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Meurtre au champagne, la Veuve Clicqot et l’eau de Cologne y coulent à flots !

> 18 octobre 2020

Meurtre au champagne, la Veuve Clicqot et l’eau de Cologne y coulent à flots !

Le Luxembourg, un restaurant–dancing, drôle d’endroit pour un meurtre !1 Une veuve Clicquot 1928 cyanurée, drôle d’arme pour un meurtre ! La victime, Rosemary Marle, est une jeune femme d’une grande beauté, malheureusement sotte comme un panier. Mariée au très sérieux George Barton, son aîné de nombreuses années, Rosemary, de caractère volage, prend du bon temps dans les bras de Stephen Farraday, un homme politique plein d’avenir et papillonne avec Anthony Browne, un jeune homme dont on ne sait pas grand-chose. Au cours de son dîner d’anniversaire, alors que sont réunis autour de la table Anthony Browne, Stephen et Sandra Farraday, Ruth Lessing (la secrétaire dévouée de George), George et Iris Marle (la sœur de Rosemary), le drame se produit. Rosemary s’écroule, son verre de champagne à la main… empoisonnée. Un an après, alors que les mêmes convives sont réunis dans le même lieu, c’est au tour de George de passer l’arme à gauche, au milieu des branches de romarin qui décorent la table en souvenir de la belle Rosemary (en anglais romarin se dit rosemary). C’est le colonel Race, un homme séduisant d’une soixantaine d’années, à la « figure cuite au soleil », qui va tenter de résoudre cette double énigme. Qui a empoisonné les coupes de champagne ? Pourquoi ?

Ruth Lessing, un peu trop transparente !

Ruth Lessing est une secrétaire dévouée, efficace, séduisante et élégante. Elle aurait bien épousé son patron. Oui, mais celui-ci ne lui accorde que peu de regards, même s’il la trouve bien jolie. « Il aimait le lustre de ses beaux cheveux noirs, ses tailleurs bien coupés, ses chemisiers, les petites perles qui paraient ses oreilles bien ourlées, son visage à peine poudré et le rose atténué de son rouge à lèvres. » Sa beauté, tout comme son maquillage, sont trop discrets, semble-t-il. Iris se donne, pourtant, un peu de peine pour attirer l’attention de George… sans succès ! « Une station chez le coiffeur, une robe noire toute neuve, un maquillage soigné qui lui fit un visage un peu différent de celui de tous les jours ». Ruth est une besogneuse, toujours à la tâche. Pas le temps de se dorer au soleil comme ces belles dames oisives (« les loisirs lui manquaient qui lui auraient permis de se brunir au soleil »). Ses bras restent blancs, « plus blancs que ceux des autres femmes ». Ruth est transparente aux yeux de George. Pourra-t-elle supporter cet affront longtemps ?

Rosemary Marle, un peu trop sotte !

Rosemary rime avec visage et corps parfaits. Ses « épaules magnifiques et blanches » font tourner les têtes lors des soirées mondaines. Tout est dit. A part cela, Rosemary est totalement insignifiante. Les hommes s’en lassent bien vite et regrettent amèrement d’être tombés dans ses pièges ; Stephen Farraday, en particulier, ne sait plus trop comment se sortir de ce guêpier. Rosemary a l’idée saugrenue de vouloir s’enfuir avec lui après 6 mois de passion partagée. Six mois… c’est le temps qu’il a fallu à Stephen pour se rendre compte de son erreur. Rosemary, ça suffit ! Mettre en péril une carrière politique bien engagée pour une sotte petite dinde, non merci. Ajoutez à cela que l’appui de Sandra, son épouse, vaut de l’or… Il n’est pas question de tout détruire pour une passade qui se meurt doucement. Pour bien comprendre Stephen, il faut repartir en arrière et se souvenir de son enfance étriquée, avec une mère alcoolique ayant développé une véritable « passion pour l’eau de Cologne » (« Quant à sa mère, sans grande personnalité, sans but dans la vie, d’humeur extraordinairement changeante, Stephen ne l’avait comprise que du jour où il l’avait trouvé étendue sur le parquet, inconsciente à côté d’une bouteille d’eau de Cologne vide »). Stephen a pris place dans l’ascenseur social ; il ne compte pas s’arrêter au premier étage.

Iris Marle, un peu trop déshéritée

Iris est une jeune fille pauvre ; sa sœur Rosemary a été la seule héritière d’un oncle riche comme Crésus. De quoi créer des tensions ! Dans son sac, et comme dans celui de toute femme qui se respecte, Iris conserve « un poudrier, un rouge à lèvres, un mouchoir, un petit peigne dans son étui et un peu de monnaie » ; en fouillant bien, on pourrait même peut-être aussi trouver un petit sachet contenant du cyanure !

Chloé Elisabeth West, un peu trop ressemblante

Afin de démasquer le coupable du meurtre de Rosemary, George a décidé de lui tendre un piège. Pour ce faire, il prend contact avec une jeune actrice qui ressemble vaguement à la défunte. Un maquillage élaboré lui permettra de faire illusion et de tétaniser le coupable. Chloé n’aura, malheureusement, pas le temps d’entrer en scène.

Sandra Farraday, un peu trop aimante

Sandra Farraday est une femme décidée et aimante, le genre d’épouse exemplaire qui fera tout pour permettre à son époux d’atteindre son but. Dès le début de la relation entre Stephen et Rosemary, Sandra a vu clair dans le jeu des deux amants. Le parfum de Rosemary est reconnaissable entre mille pour une épouse olfactivement attentive. Sandra serait tout à fait capable de glisser du poison dans un verre pour sauver la réputation de l’homme qu’elle aime.

Meurtre au champagne, à la bonne vôtre !

Lorsqu’Agatha Christie nous invite au Luxembourg pour un dîner entre amis, il y a de quoi se faire un peu de souci. Un petit jeu de passe-passe dans les sacs de ces dames au moment où elles se lèvent pour aller se repoudrer dans les toilettes, un petit jeu de chaises musicales lorsque chacun revient s’assoir à table après avoir tourbillonné sur la piste de danse et le tour est joué. Et si le meurtrier n’était pas à table ? Et si le meurtrier était à la table voisine, grimé avec talent afin que l’on ne puisse pas le reconnaître. La « peau jaunâtre, les yeux injectés de sang », « particularités physiques qui s’obtiennent l’une et l’autre par un maquillage et qui changent considérablement l’aspect d’un individu », l’assassin guette sa proie dans l’ombre et attend son heure pour transformer une boisson de fête en arme destructrice. A lire, une coupe de champagne bien fraîche à portée de main.

En remerciement, nous levons notre verre à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, auteur de cette illustration... et amateur d'eau de Cologne !

Bibliographie

1 Christie A. Meurtre au champagne, Librairie des Champs Elysées, 251 pages

 

 

 

 

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