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Maurice Genevoix, l’inventeur de l’Ile aux enfants !

> 11 novembre 2020

Maurice Genevoix, l’inventeur de l’Ile aux enfants !

Jardins sans murs de Maurice Genevoix est un drôle de roman qui sent la noisette, la fraise, l’eau de Bully, le jasmin, la lavande et bien d’autres senteurs encore !1 Un catalogue Vilmorin en somme qui réserve une surprise botanique à chaque page, une jardinerie Truffaut qui se visite, installé dans un bon fauteuil. Allergiques aux graminées, aux pollens divers et variés, passez votre chemin. Les jardins qui ont marqué l’enfance de François Monsarrat, Fan pour les intimes, sont des jardins foisonnants de mille espèces, des jardins fleuris, « source de joie » et de « parfum ». Ces petits carrés de terre fraîchement retournés, ces espaces laissés à l’abandon abritent de prétentieux rosiers, de volubiles aristoloches, de croquants noisetiers. « Les tilleuls aux feuilles tendres » appellent aux confidences, sous une pluie d’inflorescences. Autour des bassins, se poussent la salicaire mellifère, la renoncule hydrophile, la mousseuse saponaire ou herbe à savon. « L’odorante tanaisie » éloigne les insectes et crée une bulle paisible, au sein du jardin vrombissant. Le vieil homme se souvient de son jeune temps ; il s’embrouille un peu... évoque sa petite-fille, émerveillée devant les ophrys frelons rebaptisées « les fleurs bêtes ». Les grandes peines, les petits chagrins, les grandes douleurs liées à des incompréhensions, les premières amours… tout y passe. Les parfums remontent aux narines, les yeux se font tendres ; les yeux bleus des père, mère, grand-mère, tante et fiancée forment une ronde de myosotis qui murmure tout bas, tout bas, ne m’oublie pas !

Des jeunes filles, des jeunes femmes, des grands-mères, diversement parfumées

La peau de grand-mère fraîche et rose embaume « l’eau de Bully ». Son « beau visage lisse presque sans rides » ne change pas au fil du temps. Pour maman, c’est autre chose. Un peu de poudre de riz sur le nez et de l’eau de rose pour se rafraichir des yeux-chagrin qui viennent de pleurer. Les voisines, que l’on appelle les dames Semat, distillent une « odeur de suie », pas franchement agréable. La tante Marthe partage, avec sa mère, des yeux d’un bleu limpide, « couleur de chicorée sauvage ». Sa peau et ses cheveux sont imprégnés d’une suave « odeur de jasmin », qui appelle les baisers, les câlins.

Des vieilles dames, au fond de teint peu couvrants

Mme Vallier s’applique, sur le visage, « un fond de teint bis ». Le résultat est une face blafarde, où transparait malgré tout une couperose acariâtre.

Des petites bonnes délurées qui abusent de poudre de riz

Anna, la petite bonne de 18 ans est « trop blanche », « anémique ». il faut préciser que cette pathologie n’a rien de physiologique ; elle est purement cosmétique. Anna s’enfarine les joues avec générosité.

Des cueilleurs de champignons qui gobent des escargots tout chauds

Dans le jardin secret de Maurice Genevoix, on aperçoit un amateur de champignons, qui gobe les escargots tout crus. L’enfant, qui assiste au spectacle, observe le trajet du gastéropode, qui prend son temps. Une fois passé la pomme d’Adam, on perd sa trace ! Cet escargot, avalé d’un coup, est un fortifiant du tonnerre pour « poitrinaire ». Excellent pour la « gorge » et « les poumons ». Enfin…

Des maîtres d’école qui sentent la benzine

Dominique Truchard est un maître que l’on n’oublie pas. « Cheveux en brosse » et « moustache effilée », cet instituteur, à l’allure martiale, fait marcher ses élèves à la baguette ou plutôt à la trique. Fier de Fan, le premier de la classe, M. Truchard se fait beau pour l’épreuve du certificat d’études ; il est prêt pour recevoir les éloges que ne manquera pas de recevoir celui qui sait tout sur tout. Sa tenue de cérémonie sent « la benzine », témoignage de l’élimination des taches à l’aide de ce dérivé de pétrole.

Un oncle qui sent la mousse à raser

Le mari de la tante Marthe, oncle Gaston est un fier militaire, qui, pour les grandes occasions, se rase « à vif » et roule sa moustache avec soin. Sanglé dans son uniforme, Gaston a belle allure !

Et puis des bains de sang pour retrouver des forces

Pour repartir du bon pied après une fracture au niveau du pied, des bains de sang s’imposent. « L’échaudoir, ce bœuf que le boucher abattait presque sous ses yeux, tout ce sang mousseux et fumant qu’on versait dans un seau et il plongeait sa jambe. » Et dire que 50 ans plus tard, les femmes qui souhaiteront retenir un peu de jeunesse au creux de leurs pommettes se mettront sur le visage du sérum de cheval.2

Dans le jardin secret de Maurice Genevoix

Il y a le rêve, il y a la réalité.

Le laboratoire de M. Vaissade, imaginé comme l’antre d’un alchimiste, est, en fait, une vieille cave munie d’un fourneau et de vieilles casseroles. Pas de « charmes puissants », ni « d’opiats » ou « d’élixirs » ! Le présumé alchimiste fait sa popotte sur un réchaud ; ses épaules sont couvertes de pellicules. Pouah ! Pas de quoi rêver.

Il y a les amours enfantines. Une maitresse, Melle Suzanne, emportée trop tôt par la tuberculose. Il y a Marie et Isabelle et surtout Claire Delayance, ses « yeux d’un bleu profond presque violet », son « odeur fraîche de lavande » et ses cernes « couleur d’ancolie ».

Chez Maurice Genevoix les jeudis dans les jardins de grand-mère sont remplis d’enfants ; on se croirait dans « l’ile aux enfants ». Pas de monstre gentil s’appelant Casimir, mais un jardinier qui se nomme Ludovic et qui pourrait tout à fait ressembler à un marchand de ballons, nommé François et une tante pleine de douceur qui pourrait bien vendre des bonbons, comme la célèbre Julie. « L’île » de Maurice Genevoix est un domaine réservé aux enfants et à tous ceux qui ont gardé une âme d’enfants ! ... Voici venu le temps, des rires et des chants, dans l’île de Maurice Genevoix, c’est toujours le printemps !

Un merci en cette occasion à Christophe Izard, patron de l’Ile aux enfants, une île qui a enchanté notre enfance !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ton interprétation des souvenirs d'enfance de Maurice Genevoix !

Bibliographie

1 Genevoix M. Jardins sans murs, Le livre de Poche, 1984, 249 pages 

2 https://www.huffingtonpost.fr/celine-couteau/la-veritable-histoire-du-serum-elixir-de-jeunesse-qui-ne-tient-pas-toujours-ses-promesses_b_9415708.html

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