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Médée et Jason, une violente histoire parfumée

> 11 avril 2021

Médée et Jason, une violente histoire parfumée

Chez Jean Anouilh, le drame antique prend des allures de confidences de télé-réalité.1 La nourrice recueille les épanchements et fait, ensuite, fuir l’information sur les réseaux sociaux. La belle Médée, celle qui utilisait de l’huile parfumée pour oindre son corps, est sur le retour. Le parfum voluptueux de sa peau n’est plus qu’un lointain souvenir. Désormais, Médée pue ! Jason s’en est lentement détaché, allant chercher sur d’autres peaux les souvenirs des jours heureux.

Les cosmétiques de la jeunesse

Avant de fuir avec Jason, avant de vivre avec lui, avant d’en avoir deux enfants, Médée a été une jeune princesse, une jeune fille innocente, qui vivait dans un beau palais de marbre blanc. Une foule de servantes, bien évidemment, à sa disposition, des servantes pour faire couler l’eau du bain, au retour d’une promenade harassante, des esclaves prêtes à laver leur maîtresse, à frotter son corps avec une huile parfumée (« On tirait des robes des coffres et tu choisissais, calme et nue, pendant qu’elles te frottaient d’huile. »). Une vie huilée à l’excès sans souci apparent, une vie émolliente, qui fait la peau douce et rend l’âme aussi malléable que l’éponge du bain. Et puis, un jour, un beau jeune homme entre en scène, un nommé Jason, un « héros brun, descendu de sa barque », un « enfant gâté », un ambitieux qui veut tout, tout de suite, et qui pousse l’innocente Médée sur les chemins du crime, qui pousse la fille d’un roi à devenir une « fille plus belle et plus dure que les autres ». Un homme qui, durant 10 ans, va tenir la petite Médée par la main, la mener par le bout du nez...

Les cosmétiques de la maturité

Ses crimes commis, voilà Médée fuyant sur les routes, traînant derrière elle ses enfants, sa nourrice. Le corps de Médée n’est plus frotté d’huile ; le parfum qui s’exhale de son corps est, désormais, celui de la haine : « Ô ma haine ! Comme tu es neuve... comme tu es douce, comme tu sens bon ! » Jason a lâché la main de Médée, il s’est emmouraché d’une autre femme et compte bien refaire sa vie, comme si une anosmie soudaine le privait de ses sens et coupait le lien étroit qui subsistait encore entre elle, son ancien amour, et lui. Médée, elle aussi, a vieilli, s’est lassée ; elle « n’est plus cette femme attachée à l’odeur d’un homme » ; c’est une furie, prête à tout pour gâcher le bonheur de celui qui a pillé sa vie, de celui qui va la renier, en convolant en injustes noces avec la fille du roi Créon, une « petite oie de Corinthe », à la « douce odeur aigre ». Cette odeur douceâtre censée supplanter l’odeur voluptueuse de Médée ?

Les médicaments de la vieillesse

Le roi Créon a commis bien des crimes durant toute sa vie ; pour asseoir son trône, il a fallu en passer par là. Et maintenant qu’il est vieux, maintenant qu’il est pris de douleurs gastriques à la fin des bons repas (ni les « bouillies », ni les « poudres » n’en viennent à bout), le voilà qui hésite à sacrifier Médée ; le bonheur de sa fille, la vie de celle-ci même peut-être est pourtant en jeu. Rien n’y fait. Le roi Créon est devenu aussi faible qu’un nourrisson. D’une lâcheté incroyable. La peau du « vieux crocodile » est toute exfoliée !

Les cosmétiques de la vieillesse

Du parfum, des déodorants, des baumes parfumés, des émulsions qui font l’âme douce et la peau tendre et satinée... Au lieu de tout cela, Médée n’est plus que puanteur. « Je pue ! Je pue Jason ! »

Médée, en bref

Médée, c’est l’histoire d’une transformation, d’une naissance, d’un naufrage (celui de la vieillesse), dès lors que le commandant du vaisseau (un certain Jason) quitte le bord. Une histoire violente à odeur forte. Une histoire qui commence dans le sang et finit de même !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l’illustration du jour !

Bibliographie

1 Anouilh J. Médée, La petite vermillon, La table ronde, Paris, 1997, 91 pages

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