> 02 janvier 2022
Chez Jean Giraudoux, Electre est une jeune fille sacrifiée, offerte à un jardinier aux ongles sales. Un savonnage énergique des dalles de la piscine a conduit à la mort du roi Agamemnon, le père d’Electre. Un simple petit morceau de savon et la machine infernale du destin s’est mise implacablement en marche.1
Chez Amélie Nothomb, Electre est une jeune fille envoûtée par une rockeuse à succès, une fille fougueuse qui électrise les foules.2 A la suite d’un concert de légende de la fabuleuse Saskatchewan, la jolie Electre, savonnée et pomponnée comme il se doit, se retrouve en coulisses un bouquet de lys à la main. Une phrase échangée, une étreinte et la star passe son chemin... Un simple petit morceau de savon pour nettoyer le minois d’une admiratrice pas comme les autres et la machine infernale du destin se met implacablement en marche.
Pour Electre, l’étreinte avec son idole n’est pas chose banale. Désormais, la vie d’Electre est indissolublement liée à celle de Saskatchewan. Perchée sur une fenêtre en face de la demeure de la chanteuse, Electre est désormais capable de connaître les faits et gestes, de manière chronométrée, de celle qui obsède sa vie. Une vie réglée comme du papier à musique, avec un lever à heure fixe, les informations sur France 2 de manière automatique, un coucher, chaque soir, avec les derniers rayons du soleil. Drôle de vie, pour une chanteuse qui passe son temps à vocaliser la bohême !
Une menteuse quoi... Rien de plus. Une diva en cuir et Doc Martens qui se lève au chant du coq et se couche avec les poules, une diva en robe de chambre et dreadlocks sur la tête, une bonne mémère à son chien-chien qui a pour « habitude de laver elle-même les bêtes dans la baignoire » (les bêtes en question sont des bull-terriers) et qui adore cela ... « L’air d’une dingue, coiffée comme une négresse alors qu’elle a les cheveux décolorés en blond platine. » disent les mauvaises langues.
Une menteuse, trahie par la pousse de ses cheveux... « Cette pousse nouvelle n’avait pu être ni teinte ni traitée, elle n’était donc ni rasta ni blond platine, mais raide et d’un noir de suie. »
Lorsque Electre se glisse dans la salle de bain de sa star, stupeur et tremblements... des sortes d’éponges à l’allure étrange flottent dans l’eau du bain, dans un « remugle pestilentiel » ! Rien de bien sympathique d’un point de vue olfactif...
Amélie Nothomb, tout comme Jean Giraudoux, sait, à merveille, nous mettre en garde contre les savons, ces petits cosmétiques de base très anodins susceptibles de faire basculer toute une vie.
Et puis, pour Amélie... un blond platine qui sent la trahison. Un simple bout de kératine brut, non traité, sans aucun apprêt, sans traitement cosmétique particulier et voilà... l’image de la coqueluche des jeunes qui se dissout dans l’eau du bain, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire.
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette fée... Nothomb !
1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/il-a-glisse-chef-1387/
2 Nothomb A., Des plumes au courant, Editions Stock, 1996, 119 pages
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