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Les cosmétiques, c’est pour les riches !

> 01 mars 2020

Les cosmétiques, c’est pour les riches !

Georges Bernanos s’y connaît pour faire pleurer dans les chaumières. La petite Mouchette,1 qui revient de l’école par mauvais temps, n’est, bien sûr, pas une grande consommatrice de cosmétiques. La fillette de 14 ans, régulièrement battue par son père, est violée par le bel Arsène, un braconnier qu’elle aime en secret. Une pureté bafouée, une âme qui souffre... le suicide au bout du chemin. L’univers de Bernanos n’est pas circonscrit à un cocon douillet. Bien au contraire !

Les cosmétiques font pourtant de fugaces apparitions. Une huile pour les cheveux, du savon à barbe, des fards qui cachent une grande pâleur...

Pour Mouchette, juste un peu d’huile sur les cheveux

Mouchette, c’est une fillette qui ne prête pas attention à son aspect... ou si peu. Ses cheveux mi-longs sont le plus souvent tressés pour former une natte. Elle applique seulement un peu d’huile sur des mèches rebelles, le dimanche, afin de les discipliner. C’est tout. Elle prend même parfois plaisir à se rouler dans la boue afin d’arriver le plus « crottée » possible sur la place du village, le dimanche matin, après la messe, lorsque celle-ci est la plus grouillante de monde.

Un parfum de tabac reconnaissable entre tous

Prise dans ce qu’elle croit être une tempête, Mouchette ne retrouve plus son chemin, en revenant de l’école. Elle croise, par hasard, un braconnier bien connu, Arsène ; sa présence, elle l’a détectée rien qu’à l’odeur de son tabac, un « tabac de contrebande, un tabac belge parfumé à la violette ». Arsène est un curieux personnage qui a la particularité de posséder des mains blanches, qui ne sont pas tannées par le soleil (« de longues mains qui restent toujours, sous la crasse, plus blanches que celles des gens du village. »). La blancheur, chez Arsène, s’arrête à ses mains... Croyant avoir tué le garde-chasse Mathieu, Arsène épouvante Mouchette qui a le sentiment de constituer pour lui un témoin gênant. A moins qu’elle ne veuille bien témoigner en sa faveur. Oui, mais voilà qu’Arsène est pris d’une violente crise d’épilepsie qui le laisse pantelant sur le sol de la hutte où il a entraîné l’enfant. Mouchette, prise de pitié, soutient la tête de celui qu’elle admire en secret. « Elle tient cette tête chérie ainsi qu’elle tiendrait n’importe quelle chose précieuse, avec la seule crainte de la perdre ou de la briser. » L’admiration va faire place à l’horreur lorsque le braconnier va la violer.

Du savon pour laver le linge et faire la barbe

De retour à la maison, Mouchette doit cacher ses larmes et s’occuper de son petit frère Gustave, un bébé qui pleure sans cesse et de sa mère qui meurt lentement. Le bébé « criard » est enroulé dans des langes « fumant d’urine et de lait aigre ». Afin de faire cesser les cris du bambin, la mère de Mouchette lui conseille de le changer et de remplacer les linges souillés par « un carré de linge » « savonné » à son intention. Le carré, mal lavé, empeste l’alcool, comme tout ce qui traîne dans la pauvre masure. Le savon, on le retrouve aussi sur les joues de Camille Mathieu qui, finalement, n’était pas mort du tout. Il apparaît le matin suivant « à sa fenêtre, en chemise, la figure barbouillée de savon » !

De la verveine et des fards chez une femme qui veille les morts avec délectation

Après le décès de sa mère, Mouchette rencontre Philomène Derain, une vieille femme qui se repaît des veillées funèbres. Elle dispose, pour ses fonctions, d’une armoire remplie de linges blancs, parfumés à la verveine. Elle fut, en son jeune temps, bonne chez une riche famille de filateurs du nord. Compagne de la petite fille de la maison, une charmante enfant aux cheveux blonds sentant la bruyère, Philomène a vécu à ses côtés durant toute son agonie. La jeune fille de 15 ans attendait la mort, « livide sous une couche imperceptible de fard ». Afin de cacher son état à la famille, « elle se maquillait le matin avec tant d’art que sa mère ne s’aperçut que très tard des progrès de son mal. » Alors que la jeune fille s’affaiblit de jour en jour, l’appétit de Philomène ne cesse de croître... l’attrait de la mort constituant le ressort de sa vie.

Point de parfumeur, ni de couturier

Mouchette est une fillette d’une extrême pauvreté qui n’a pas eu la chance de naître dans une bonne famille où les jeunes filles sont rendues belles grâce aux « efforts concertés du parfumeur et du couturier ». Sa seule richesse, c’est sa pureté.

Un emplâtre de farine comme seul remède

Il n’y a pas assez d’argent à la maison pour appeler le docteur aux « mains blanches ». Pour calmer la douleur, restent les recettes-maison. Mouchette se voit ainsi ordonnée de réaliser un emplâtre d’amidon. Faute d’amidon, elle puise dans la réserve de farine et en délaye un peu dans de l’eau, « dans une vieille casserole ». La préparation épaissit, Mouchette « la tourne sans cesse avec un manche de bois ». Elle pose ensuite la pâte obtenue sur un chiffon et l’applique, brûlante, sur la poitrine maternelle. Cet emplâtre, qui ressemble à un masque de beauté, n’est, bien sûr, d’aucune efficacité. La pauvre femme s’éteint en retrouvant pour son enfant une tendresse maternelle disparue depuis longtemps. Mouchette se voit alors appelée d’un ancien petit surnom, Doudou, donné autrefois par un grand-père revenu du bagne le torse « décoré d’admirables tatouages en trois encres ». Sa chemise laissait parfois apparaître une « tête de femme aux longs yeux fendus en amande, avec sa bouche rouge, presque ronde, qui avait la forme d’un cœur ».

Le mal en 125 pages

Avant de lire Bernanos, il est conseillé de se démaquiller ou d’employer un mascara waterproof extra-résistant. Le mal rôde à chaque page. Quand ce n’est pas des hommes saouls, ce sont des braconniers, des violeurs, des pères violents... Les mères agonisent dans la misère, les bébés geignent dans leurs excréments. Les filles ont le regard plein de vice et les vieilles femmes retrouvent une belle énergie au pied des lits mortuaires. Reste la grâce de Mouchette… Déprimés s’abstenir !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour l'illustration du jour !

Bibliographie

1 Bernanos G. Nouvelle histoire de Mouchette, Le castor astral, 2009, 125 pages

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