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Les « deux Jean » de la comtesse de Ségur, massage au son du biniou

> 16 juillet 2020

Les « deux Jean » de la comtesse de Ségur, massage au son du biniou

Les Nantais en particulier et les Bretons en général connaissent bien « les trois Jean » ou Tri Yann qui, depuis 1969, les enchantent avec des chansons qui sentent bon l’ajonc et la bruyère. Bien avant que Jean Chocun, Jean Corbineau et Jean-Louis Jossic ne s’associent autour d’un biniou, la comtesse de Ségur avait réuni les deux Jean de Bretagne afin de les faire danser au creux de sa main.

Ces deux Jean (l’honnête, le joyeux, le bon cœur Jean et Jeannot, le grincheux, le mauvais esprit, le voleur) sont des cousins qui partent d’Auray (là où se trouve le sanctuaire de Madame Sainte-Anne) pour rejoindre Simon, le frère de Jean, à Paris.1 Celui-ci est garçon de café et va placer son frère dans le café où il travaille et son cousin chez un épicier qui a besoin d’un garçon à tout faire. Sur la route qui les mène à la capitale, les deux garçons, qui ont environ 14 ans, vont rencontrer deux anges gardiens. Le premier se fait passer pour un voleur afin de leur apprendre la prudence vis-à-vis des inconnus. Ce « voleur » est en réalité un peintre de grand renom, M. Abel, qui continuera à jouer les protecteurs pour Jean auquel il s’est attaché. Le deuxième ange protecteur est un fermier de fort gabarit, nommé Kersac. Celui-ci va également s’intéresser de près à la famille de Jean, au point d’épouser Hélène, sa mère, une veuve qui crie misère et qui possède de nombreuses qualités en particulier celle de l’ordre domestique.

Auprès du bon Jean, l’on apprend à masser les foulures et les membres endoloris. On apprend également l’importance de tenir la main des malades en souffrance. Chacun doit rester à sa place. Les gens de qualité se lavent les mains dans une terrine contenant de l’eau tiède ; les domestiques dans un seau...

Jean, un masseur-né

Jean est un jeune garçon très attachant qui aime par-dessus tout aider son prochain. Alors que M. Kersac s’est foulé la cheville (par la faute de Jeannot, faut-il préciser), Jean tient à le soulager en puisant de l’eau fraîche et en lui bassinant le front et les tempes. Il joue, par ailleurs, les garde-malades en s’installant au chevet du fermier ; durant la nuit, éveillé par les gémissements de celui-ci, Jean se comporte en « fameux médecin ». Il a appris de sa mère, Hélène, la façon de prendre en charge les foulures. « Je vais vous masser le pied foulé, comme faisait maman et comme elle m’a montré à le faire ; dans une demi-heure vous ne sentirez plus le mal. » Après un massage de trois quarts d’heure, le pied est désenflé et M. Kersac apaisé. Le lendemain, un bandage de la cheville permet de reprendre la route vers Paris.

Après avoir été garçon de café, Jean est placé par M. Abel dans une famille (les Grignan) chez qui il va devoir tenir compagnie à Roger, un petit garçon très malade. Celui-ci souffre beaucoup et trouve un grand réconfort auprès de Jean, de M. Abel ou de M. Kersac (lorsque celui-ci monte à Paris). « Jean, habitué aux soins à lui donner dans ses moments de crises douloureuses, lui frotta doucement, tantôt le dos, tantôt les jambes ; Mme de Grignan lui mouillait le front avec une eau calmante, et lui faisait respirer de l’eau camphrée. »

Jean, un cireur-né

Jean est un garçon plein de ressources, toujours prêt à rendre service. Lorsqu’il n’est pas au chevet de Roger, il aime à se rendre utile dans la maison de ses maîtres. C’est ainsi qu’il se plaît à cirer les bottines de Susanne, la sœur de Roger. Il est parfois aidé dans cette tâche par son grand ami, M. Abel. Et tant qu’on y est par M. Kersac lorsque ce dernier est de passage. « Quand ils eurent fini, Abel proposa de descendre à la cuisine pour se savonner les mains ; ils y allèrent tous les trois ; le cuisinier, accoutumé aux excentricités de M. Abel, lui présenta une terrine d’eau tiède et un morceau de savon, sans demander d’où provenait le cirage sur les mains de M. Abel ; Jean et Kersac se lavèrent dans un seau ». Il est amusant de constater la différence de traitement « terrine » versus « seau » lors du nettoyage des mains selon le statut social.

Le peau à peau, un traitement apaisant

La fonction de Jean chez les Grignan consiste à veiller fidèlement sur Roger qui vit ses derniers jours. Jean a constaté que les massages font du bien à son petit patient. Il a également remarqué que l’enfant s’endort plus facilement lorsqu’un être fort et aimant lui tient la main. « C’est comme quelque chose de doux, de tranquille, qui court sur moi et dans mes veines. C’est la même chose quand M. Abel prend ma main. » On dirait que ces hommes à forte constitution arrivent à communiquer une petite fraction de leur énergie au pauvre corps malade.

La petite vérole, une maladie qui rend meilleur

Chez la comtesse de Ségur, tout est bien qui finit bien pour les braves gens. M. Kersac épouse Hélène. Jean épouse la fille adoptive du couple, Marie. Dans certains cas, le chemin du bonheur est plus tortueux. C’est le cas pour Simon qui épouse une jolie péronnelle vivant de dissipations. Les « dépenses de la toilette » constituent son seul champ d’action. Heureusement (si l’on peut dire), l’épouse indisciplinée attrape la petite vérole et en sort défigurée. Si sa peau est transformée, son cœur l’est également pour la plus grande joie de Simon qui retrouve la fiancée des premiers temps.

Il reste à parler de Jeannot aux multiples vices. Celui-là finit, sans surprise, au bagne de Cayenne !

Massages, eau fraîche, eau camphrée, eau calmante, eau savonneuse... la comtesse de Ségur nous enveloppe et nous inonde de bonheur dans son petit théâtre de la vie ordinaire.

Bibliographie

1 Comtesse de Ségur, Jean qui grogne et Jean qui rit, Casterman, 1979, 188 pages

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