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Lorsque Louis débouche le flacon aux souvenirs !

> 18 décembre 2022

Lorsque Louis débouche le flacon aux souvenirs !

« Le goût de la brouille est un héritage de famille », selon Louis, un vieil avocat qui réussit mieux en matière de placements financiers qu’en matière de sentiments.1 Un vieil homme qui mâchouille ses griefs toute la journée et se plaît à imaginer des stratagèmes pour déshériter des enfants un peu trop avides d’argent… Un vieil homme qui manque d’amour tout simplement ! Un vieil homme qui, au fil des pages, révèle ses faiblesses ! Un doux parfum de tilleul, un peu de bonne volonté et tout peut recommencer…

Une vieillesse dans une robe de chambre… malodorante

A 67 ans (Louis est dans sa soixante-huitième année), et après une vie passée sous une robe… d’avocat, Louis, le cœur malade (son angine de poitrine est soignée avec du « nitrite d’amyle », une substance proposée à la fin du XIXe siècle dans cette indication, puis remplacée par la suite par la trinitrine)2 vit, désormais, en robe de chambre « mal rasé, malodorant ». L’oreille aux aguets, Louis écoute les siens parler entre eux du « vieux crocodile ».

Après 40 ans de mariage, 3 enfants (la petite Marie, décédée toute jeune, Geneviève et Hubert) et plusieurs petits-enfants (dont Janine, la femme de Phili, un viveur assez pitoyable), Louis se décide à coucher sur le papier tous les griefs accumulés contre les membres de sa famille. Et chacun en prend pour son grade ! Un courrier que sa femme Isabelle (Isa, pour les intimes) trouvera dans ses papiers et qui lui fera voir son vieil époux d’un œil nouveau. Oui, mais voilà, les plans du vieil homme sont chamboulés par le destin… Isa meurt la première, alors que Louis est parti à Paris retrouver un fils naturel dont il compte bien faire son héritier. Oui, sauf que vraiment… non ce n’est pas possible d’arriver à quelque chose avec ce gaillard-là, un gaillard qui s’empresse de se mettre en relation avec les enfants légitimes par peur d’un procès. Ben, voyons, même pas capable d’accepter un héritage providentiel !

Des souvenirs amoureux odorants

Un mois d’août 1883, souvenir d’une petite jeune fille rencontrée à Luchon. Souvenirs pleins de tendresse d’un jeune homme qui rencontre pour la première fois le regard d’une jeune fille et se sent/se croit aimé. « Les tilleuls des allées d’Etigny, c’est toujours leur odeur que je sens après tant d’années, quand les tilleuls fleurissent. » La demoiselle Fondaudège en question, Isa, n’est pas vraiment prête à faire un mariage de raison. Un mariage manqué vient à peine de la laisser toute chagrinée. Pourtant, la famille Fondaudège va veiller au grain et tout faire pour unir les deux patrimoines. Pleurs de la jeune fille… Etonnement de Louis, bien embêté devant cette petite figure toute ruisselante… « Je me rappelle l’odeur de ces joues mouillées, l’odeur de ce chagrin inconnu. »

Isa forever… « La jeune fille odorante des nuits de Bagnères » !  

Et dire… que le premier amour d’Isa, un amour avorté, va peser lourd dans la vie du couple. Trop honnête, Isa se confiera, en effet, à son mari, sur l’oreiller, ce qui déclenchera chez celui-ci une rancœur tenace ! Jalousie, quand tu nous tiens !

Une belle-famille qui connaît l’odeur de l’argent

Money is money chez les Fondaudège ! La petite sœur d’Isa, Marinette, en sait quelque chose. Livrée pieds et poings liés à un baron subclaquant, Marinette est la sacrifiée de service. Il faut, toutefois, reconnaître que le baron Philipot fait des efforts pour paraître aussi jeune que sa chère et tendre. « Un corset le serrait à l’étouffer. Le col empesé, haut et large, escamotait les bajoues et les fanons. La teinture luisante des moustaches et des favoris faisait ressortir les ravages de la chair violette. » Chaque miroir rencontré est l’occasion pour le baron de vérifier le bon arrangement de son unique mèche de cheveux. Une mèche qui vient de loin… de la nuque ! Et qui va loin… jusqu’au front !

