> 19 septembre 2021
A 30 ans, Amélie Nothomb s’est offert un hochet, ce jouet pour bébé qui fait du bruit quand on le secoue... La tête pleine de grelots, ce hochet, qui l’a eue par la flatterie, lui a offert quelques bonnes années de fidèle amitié, avant de finir à l’eau (pouah, quelle drôle d’idée de boire de l’eau !).1 Le hochet en question n’est pas une chose inanimée, mais une jeune fille aux allures de garçon manqué. Une jeune fan qui, après avoir correspondu avec l’écrivain belge, a sauté le pas et est devenue son amie-confidente-consolatrice-compagne de beuveries élégantes, sur fond de cimes enneigées ou de palace londonien. Dans son roman Pétronille, Amélie la bavarde se met à nue - quittant pour une fois son célèbre bleu d’écriture, « un genre de pyjama anti-nucléaire japonais » de la couleur du kaki, ce fruit orange qui, consommé trop tôt (si l’on n’a pas la patience d’attendre sa maturité), donne une sensation de soif difficile à éteindre - devant son amie Pétronille Fanto, une fille du genre taiseux, ressemblant à s’y méprendre à un garçon de 15 ans, alors même qu’elle a déjà soufflé ses 22 bougies. Une fille plutôt calée en littérature, une fille d’un milieu modeste, dont les parents sont communistes (les derniers du genre ?). Des pupilles de « piment rouge »... qui appellent l’extincteur. Un extincteur rempli de champagne, évidemment !
Comme la sensation d’être devenue un fruit confit. L’alcool, chez Amélie Nothomb, décuple les sensations, rendant l’épiderme sensible aux vêtements et les neurones perméables aux idées volant dans les airs. « Mon esprit marinait dans un bain de départ d’idées, au sens étymologique : une idée est d’abord quelque chose que l’on voit ». Faites passer, s’il vous plaît, le filet à papillons... Amélie part en chasse. Pas question de laisser filer un ou deux spécimens rares. A jeun ou non, l’écriture crée la fièvre, qui crée la confusion (« confusion dans laquelle je me baigne »). La fièvre nécessite le bain. Le bain refroidit les esprits et tout est à recommencer...
Et une interview pour Mme Nothomb... telle est la commande d’un journal féminin à la mode ! La personnalité à interroger est une vieille punkette, complètement à l’ouest, et franchement tête de bois (mais ça au départ personne n’a prévenu Amélie). Son nom lui va à ravir ! Cet « enfant terrible de la mode » accueillera Amélie dans sa boutique londonienne. C’est parfait ! Amélie se met donc sur son 31 : « redingote de dentelle » et « chapeau Diabolo belge » ; une séance de maquillage plus tard « J’enneigeai mon teint, charbonnai mes yeux et carminai mes lèvres »… Amélie est prête pour affronter la mythique styliste. Tout commence par une marinade prolongée dans un cagibi qui sent le pneu ; puis, c’est l’arrivée de la diva, aux « longs cheveux couleur purée de carottes ». Une main molle, un air pincé, « revêche », un air de bourgeoise que l’on dérange, un phrasé constipé (c’est sans doute normal à force de bouffer des carottes par la racine des cheveux)... on ne peut pas dire que le courant passe entre interviewé et intervieweuse. Et pire, lorsque Vivienne Westwood ordonne à Amélie de sortir son chien... on atteint des sommets. Retour à l’hôtel, déprimée. Il ne reste plus qu’à se faire couler un bon bain (« Je marinai longuement en un bain brûlant et puis je m’installais au lit ») et à appeler Pétronille à l’aide, afin de noyer, dans un smog bulleux, la british déconvenue.
Pétronille a besoin d’argent. Quand on débute, difficile de s’y retrouver avec des droits d’auteurs poussifs qui tardent à venir. Pour faire bouillir la marmite, Pétronille prête son corps à la science, ingurgitant tantôt un médicament censé traiter la gastroentérite, le Bromboramase (on peut en ressortir « tuméfié » de manière unilatérale, comme si on sortait des mains d’un chirurgien esthétique de seconde zone), tantôt un vasodilatateur homéopathique, Gascalgine 30 CH, qui, de manière inhabituelle, pour ce type de médecine provoque un œdème oculaire loin d’être infinitésimal. Les traitements testés semblent efficaces, mais les effets indésirables associés ne semblent pas compatibles avec une commercialisation. L’Extrabromélanase, un médicament indiqué en cas de schizophrénie, en particulier, crée, chez Pétronille, un état de confusion mentale alarmant (« Qu’est-ce qui me prouve que je ne suis pas toi ? ») ! D’essai clinique en essai clinique, on assiste ainsi, sans pouvoir réagir, à une lente descente aux enfers d’une Pétronille pourtant plutôt vouée par son prénom aux délices du paradis. La roulette russe pharmacologique semble bien venir à bout de la santé, plutôt florissante par ailleurs, de la jeune femme. Et puis, c’est le médicament de trop... et voilà Pétronille rendue aux urgences, avec une méga-allergie qui englobe des éléments aussi variés que la poussière, la couleur orange, l’odeur du fromage préféré d’Amélie, le déodorant préféré d’Amélie... Après 3 mois de cohabitation avec Amélie, les médecins ne peuvent qu’établir le diagnostic suivant : Pétronille est devenue intolérante à Amélie ! La meilleure solution est donc d’exclure Amélie du régime pétronillien. Eviction de la source d’allergènes !
Le « tu » n’est pas de mise avec Amélie. « Non, c’est épidermique : le voussoiement me plaît. »
Dans ce court roman où le champagne coule à flots, on côtoie des écrivains qui râlent d’être ignorées, mal comprises, insultées (mieux vaut encore tout de même être insultées que royalement ignorées). On sent que le torchon brûle entre Amélie et Pétronille. On aimerait bien éteindre le feu, mais on n’a rien à portée de mains. Boulevard Richard Lenoir, on a comme une hallucination... ne serait-ce pas le célèbre commissaire Maigret,2-4 pipe au dents, allure massive, chapeau vissé sur la tête ? Va savoir... quand a trop lu... il arrive que les lignes se chevauchent et qu’elles dessinent des profils bien connus !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous rappelle qu'à défaut de sentir la menthe (!) Pétronille évoque le champagne !
1 Nothomb A., Pétronille, Albin Michel, 2019, 153 pages
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