Nos regards
Marcel Pagnol, le temps des amours cosmétiques

> 25 juin 2017

Marcel Pagnol, le temps des amours cosmétiques

Avec ce dernier ouvrage nous refermons les pages consacrées aux souvenirs de jeunesse de Marcel Pagnol, avec un peu de nostalgie...

Où il est question de « la pâte Berlaudier » dans les cheveux de Marcel : le Berlaudier en question n’est pas un pharmacien soucieux d’arrondir ses fins de mois en mettant au point des préparations cosmétiques capillaires, c’est un chenapan qui, à l’aide d’une pâte de sa composition (« la boule collante » est « composée de papier buvard » mastiqué avec « une visqueuse abondance de son écumante salive »), envoie les professeurs au plafond. Ceux-ci se présentent sous la forme de pendus exécutés à l’effigie des différents enseignants par le dessinateur de la bande !

Où il est question de M. Lagneau, un père terrifiant : le paternel de Lagneau est un homme qui ne plaisante pas avec la discipline, pourtant son fils le roule dans la farine avec la complicité de sa mère et de sa tante qui couvrent autant que faire se peut toutes ses incartades. M. Lagneau possède « une moustache noire énorme, et tellement de poils sur les mains que des fois il les coiffe avec un petit peigne. »

Où il est encore question d’un maquillage outrancier : Marcel Pagnol aperçoit, parfois, dans « l’étroite rue Mazagran » « des dames peintes comme des poupées » qui « prenaient l’air du soir en se promenant infatigablement. » Ces dames au maquillage outrancier réalisent leurs exercices du soir avec grande application (http://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/marcel-pagnol-le-temps-des-secrets-cosmetiques-247/).

Où il est question d’une femme qui, plus d’un siècle avant Dove, s’inscrit dans la morphologie « bouteille » (http://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/dove-100-grotesque-227/) : la tante et néanmoins marraine de Lagneau « était très grande, avec des épaules tombantes comme les bouteilles d’eau minérale. »

Où il est question d’un braconnier qui a une peur panique des cosmétiques : Mond des Parpaillouns doit traquer dans les journaux tout ce qui a trait à la toxicité des cosmétiques. Avant la mode du No-Poo, il est adepte de la mode du No-savon, du No-douche, du No-bain. « Il faisait sa toilette à sec, en se grattant mais le dimanche il taillait sa barbe au sécateur. »

Où il est question de bronzage et de teint de marbre : il faut de tout pour faire un monde en ce tout début du XXe siècle. Des camarades de lycée, des Grecs d’une grande famille marseillaise sont « beaux comme des statues et le teint doré ». Lagneau qui s’est épris, quant à lui, d’une jeune fille aperçue à sa fenêtre imagine dans ses rêves « sa gorge d’albâtre ».

Où il est encore question de colophane (http://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/marcel-pagnol-a-la-gloire-du-savon-239/) : Marcel Pagnol nous a déjà confié les misères qui lui furent infligées par un baiser un peu trop pressant réalisé sur l’écorce d’un pin ; il ne peut s’empêcher de nous parler à nouveau de « la résine qui coulait comme du miel aux fentes rouges des écorces noires. »

Où il est question du soleil qui rend parfois les gens fadas. M. Sylvain est visiblement dérangé. Il en situe la cause un jour de grand soleil sur le pont de son bateau : « Un jour une très rayonnante insolation m ‘étendit raide comme un arbre de couche. » Depuis, sa vie « avait pris un gîte d’environ 10 degrés. »

Où il est question de la peste de 1720 et d’un quartier qui tente de résister à l’épidémie : Maître Passacaille le notaire prend l’affaire en mains ; il possède deux favoris noirs, « d’un noir-grisâtre, qui était dû à un peigne de plomb. ». Les sels de plomb ont constitué les ingrédients-phares des teintures capillaires pendant plusieurs millénaires. Durant l’Antiquité, Pline l’Ancien propose une recette-maison de teinture capillaire à faire pâlir (c’est le cas de le dire !) nos blogueuses-beauté actuelles adeptes du DIY ! « Prenez un setier de sangsues et deux setiers de vinaigre pur ; battez le tout puis placez-le dans un vase en plomb, où vous le laisserez fermenter pendant soixante jours. Au bout de ce temps, frottez-vous en les cheveux ; au soleil, ils deviendront d’un noir magnifique. » Tout est naturel dans cette préparation ; on peut donc lui confier notre tête et nos cheveux en toute sécurité, ne manqueront pas de nous susurrer les apprenties-cosmétologues ! La préparation obtenue contenait des sels de plombs permettant de teinter les cheveux. L’usage d’un vase de plomb n’étant pas une technique très simple, on pouvait également avoir recours à un peigne au plomb trempé ou non dans le vinaigre (Le Florentin R., Cosmétiques et produits de beauté, Paris, Desforges, 1938, 201 pages). Ces peignes de plomb, n’en déplaisent aux adeptes des produits naturels (naturels donc bons pour la santé) ont causé des empoisonnements graves (Monin E., Hygiène de la beauté, Doin, Paris) à type de saturnisme, pendant bien des siècles. Le peigne de plomb des Romains sera remplacé, au XIXe siècle, par une brosse enduite d’une solution renfermant des sels de plomb. On parlait alors de teintures progressives, car plusieurs applications étaient nécessaires avant d’obtenir la nuance convoitée, les cheveux passant progressivement du blanc au gris-noir, après une teinte intermédiaire jaune et brun-roux (Gastou P., Formulaire cosmétique et esthétique, Baillière, Paris, 1939, 312 pages).

