> 07 décembre 2019
Pour un voyage merveilleux aux pays des cosmétiques, Rustichello de Pise tient la plume et Monseigneur Marco Polo de Venise tient le gouvernail.1 N’hésitons pas à embarquer avec le sieur Polo pour peu que l’on soit un peu curieux de nature et avide de découvrir des poules noires, sans plumes, mais avec poils, des « licornes » à poils de buffles, à pieds d’éléphants et à tête de sanglier sauvage ! En souvenir, on pourra rapporter de drôles de boîtes renfermant des petits singes épilés, conservés dans le safran et le camphre. Le matin, avant de prendre une décision importante si l’on croise une tarentule, on observera dans quel sens elle se dirige...
Laissons-nous prendre par la main et entraîner dans un univers où les ingrédients cosmétiques ne sont jamais bien loin.
En Géorgie, « jaillit une source d’huile en telle quantité qu’on pourrait bien en charger à la fois cent navires. » Le pétrole, puisque c’est de lui dont il s’agit, peut être utilisé pour « oindre les chameaux qui ont la gale ». Huit siècles après ces expériences thérapeutiques, on peut dire, avec force, que les dérivés de pétrole, inertes chimiquement, non rancescibles et incapables de traverser la barrière cutanée constituent des excipients de choix pour la formulation des crèmes protectrices à destination des femmes, des hommes, des enfants... à caractère de chameaux, ou pas !
Les yogis réalisent une poudre à partir de bouse séchée et confectionnent ensuite des onguents qu’ils appliquent avec soin sur l’ensemble de leur corps. On ignore la signification de cette habitude assez peu ragoûtante.
Dans la cité de Kouhbanan, on produit par calcination de la « tutie » ou oxyde de zinc, excellent pour les yeux. Huit siècles après cette constatation ophtalmologique, on se rend compte que l’oxyde de zinc est toujours utilisé dans un certain nombre de préparations topiques apaisantes… mais dans aucun collyre.
Sur la route d’Ormuz à Kerman, le touriste pourra effectuer des bains d’eau thermale. Cette eau qui permet de traiter la gale et différentes dermatoses sera appréciée des curistes à juste titre.
Dans la région du Zardandan, à peine né, l’enfant est lavé ; à peine accouchée, la femme se lève et laisse sa place au père qui reste allongé près du nourrisson pendant 40 jours. On dit alors que l’homme prend sa part. A Hangzhou, les bains publics se comptent par milliers (3000 exactement). Ces bains de grande taille peuvent accueillir une centaine de baigneurs qui viennent là pour le plaisir. En Inde majeure, hommes et femmes se lavent « le corps à grande eau deux fois par jour, le matin et le soir. » Il s’agit d’un acte religieux, mais pas uniquement... Cet acte hygiénique revêt une importance toute particulière du fait d’un climat particulièrement chaud.
On trouve « le meilleur camphre du monde » appelé camphre « fansouri » dans le royaume de Fansour.
Dans la plaine du Bargouzin, on trouvera « le meilleur musc du monde ». Le chevrotain porte-musc qui produit cette substance extrêmement odoriférante ressemble à une gazelle ; il possède « sous le nombril, entre la peau et la chair, une glande pleine de sang. » La glande est prélevée, puis mise à sécher au soleil. Le musc qu’elle contient dégage une odeur extrêmement forte qui ravira les parfumeurs vénitiens.
Pour trouver de l’ambre issu du cachalot, on pourra se rendre à Mogadiscio, à Socotra ou à Zanzibar.
Dans la région du Yunnan, il est des animaux d’aspect fantastique, « munis de deux pattes à l’avant mais pas à l’arrière », avec des yeux énormes, de la taille d’une « miche de pain ». On en extrait un fiel, qui est vendu à prix élevé, car c’est une véritable panacée. Administré par voie générale, ce fiel permet de vaincre la gale et de faciliter les accouchements. Par voie topique, il vient à bout des éruptions furonculeuses. Ce principe actif est efficace à très faible dose, dit-on.
Dans la région de Badakhstan, les femmes de noble extraction se font confectionner des « culottes » « de toile de coton », extrêmement larges, « qu’elles font bouffer pour avoir des fesses rebondies ». Ceci est un critère esthétique apprécié.
Dans la province du Zardandan, dans la capitale Baoshan, les hommes (mais pas les femmes !) « arborent tous des dents dorés », aussi bien au niveau de la mâchoire du haut que de celle du bas.
Dans la cité de Saveh en Perse, Marco Polo a vu les tombeaux des Rois mages. Les « corps intacts avec les cheveux et la barbe » de Gaspard, Balthazar et Melchior y sont conservés. Ces Rois, qui se sont prosternés devant l’enfant Jésus, ne sont pas venus les mains vides. S’il accepte l’or, se sont-ils dit, cet enfant sera roi, s’il accepte l’encens, ont-ils pensé, cet enfant est vraiment Dieu, s’il accepte la myrrhe, ont-ils affirmé, cet enfant sera médecin. L’enfant de treize jours ayant accepté les trois cadeaux, ils en conclurent que le nouveau-né qui leur souriait était « vrai dieu, vrai roi et vrai médecin. »
En suivant les traces de Marco Polo, on est sûr de trouver les ingrédients cosmétiques les meilleurs du monde. On croisera, par la même occasion, quelques bêtes fantastiques qui feront frissonner les plus sensibles des lecteurs.
Un grand grand merci à Antoine Couteau qui a dévoré ce livre, a repéré les allusions aux cosmétiques, nous a livré le contenu de ce Regard sur un plateau et a conçu la petite mise en scène de l'illustration avec ses Playmobil !
1 Polo M. Le livre des merveilles, Classiques abrégés, l’école des loisirs, Paris, 2016, 236 pages
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