », « qui apprend à la jeune fille qu’un maquillage et une coiffure sont un choix. » Dans la fiction de toute façon, le héros S. n’est pas marié ! Au final, Elise s’éclaircira les cheveux, fardera ses yeux ; elle n’en restera pas moins complètement idiote ! Elise et Stanislas (le vrai ou le faux, on ne sait pas trop bien) fileront le parfait amour dans des hôtels sordides, où une mégère édentée vous tend serviettes et « savon bleu », en même temps qu’une clé. La chambre est « tragique » et l’odeur qui y règne plus que douteuse. « Le parfum de déodorant qui efface mal les relents de sueur du couple précédent » n’est guère romantique... on l’admettra. On croise dans les escaliers une vieille femme au « visage trop fardé, accompagnée d’un jeune homme aux cheveux calamistrés ». Pour arriver à se dépatouiller d’un amour devenu par trop encombrant, Stanislas multiplie les mensonges. Quand il prétend revenir d’un enterrement alors qu’il empeste le parfum, Elise n’a pas de mal à reconnaître la fragrance dont se sert sa meilleure amie (S. bien entendu a acheté un flacon et s’est parfumé légèrement avant de retrouver sa maîtresse). Stanislas cherche à se rendre odieux et cela fonctionne !

Dimitri, un dandy qui cocotte

Vrai ou faux, le dandy, le vieux beau, Dimitri Papanou ? Une « pochette parfumée », une moustache blanche, un sillage qui provoque les moqueries dans les transports en commun. Les usagers se moquent du « parfum qui émanait de lui par vagues, et luttait mal contre l’odeur d’électricité brûlée du métro, la sueur, la poussière. »

Maximilien von Arelle, un amateur de tiaré

Maximilien, personnage de roman, est un séducteur, qui aime voyager et se donner du bon temps. Sur un paquebot, il scrute les femmes et cherche à savoir ce qui se cache derrière les maquillages, « qui résistent aux projecteurs de la salle de bal. ». Dans son carnet, Maximilien croque ses camarades de voyage. Melle Cunégonde est, à ses yeux, « une ombre, l’ombre de ses parents qui la protègent du soleil et des satyres. » A Tahiti, Maximilien aime « l’odeur des tiarés et des cheveux tahitiens. » La peau sucrée des belles autochtones grise l’écrivain, amateur de parfums exotiques. Maximilien ne serait-il pas Stanislas, cet auteur qui le met en scène ? On sait, en effet, que Stanislas aime bronzer, au soleil des Tropiques. On sait aussi que Stanislas aime à s’installer à une table de travail, saturée de parfum de tiaré, les fleurs « enveloppées dans une feuille de bananier humide », flottant allègrement dans une assiette creuse remplie d’eau. Maximilien est un homme à femmes, un homme qui plaît aux dames et rassure les maris. « Le soin avec lequel je rhabille ces dames, les maquille, les coiffe er les ramène chez elles, propres, sans un pli à leur jupe, avec tous leurs sous-vêtements, sans exception, me fait une excellente réputation. » Maximilien et Audrey... une histoire d’admiration débutée durant l’enfance, une histoire d’amour conclue à l’âge adulte. Maximilien aimerait qu’Audrey prenne soin d’elle, à l’aide de cosmétiques... « C’est un détail qu’elle a toujours négligé » ! Audrey ne se parfume pas, car elle sait que sa peau possède une odeur « plus attirante que n’importe quel artifice ».

Un déjeuner de soleil, en bref

Allez-vous y retrouver dans ce roman qui mêle les personnages vrais ou faux, moitié vrais, complètement faux, comme une machine automatique à mélanger les cartes. Les yeux masqués derrière des lunettes de soleil, Michel Déon triche effrontément, bluffe, nous raconte des histoires... C’est un peu ce que l’on est venu chercher en ouvrant cet ouvrage après tout. On se laisse bronzer au soleil de l’écrivain, on se laisse duper, on en sortira hâlé, même si l’on n’a pas le phototype qu’il faut ! Et puis, on en apprend de bonnes sur Coco et ses chapeaux et sur « la Révolution française », qui a commencé à libérer les femmes de leur corset, avant que Coco ne porte l’estocade finale. Michel Déon nous conseille de regarder les gravures sur lesquelles posent les Merveilleuses de l’époque. « Tout est dehors » ! Tout est dit ! Il nous encourage également à prendre soin de notre apparence, une bonne thérapie, semble-t-il !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Déon M., Déjeuner de soleil, Collection Folio, Gallimard, 1981, 441 pages

 

 

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