Pour éviter la contamination, de « grandes toilettes médicales » sont réalisées. Les vêtements de toute personne qui s’est enhardie à descendre dans les quartiers contaminés de Marseille sont brûlés sur le champ ! Le docteur, Maître Pancrace, fabrique un antiseptique bien connu à l’époque. « Apportez-moi plusieurs bottes de rue, de menthe, de romarin et d’absinthe, en les faisant macérer dans le vinaigre, nous obtiendrons une liqueur qui s’appelle le Vinaigre des Quatre Voleurs, et qui a fait merveille pendant la peste de Toulon, il y a soixante-dix ans. Ce n’est pas un remède à la maladie, mais cette lotion est un préservatif des plus efficaces parce qu’il détruit les insectes invisibles qui propagent la contagion. ». Les vinaigres cosmétiques ont été très en vogue dans le passé. Celui des Quatre Voleurs est le plus réputé. « Quatre individus grâce à ce préservatif, purent approcher sans danger un grand nombre de pestiférés. ». Prétextant des intentions pures (le désir de porter assistance aux malades), les quatre voyous détroussaient, en réalité, morts et mourants... « Arrêtés plus tard, un d’eux échappa aux galères en révélant la composition de ce prophylactique. » (Piesse S, Histoire des parfums, 1890, Baillère, Paris, 371 pages). Ces vinaigres de toilette, composés « d’alcools parfumés plus ou moins dilués contenant des doses variables d’acide acétique », ne sont pas de la plus grande douceur. Le vinaigre des Quatre Voleurs est proposé à « la femme moderne » pour sa « toilette intime » par le Dr Lusi. Considéré comme antiseptique, antimiasmatique ou désinfectant, ce vinaigre n’est pas, selon lui, un cosmétique. En usage local, cet antiseptique inhalé vient à bout « des syncopes, vertiges et autres lipothymies… » Ce vinaigre ne comporte pas moins de 15 ingrédients. Le temps nécessaire pour mettre au point la formule est de 15 jours. Il convient donc de surveiller attentivement le degré d’avancement de son flacon de vinaigre si l’on ne souhaite pas être pris au dépourvu. Pour réaliser ce vinaigre, il faut les ingrédients suivants : sommités sèches de grande absinthe (15 g), sommités sèches de petite absinthe (15 g), menthe poivrée (15 g), romarin (15 g), rue (15 g), sauge (15 g), fleurs de lavande (15 g), racine d’acore vrai (2 g), cannelle de Ceylan (2 g), girofles (2 g), muscades (2 g), ail (2 g), camphre (4 g), acide acétique cristallisable (15 g) et vinaigre blanc (1000 g). « Faites macérer le tout, excepté le camphre et l’alcool, dans le vinaigre pendant deux semaines, puis exprimez et filtrez. Faites dissoudre le camphre dans l’alcool et mêlez tout ensemble. » Le Dr Lusi est très mesuré sur l’intérêt de ce type de formule : « Tous ces vinaigres de toilette, qui contiennent, du vinaigre sont très mauvais pour la peau. On sait, en effet qu’une goutte de vinaigre versée sur la peau s’enflamme, et apparaît aussitôt une phlyctène ; par conséquent étendu d’eau doit-il irriter la peau. » (La femme moderne, son hygiène, sa beauté, ses enfants, 1905, 310 pages). Que dire de l’utilisation à grande échelle de ce vinaigre des Quatre Voleurs ? Marcel Pagnol qui désinfecte les héros de son roman à grand renfort de vinaigre aromatisé n’a, sans doute, pas imaginé les conséquences cutanées qu’il était susceptible d’engendrer ! Afin de pouvoir sortir de Marseille, maître Pancrace imagine un subterfuge. Il met au point, non pas un maquillage correcteur, mais un maquillage déformant qui donne aux biens-portants l’aspect de pestiférés. Le seul moyen de fuir la ville maudite est de simuler un cortège funèbre qui mène les pestiférés hors des murs de la ville. « Avec du bouchon brûlé, de la colle, de la poudre de safran, du plâtre, de la suie, de l’étoupe, et toutes sortes de pâtes colorées, Maître Pancrace crée des pestiférés très honorables. S’il ne savait pas guérir les bubons, il savait du moins en faire d’admirables. »

Où il est question de parfum : à la kermesse « une cohue qui sentait la jeunesse et le parfum Piver » se presse dans le parc d’une belle propriété. Les parfums Piver, qui ont traversé les siècles de Louis XVI à Emmanuel Macron, parfument alors les grands noms (Sarah Bernhardt, la famille de Bonaparte...), aussi bien que les jeunes filles qui ont su économiser, sou après sou, pour s’acheter des gants parfumés, de la poudre de riz ou bien un petit flacon d’eau de lavande qui fleure bon le midi. Les senteurs Piver sont des grands classiques de la parfumerie française. Agrumes, lavande à « odeur de propre », thym, bergamote, girofle, romarin composent des bouquets changeants qui ne manquent pas de rappeler, à Marcel Pagnol, ses chères collines ensoleillées !

Où il est question d’une rencontre ratée entre Lagneau et sa Dulcinée. « Elle tira de je ne sais où un petit poudrier dont le couvercle portait à l’intérieur un miroir. » La poudre de riz est alors LE cosmétique par excellence. Il sèche les larmes... et redonne bel aspect à une jeune fille qui vient de se rendre compte que ses amours épistolaires ne sont vraiment pas à la hauteur de ses espérances.

Femmes au maquillage marqué, braconnier peu enclin à la toilette, jeunes hommes bronzés, jeunes filles au teint de lait, gentil fada pour cause de grand soleil, père terrifiant de sévérité, mère et tante déconcertantes de gentillesse, Marcel Pagnol dresse une galerie de portraits inimitables qui nous replonge dans un temps où les cosmétiques étaient encore des produits de luxe !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour sa vision de ce Regard sur Pagnol !

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