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Les cosmétiques, un moyen de sonder l’âme humaine à en croire Théophraste !

> 17 octobre 2020

Les cosmétiques, un moyen de sonder l’âme humaine à en croire Théophraste !

Théophraste est un philosophe grec ayant vécu au IVe siècle avant Jésus-Christ.1 Celui-ci a laissé à la postérité un ouvrage, Les caractères, susceptible d’éclairer le lecteur sur la nature humaine. Grâce à cet opuscule, on pourra reconnaître aisément le flatteur, l’impertinent ou diseur de rien, l’orgueilleux, l’avaricieux, l’impudent...2 On apprendra, par exemple, que, pour conjurer le sort, il peut être utile de conserver une feuille de laurier dans la bouche et que si l’on croise une belette il ne faudra pas hésiter à jeter « trois petites pierres dans le chemin » afin d’éloigner « ce mauvais présage ».

Accompagner Théophraste dans sa réflexion, c’est sonder les reins et les cœurs, mais c’est également scruter les habitudes cosmétiques et suivre sa proie, depuis le bain public, jusqu’au cabinet de toilette le plus privé. Propre ou sale, fleurant bon le parfum ou dégageant une forte odeur de sueur, la peau, parfaitement glabre ou anormalement velue, l’homme qui se prête à l’étude de mœurs du philosophe est mis à nu.

Définition après définition, Théophraste illustre son propos à l’aide d’exemples très concrets ; de rusticité à fâcheux, le philosophe nous entraîne dans un univers savoureux où le mal est traqué dans les moindres replis de la vie domestique.

Sur la rusticité

La rusticité est une « ignorance grossière des bienséances ». Une personne rustre peut se définir de manière simple ; elle ignore, tout bonnement et tout simplement les cosmétiques. Cette personne n’hésitera pas à sortir le jour même où elle a absorbé telle drogue particulièrement délétère du point de vue olfactif. Sans crainte de gêner ses voisins, le rustique ne modifie pas son emploi du temps et trimbale sa mauvaise haleine dans tous les lieux qu’il fréquente. Il n’est d’ailleurs pas doté de sens particulièrement aiguisés. Les parfums de thym et de marjolaine seront mis au même niveau que les parfums les plus « délicieux » et les plus délicats. Ces personnes, aux sens amoindris, se tiennent fort mal, frôlent plus d’une fois l’indécence vestimentaire, sont bruyantes en tout lieu et en particulier dans leur bain où elles chantent à pleins poumons. « Des clous à leur soulier » leur permettent de se faire annoncer de fort loin.

Sur la complaisance

La complaisance caractérise l’individu qui cherche à plaire à tout prix (« L’on recherche beaucoup moins ce qui est vertueux et honnête que ce qui est agréable »). Afin d’être toujours beau à voir, le complaisant « se fait raser souvent » ; il prend grand soin de sa cavité buccale, afin de pouvoir arborer des dents saines et afin que son haleine ne vienne jamais gâcher le plaisir d’autrui. Il « change tous les jours d’habits » et « ne sort point en public qu’il ne soit parfumé ». Parfaite du point de vue cosmétique ou esthétique, cette complaisance peut parfois nuire tant elle est ennemie de la vérité.

Sur l’avarice

L’avarice est le défaut de toute personne qui s’arrange de mille façons afin de ne pas avoir à délier sa bourse. Au bain public, l’avaricieux se rue, dès l’entrée, sur le premier vase qu’il croise ; il le remplit d’eau au plus vite et se le vide sur la tête en un clin d’œil. De cette façon, il n’a pas à payer, en espèces sonnantes et trébuchantes, l’employé, le baigneur, qui est chargé d’effectuer ces tâches. L’avaricieux ne manque jamais d’inventivité !

Sur l’épargne sordide

Il s’agit dans ce cas de l’avarice poussée à l’extrême. Si l’avaricieux a développé des stratégies pour se baigner ou user de cosmétiques à coût modique, l’épargnant pathologique préfère, quant à lui, ignorer tout simplement les soins cosmétiques. Pour oindre son corps, il a développé une méthode homéopathique qui lui permet de n’utiliser que quelques gouttes d’huile, juste assez pour le confort d’un corps entier (« Les plus petites fioles contiennent plus d’huile qu’il n’en faut pour les oindre. »)

Sur l’impudence

L’impudent ne rougit de rien. Il parle haut et fort. Il est fier de sa personne, de tout son être, y compris de ses vices. « On le voit s’arrêter devant la boutique d’un barbier ou d’un parfumeur, et là annoncer qu’il va faire un grand repas et s’enivrer. » La mauvaise foi le caractérise. Ainsi, n’hésitera-t-il pas à prendre en faute l’esclave qui le sert au bain et qui lui fournit une huile de bonne qualité. Il lui reprochera de lui fourguer une huile de seconde zone, qui ne lui procure que des désagréments. On le sent prêt à faire une notification de cosmétovigilance auprès des autorités de santé. L’imputabilité de l’effet indésirable est plus que douteuse, cela ne l’arrête pas pour autant. Pour éviter tout effet indésirable, l’impudent se saisit de la fiole d’huile de son voisin et « épargne la sienne ». L’impudent semble être par ailleurs avaricieux.

Sur le vilain homme

Le vilain pour Théophraste est un homme qui ne se soucie d’aucune règle d’hygiène. Il porte ses « ongles longs et malpropres ». Sa peau est couverte de lésions qu’il se refuse à soigner. Il ne connaît ni épilation, ni dépilation... « Hérissé de poil sous les aisselles et par tout le corps », cet individu ne passe que peu de temps à s’occuper de son aspect extérieur. Côté hygiène bucco-dentaire, c’est le drame ! « Dents noires, rongées » témoignent du désintérêt de leur propriétaire pour les cosmétiques destinés à les maintenir en bon état. Même au bain, cet homme fait du vilain, puisqu’il utilise une « huile qui sent mauvais ». Ne cherchez pas... chez cet homme, tout est puant !

Sur l’incommode

L’homme incommode ou le fâcheux manque terriblement de savoir-vivre, de délicatesse. Il choisira le moment du repas où la soupe toute fumante est déposée au centre de la table pour évoquer avec force détails les résultats d’une purge pratiquée par le haut et par le bas les 2 jours précédents ce festin.

Pour terminer, Théophraste nous présente l’homme de pouvoir, bien propre à l’extérieur, mais incapable d’écouter ses concitoyens. Ses « ongles propres », « sa barbe et ses cheveux en bon ordre » semblent jouer en sa faveur ! On évitera pourtant de se fier aux apparences et on ira creuser un peu plus profond.

On signalera enfin que Théophraste conjugue ses caractères à la 3e personne du masculin singulier. La femme semble à l’abri de tout péché et n’est citée qu’à titre d’acolyte, telle cette illustration de la médisance, mettant en scène un mari peu honnête, qui oblige sa femme à se laver l’hiver à l’eau froide.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette plongée dans une salle de bain grecque en compagnie de Théophraste !

Bibliographie

1 https://www.universalis.fr/encyclopedie/theophraste/

2 La Bruyère, Les caractères de Théophraste in Les caractères, Le livre de Poche, 1995, 644 pages

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