Beau-père et gendre ont quasiment le même âge. M. Fondaudège, pourtant, est encore fort apprécié de ces dames. Sa barbe blanche, sa calvitie, son ventre… ne l’empêchent pas de charmer son public féminin !

Un terrien… qui aime le parfum de brûlé

Louis aime la terre, les pins, le vent dans les pins… « Ce parfum que j’aime », comme il dit, c’est « cette odeur de cendre du vent lorsqu’il y avait eu, du côté de la mer des landes incendiés ».

Une jeune veuve qui apprécie le parfum de la liberté

A 30 ans et après 10 ans de mariage-calvaire, Marinette devient veuve. Elle hérite de plusieurs millions… à condition de ne pas se remarier. Isabelle, qui voit dans cette condition une bonne façon de toucher le jackpot, décide donc de dresser autour de la petite sœur une barrière infranchissable. Surtout ne pas risquer un remariage ! Dans la propriété de Calèse, Louis est donc chargé d’occuper Marinette. Les balades à cheval se succèdent ! Elle est bien séduisante avec ses « cheveux d’un blond sombre », qui frisottent dans le cou (« Cette merveille oubliée aujourd’hui, une nuque mousseuse »). Sa « taille de guêpe » sépare son corps en deux parties, tout aussi volumineuses l’une que l’autre. Buste et hanche s’épanouissent de part et d’autre d’un tour de taille réduit à l’extrême. Aucun risque d’adultère, Louis ne constituant absolument pas le type d’homme de Marinette.

Marinette finira tout de même par se remarier avec un journaliste rencontré à Biarritz. Elle mourra en couche laissant un orphelin, un garçon prénommé Luc.

Robert, le fils naturel qui sent la médiocrité

Robert, le fils né d’une aventure datant de 1909, est désormais un adulte. Un petit employé, « subalterne », un « abruti », qui ne mérite guère que Louis s’occupe de lui. Tout sent mauvais dans l’appartement qu’il partage avec sa mère et, en première lieu, cette dernière, une « grosse femme blême, aux cheveux décolorés », à « l’odeur acide » !

Et un bain salvateur

Lorsque Louis revient de son escapade parisienne, Isa est décédée d’une hémorragie cérébrale. La bonne vieille Isa n’a pas attendu le retour du mari prodigue ! De retour chez lui, Louis fait un malaise et profite des soins de la bonne sœur venue veiller la morte. « Quand ils furent sortis [ils, ce sont les enfants], je pus prendre un bain, m’habiller, boire un bol de bouillon. »

Et une petite fille aux cheveux odorants

Lorsque Janine est abandonnée par son mari, c’est chez son grand-père qu’elle trouve refuge avec sa fille. Une enfant dont la chevelure rappelle des souvenirs à Louis : « Je retrouvais, dans ses cheveux, l’odeur d’oiseau, de nid, qui me rappelait Marie. »

Le nœud de vipères, en bref

Marie (la fille adorée, celle qui meurt du typhus et dont le décès creusera encore un peu plus le fossé entre les époux), Luc (le fils de la sœur rejetée, celle qui a préféré son bon plaisir à la richesse de sa famille), la fille de Janine… autant d’êtres qui parlent au cœur de Louis, autant d’êtres qui ramollissent son cœur et le rendent capables d’aimer. Pour aimer… il faut être deux. Alors, à quoi bon toujours jeter la pierre à l’autre. Lorsqu’un vieux crocodile débouche le flacon aux souvenirs, il y a une bourrasque de senteurs, des notes florales, marines, animales… Autant de notes qui viennent bousculer les narines et répéter à qui mieux mieux : Attention, il n’est, sans doute, pas trop tard !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour son illustration du jour.

Bibliographie

1 Mauriac F., Le nœud de vipères, Grasset, 1959, 245 pages

2 Münzel T, Daiber A. Inorganic nitrite and nitrate in cardiovascular therapy: A better alternative to organic nitrates as nitric oxide donors? Vascul Pharmacol. 2018;102:1-10.

 

 

 

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