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Les deux nigauds, il leur manque les codes... cosmétiques, tout simplement !

> 28 mai 2020

Les deux nigauds, il leur manque les codes... cosmétiques, tout simplement !

Les deux nigauds, ceux de la comtesse de Ségur (!),1 s’appelent Simplicie et Innocent Gargilier. Ces deux petits Bretons n’ont qu’une idée en tête, monter à Paris, voir Paris, comme le chantera bien des années plus tard Jacques Brel. Ils vont donc travailler au corps leurs parents, afin d’obtenir l’autorisation de monter à la capitale. De guerre lasse, M. et Mme Gargilier, en parents pleins de faiblesse, cèdent aux bouderies et criailleries. Simplicie ira chez la Tante Bonbeck (une vieille femme genre caramel dur, plutôt que tendre guimauve) ; Innocent prendra pension dans l’institution des « Jeunes savants » que l’on aimerait bien rebaptiser « Jeunes chenapans »…

Tout est l'occasion d'aventures pour nos deux provinciaux, escortés de leur bonne, Prudence. Tout commence dans la diligence par une prise de bec avec Mme Courtemiche et son vilain roquet « Chéri-Mignon » qui dévore les provisions de la petite famille. Deux braves Polonais qui voyagent de concert, Boginski et Cozrgbrlewski, vont se dévouer à la cause de Prudence et de ses petits protégés et ne les quitteront ensuite plus d’une semelle.

Simplicie et Innocent n’ont pas les codes... c’est clair. Ils ne sont pas à la mode de Paris et se feront moquer d’eux durant tout leur séjour dans la grande ville. Innocent deviendra le souffre-douleur de sa pension ; Simplicie sera la cible des quolibets de celles qu’elle considère, en toute candeur, comme ses amies.

La trousse à pharmacie s’ouvrira à de multiples reprises pour panser coups et blessures...

De la pommade pour les cheveux

Simplicie, en voulant bien faire, abuse de pommade pour cheveux. Ses cheveux « huileux » (« bien pommadés, bien gras ») sont jugés magnifiques par sa bonne qui l’aime tendrement, mais franchement ridicules par des petites filles pas très modèles, Marguerite, Sophie, Claire et Madeleine. Précisons que pour faire encore mieux, Prudence a cousu, aux cheveux de sa protégée, une couronne d’énormes pivoines rouges. Il paraît, d’après la fleuriste, que c’est du dernier chic. Résultat : rires en cascade de la part des petites Parisiennes qui n’ont jamais vu un tel déguisement. Afin de délivrer Simplicie de sa couronne hors norme, elles font marcher les ciseaux et réalisent un véritable massacre. Les cheveux courts et hirsutes offrent un spectacle peu réjouissant. Mme de Roubier appelée au secours fait venir en urgence son coiffeur qui opte pour une coupe à la Caracalla. « Le coiffeur arriva, sourit, coupa les mèches restantes, retailla les cheveux mal coupés, mit les fers au feu, roula et frisa tout ; et Simplicie sortit de là frisée comme un bichon. ».

Du savon aussi bien pour se débarbouiller que pour faire le ménage

Les enfants se lavent le matin au savon. « Ensuite, elle [Prudence] donna de l’eau, du savon, des peignes et des brosses. Ils firent leur toilette [...] ».Cette toilette est parfois express lorsque le réveil a tardé à sonner et que la tante Bobeck s’impatiente. Simplicie se lave ainsi « en moins d’un quart d’heure » (« Vite de l’eau, du savon !). Innocent, quant à lui, fait l’objet d’un savonnage en règle (« On le savonna à l’eau chaude des pieds à la tête ») après avoir reçu sur la tête un pot de cirage, bien visqueux, bien collant. Prudence ne perd pas une minute pour se rendre utile à son hôtesse, Mme Bonbeck. Elle « savonne, repasse, coud, lave la vaisselle, aide à la cuisine... »

De l’arnica pour se remettre d’une « poussée » formidable

A peine arrivé chez les « Jeunes savants », déjà bousculé, tiré, poussé, mis en pièces... détachées. Un maître compatissant prend en charge son jeune élève et lui « fait avaler quelques gorgées d’eau fraîche et d’arnica. » On lui frotte également les tempes, le front et le visage de vinaigre. Un petit tour à l’infirmerie pour réaliser un « bain de pied » et voilà Innocent prêt à se jeter à nouveau dans la mêlée.

Des cendres chaudes pour ranimer un noyé

Après les coups, les poussées, les moqueries... la tentative de noyade. Durant toute la séance d’exercices physiques en piscine, Innocent va boire la tasse jusqu’au fond ! Les mauvais sujets de sa classe se relaient pour lui maintenir la tête sous l’eau, jusqu’à ce qu’il ne se débatte plus et se laisse couler. Sauvé in extremis, Innocent est frictionné et enveloppé dans des « cendres chaudes », afin de revenir à la vie. Une saignée réussie (le sang coule en abondance) permet de le ramener à la vie !

Morale de l’histoire

Conseil n°1 : point de faiblesse lorsque l’on est parents. Celle-ci ne peut que déclencher une cascade de réactions en chaîne pouvant aboutir à de véritables catastrophes.

Conseil n°2 : se renseigner sur les codes en vigueur avant de pénétrer en zone inconnue. Les codes vestimentaires (uniforme de pensionnaire trois fois trop grand, robes taillées dans des tissus démodés sont sources de moqueries donc à éviter), les codes cosmétiques (beaucoup de savon pour être bien propre, peu de pommade sur les cheveux), les codes médicaux (bains de pieds salvateurs, saignées à tout propos, arnica réconfortante, cendres chaudes à réanimer un mort) doivent être appris comme on le ferait d’une langue étrangère avant de se propulser en terre étrangère, bien souvent hostile.

Bibliographie

1 Comtesse de Ségur, Les deux nigauds, Hachette - Bibliothèque rose, Paris, 254 pages, 1980

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