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Leçons pour devenir une femme idéale selon les critères de la marquise de Lambert

> 23 février 2019

Leçons pour devenir une femme idéale selon les critères de la marquise de Lambert

La marquise de Lambert (1647-1733), née de Marguenat de Courcelles, n’est pas femme à s’en laisser conter facilement. Veuve, elle va élèver seule ses enfants et n’hésite pas à intenter un procès à sa mère et à son beau-père, afin de récupérer la part d’héritage qui lui revient de son père. C’est dans son bel hôtel du 12 de la rue Colbert, que la marquise reçoit ses invités. Elle tient salon, dit-on à l’époque. On y va pour échanger des idées, pour batailler au sujet de concepts philosophiques, pour présenter des nouveautés scientifiques... bref on y fait montre d’un bel esprit. Mais jamais, au grand jamais, l’on ne s’y adonne au vice du moment, le jeu. « Bon ton, bienséance, bon goût » sont les mots-clés pour qui souhaite se faire inviter. On vous recevra le mardi si vous appartenez aux mondes des lettres, des arts et le mercredi si vous faites partie du grand monde. Attention, les cercles ne se mélangent pas ! Marivaux, Montesquieu, Fontenelle... se retrouvent avec plaisir chez la marquise, afin d’affûter leurs esprits. Tel le silex contre la pierre qui fait jaillir la flamme, les « intelligences » se choquent, se heurtent, se cherchent au contact de la bonne hôtesse qui maîtrise parfaitement « le pouvoir de l’esprit ».1

On ne s’étonnera donc pas de trouver, dans les « Avis d’une mère à sa fille », un grand nombre de perles.2 Nous en avons collecté quelques unes afin de dresser le portrait de la femme idéale.

La marquise y loue la modestie de la parure. Cette qualité « augmente la beauté » et sert de voile à la laideur. Inutile donc d’en faire des tonnes...

S’il est bon de briller par l’esprit (celui-ci ne peut qu’embonnir avec l’âge), il semble inutile de briller par un extérieur par trop recherché. « Il faut satisfaire à la mode comme à une servitude fâcheuse, et ne lui donner que ce qu’on ne peut lui refuser. » Le tout est d’éviter le ridicule, celui-ci étant jugé alors plus déshonorant que le déshonneur. Chaque femme devra faire appel au don naturel qui lui est donné, le goût. « C’est une harmonie, un accord de l’esprit et de la raison. » Ce « je ne sais quoi qu’on sent et qu’on ne peut dire » doit être cultivé avec soin.

Tel certains philosophes antiques, la marquise semble n’accorder que peu de crédit aux cosmétiques. N’attendons pas d’elle des conseils pour poudrer une perruque, poser des mouches sur un visage ou faire briller les lèvres à l’aide du dernier baume à la mode. La seule chose qui brille chez cette maîtresse-femme c’est un esprit aiguisé, un esprit qui juge, pèse, soupèse et dicte des règles à respecter pour qui veut atteindre le bonheur. « La propreté est un agrément » qui « devient petitesse dès qu’elle est outrée. » Si l’on doit se laver pour ne pas incommoder ses voisins par des odeurs nauséabondes, il est également important de se laver de ses défauts pour se rendre agréable. Au sujet de nos défauts, la marquise invente un proverbe à la manière de la paille et de la poutre. « Nous vivons avec eux comme avec les odeurs que nous portons : nous ne les sentons plus ; elles n’incommodent que les autres [...] ».

Ce ne sont pas les diamants ou les pierres précieuses qui doivent faire tourner la tête des jeunes filles... ce sont les « choses précieuses » de l’esprit qui doivent « orner toute mémoire ».

La marquise ne cesse de nous le répéter. La jeunesse, la beautén’ont qu’un temps, un temps extrêmement réduit. « Rien n’est plus court que le règne de la beauté ; rien n’est plus triste que la suite de la vie des femmes qui n’ont su qu’être belles. » « [...] il n’y a qu’un fort petit nombre d’années de différence entre une belle femme et une qui ne l’est plus. » « Les Espagnols disent que la beauté est comme les odeurs, dont l’effet est de peu de durée : on s’y accoutume et on ne les sent plus. »

Ne parlez pas à la marquise des Femmes savantes de Molière, cet écrivain qui met, dos à dos, savoir et vices ; la marquise se tient fermement dans le clan des femmes érudites qui pensent que l’éducation des enfants, quel que soit leur sexe, est indispensable. Plus utiles que les cosmétiques, les livres doivent orner la table de chevet des jeunes filles afin de leur permettre une ouverture d’esprit.

Enfin pour terminer, saluons cette comparaison entre la femme sage et l’écureuil... L’une comme l’autre font des « provisions dans le temps calme pour le temps de l’affliction. »

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, qui nous invite, aujourd'hui, à nous mettre à l'école de Mme de Lambert pour devenir une femme idéale... si ce n'est déjà fait...

Bibliographie

1 Delorme S., Le salon de la Marquise de Lambert, berceau de l'Encyclopédie, Revue d'histoire des sciences, 1951, 4-3-4, Pages 223-227

2 de Lambert A.-T., Avis d'une mère à sa fille, 2017, Eds Rivages, 151 pages

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