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Les dentifrices avant le fluor

> 14 novembre 2017

Les dentifrices avant le fluor Le fluor fait son entrée, très timidement au départ, dans les dentifrices, à partir de la Seconde Guerre mondiale. Jusque-là, on avait pris l’habitude de se nettoyer les dents à l’aide de poudres abrasives et/ou de rafraîchir son haleine grâce à des solutions antiseptiques associant des huiles essentielles diverses et variées.

1755 voit la naissance de l’eau de Botot, un « dentifrice » liquide mis au point par le médecin personnel de Louis XV qui met tous ses espoirs dans un mélange végétal et alcoolique pour préserver la santé bucco-dentaire de son royal patient (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-eau-de-botot-la-solution-a-tous-les-maux-206/).

1879 : la Listérine, fruit de l’imagination du médecin Joseph Lawrence et du pharmacien Jordan W. Lambert, commence sa brillante carrière antiseptique dans des domaines divers et variés : nettoyage des sols, traitement de la gonorrhée, désinfection des coupures, des plaies… il faudra attendre 1895 pour qu’un usage bucco-dentaire soit envisagé ! Ce mélange d’huiles essentielles comportant entre autres du thymol, de l’eucalyptol, du menthol et du salicylate de méthyle est vanté par le corps médical en la personne du Dr Miller. Par la suite, la renommée de ce « dentifrice » liquide que l’on peut également nommé bain de bouche ou solution anti-plaque ne se démentira jamais (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/si-listerine-m-etait-contee-177/).

Le Professeur Miller s’intéresse tout particulièrement à la flore présente au niveau buccal ; il multiplie les expériences pour trouver la meilleure solution préventive de la carie dentaire. Le Dr Monin dans son ouvrage « Hygiène de la beauté » se fait l’écho de ces expériences. Teinture d’eucalyptus, alcool, essence de menthe poivrée, acide thymique, acide benzoïque et autres molécules antiseptiques sont préconisés pour un rinçage de bouche réalisé avec le plus de soin possible après chaque repas. Le Dr Miller insiste sur la nécessité de traquer le moindre résidu alimentaire au niveau de la cavité buccale ; brosse à dents et cure-dents doivent être employés pour cette fonction de nettoyage. Après avoir loué les travaux du célèbre professeur, le Dr Monin, révèle, un peu vénéneusement, il faut bien l’avouer, que l’usage de certaine solution mise au point par le Dr Miller s’est traduit par la « décoloration des dents » des utilisateurs.

Au début du XXe siècle, les formulaires cosmétiques proposent des formules que nous pourrions qualifier, aujourd’hui, de désuètes. Des élixirs (mélanges d’eau, d’alcool, de borate de soude, d’huiles essentielles) et des poudres dentifrices composées très sobrement de poudre de clous de girofle et de saccharine ou plus élaborées, à base de charbon végétal, de quinquina, de ratanhia, d’essence de cannelle et de menthe sont en vogue et proposés de manière préventive pour conserver une hygiène bucco-dentaire « impeccable ». En cas d’halitose, les précieuses pourront sucer des cachous à la violette réalisés en mélangeant de la poudre de cachou, de la poudre d’iris, du sucre en poudre et de la gomme adragante. L’utilisation de sucre n’est, évidemment, pas en accord avec les principes d’hygiène bucco-dentaire actuellement reconnus ! En cas d’échec, un élixir odontalgique, à base de de chlorhydrate de cocaïne, sera « introduit dans la cavité dentaire sous forme d’un petit tampon d’ouate imbibé, et on frotte la gencive de la dent douloureuse. » (Lusi, La femme moderne, 1905).

Le XIXe siècle met le savon à l’honneur au point de l’introduire dans toutes les formes à disposition. La pâte dentifrice que nous connaissons aujourd’hui n’existe pas encore. Pour les enfants, on mélange de la poudre de savon, en quantité égale avec de la poudre d’iris, de la craie, du sucre (!!!), on y ajoute du chlorate de potasse, de la crème de tartre, de la pierre ponce, on aromatise avec de l’essence de menthe, d’anis et de rose. Un peu de cochenille apporte de la couleur à ce dentifrice qui ne manquera pas de faire la joie des enfants amateurs de belles bulles ! Cette préparation est appliquée à l’aide « d’une brosse à soies flexibles ». Si on oublie le sucre, on retrouve deux éléments bien présents dans les dentifrices modernes, à savoir des antiseptiques et des abrasifs. Les parents auront, quant à eux, recours à un savon mou à base de savon, de pierre ponce, de talc, de glycérolé d’amidon, de glycérine et d’essences diverses. Le savon se décline sous différentes galéniques allant de la poudre à la pâte... (E. Monin, Hygiène de la beauté, 1886).

Dans les années 1930, le dentifrice Tho-Radia, comme tous les cosmétiques de la gamme, incorpore « des sels de thorium aux propriétés antiseptiques, astringentes et bactéricides ». Ce dentifrice qui se présente dans un tube peut être appliqué sur la brosse à dents sous forme d’un ruban, tel que nous le connaissons actuellement. Pas encore de fluor, mais un composé radioactif présenté comme susceptible de donner un joli sourire et qui fait plutôt grincer des dents rétrospectivement !

Les pâtes dentifrices sont alors encore loin d’être totalement abouties. Cette forme pâteuse renferme un pourcentage élevé de poudres (amidon, kaolin, carbonate de chaux, pierre ponce, poudre d’iris...) et de l’eau. Pour lier les deux parties, on a recours à du miel (ce qui n’est pas le choix le plus judicieux) ou à un mélange de sucre (ce qui n’est pas mieux) et de glycérine (Traveller E., Pour le parfumeur, 1937).

Dans les années 1950, Marcelle Auclair, propose dans son « Dictionnaire de la beauté », différentes formules de poudres dentifrices, à base de bicarbonate de soude, de charbon, de poudre de sauge (à réaliser soi-même en faisant sécher des feuilles de sauge), de poudre d’orange (à partir d’écorces d’oranges et de mandarines). Elle se plaît également à concocter des élixirs à l’aide d’alcool, de cannelle, de clous de girofle et de feuilles de laurier. Elle ne se risque pas dans le domaine des pâtes dentifrices, arguant qu’il en existe d’excellentes dans le commerce.

Attendons encore quelques années : les formules vont s’épurer. Le sucre va devenir persona non grata et ce à juste titre. Un abrasif, de l’eau, de la glycérine, des conservateurs antimicrobiens, des antiseptiques, des arômes... il ne reste plus qu’à laisser faire le temps pour persuader les sociétés que le fluor est l’ingrédient incontournable de ces formules qui hésitent entre le statut de cosmétique et celui de médicament. Rappelons, tout de même, qu’il faudra attendre des années pour que l’introduction de fluor dans les dentifrices devienne systématique. Le célèbre dentifrice Signal possédait, déjà, dans les années 1960, ses célèbres rayures, l’une contenait de l’hexachlorophène, l’autre des phosphates abrasifs, mais... POINT DE FLUOR !

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