> 25 mars 2019
Imaginez un édulcorant peu calorique retrouvé en petite quantité dans un grand nombre de végétaux. Imaginez un édulcorant naturel, obtenu par un procédé non polluant, permettant de sucrer son thé aussi bien que sa pâte à mâcher préférée. Imaginez un édulcorant qui prévient les caries, qui prévient l’otite moyenne aiguë, qui éradique la grippe, qui décongestionne les narines, qui hydrate et apaise la peau… N’en jetez plus la cour est pleine… pleine de propriétés médicales probantes ou controversées. Décidément, l’histoire de cet édulcorant qu’est le xylitol est décidément trop sucrée. Il est temps de faire le point sur cet ingrédient très présent dans les cosmétiques ; pour ce faire, nous allons mettre notre grain de sel, voire même de poivre, dans un scénario trop bien huilé à notre goût.
Le xylitol est un polyol qui possède des propriétés édulcorantes analogues à celles du saccharose. Son intérêt principal réside dans le fait qu’il est moins énergétique que le sucre de référence.1 Avec 2,4 kcal par gramme contre 4 kcal par gramme,2 le xylitol séduit les amateurs de régimes qui n’y perdent pas au goût !
Isolé en 1890 à partir de copeaux de hêtre par deux chimistes allemands, Emil Herman Fischer et Rudolf Stahel, et en 1891 de pailles de blé et d’avoine par le pharmacien, Gabriel Bertrand, le xylitol va dormir quelques années bien au chaud dans les tiroirs des laboratoires avant d’être exploité pour ses diverses propriétés.3 L’intérêt porté au xylitol en tant qu’édulcorant à destination des diabétiques date des années 1960. La production par voie de synthèse et par voie biotechnologique date respectivement de 1957 et de 1966.2 Le xylitol est obtenu à partir du xylane, le composant majoritaire de l’hémicellulose. Cette dernière est le deuxième polysaccharide le mieux représenté chez les végétaux (19 à 34 %) photosynthétiques. Il vient après la cellulose (34–50 %).4 Le xylane est retrouvé dans un grand nombre de végétaux chez qui il exerce un rôle de consolidation des membranes cellulaires. L’écorce de bouleau et les cosses de maïs sont les matériaux préférentiels utilisés pour la production du xylitol. Celle-ci est réalisée à l'échelle industrielle en quatre étapes. La première étape est le clivage des polysaccharides présents dans le matériel végétal ; celui-ci est principalement effectué par hydrolyse acide ou par hydrolyse enzymatique. Après séparation du xylose de l'hydrolysat, celui-ci est hydrogéné de manière catalytique. Suivent alors des étapes de cristallisation et de purification qui ont pour but d’éliminer le catalyseur et les impuretés.1 On se tourne de plus en plus, actuellement, vers des méthodes biotechnologiques permettant de transformer le xylose en xylitol. La levure Scheffersomyces amazonensis est considérée comme l’un des meilleurs producteurs de xylitol, en matière de rendement.5
On reconnaît au xylitol un effet inhibiteur de l’adhésion de Streptococcus mutans au niveau de structures simulant l’émail dentaire.6 Un effet bactériostatique est également observé in vitro pour cette bactérie du fait de son incapacité à métaboliser le xylitol ; celui-ci ne peut donc être utilisé comme source d’énergie, il s’accumule dans la cellule et joue un rôle délétère.7 Des phénomènes de résistance sont observés en ce qui concerne Streptococcus mutans lors de l’utilisation prolongée de préparations contenant du xylitol.8 L’effet anti-plaque ne se retrouve pas in vivo lors de tests réalisés chez des porteurs de prothèse. Les mesures d’hygiène bucco-dentaire classiques avec un dentifrice fluoré restent donc les mesures préconisées.9 Si l’on utilise le xylitol comme édulcorant du lait à destination des enfants, on constate une réduction du taux de bactéries (Streptococcus mutans) au niveau salivaire ; on ne constate, en revanche, pas d’effet protecteur vis-à-vis de la carie dentaire.10 Incorporé à raison de 37 % dans des chewing-gums et avec une dose quotidienne ingérée de 11,6 g, il est possible de détecter une différence significative en ce qui concerne le risque de développer des caries entre deux lots d’enfants mâchant, selon le cas des chewing-gums contenant ou non du xylitol.11 Une étude récente concernant la quantité de xylitol retrouvée dans les pâtes à mâcher du commerce vendues dans les pays du Moyen-Orient montre que 9 des 22 chewing-gums testés contiennent moins de 0,3 g de xylitol par unité, que 7 en contiennent entre 0,3 et 0,5 g par unité et que 5 en contiennent plus de 0,5 g. Il faudrait donc consommer, dans le meilleur des cas, 12 chewing-gums par jour pour espérer bénéficier de l’effet anti-caries du xylitol (dose journalière nécessaire de l’ordre de 6–7 g).12 Si son effet anti-caries ne fait pas l’unanimité, on décèle, en revanche, un intérêt chez les sujets souffrant d’hyposalivation. Les problèmes de sécheresse buccale et d’halitose pourront être pris en charge par le biais de pâtes à mâcher renfermant du xylitol. A raison de 2 chewing-gums par jour renfermant 64 % (m/m) de xylitol, mastiqués consciencieusement 30 minutes (à chaque fois !) on note une augmentation du flux salivaire, ce qui permet de palier les effets liés à l’hyposalivation.13 Que l’on soit persuadé ou non de l’effet anti-caries de cet ingrédient, il constitue la matière première de choix lorsque l’on souhaite édulcorer une solution anti-plaque antiseptique à base de chlorhexidine14 ou un dentifrice fluoré.15
En 2000, l’on se réjouissait de pouvoir diminuer l’incidence de l’otite moyenne aiguë chez l’enfant grâce au xylitol ; une étude prometteuse évoquait une réduction de cette incidence de l’ordre de 40 %.16 L’intérêt du xylitol sous forme de sirop ou de chewing-gum lorsque l’enfant est en capacité d’en mâcher dans la prévention de l’otite moyenne aiguë n’est pourtant pas aussi clair que cela.17
La grippe est une pathologie hivernale qui peut parfois entraîner de graves conséquences pour la santé. Le mieux est de s’en protéger par le biais de la vaccination. En cas de contamination par le virus H1N1, un cocktail ginseng rouge–xylitol vous sera recommandé par des chercheurs coréens. La souris grippée en dit, en tout cas, le plus grand bien.18 On demande à voir !
Utilisé conjointement avec de la glycérine et à même concentration, soit 5 %, le xylitol est un ingrédient intéressant dans la prise en charge de la sécheresse cutanée. Une diminution de la perte insensible en eau déterminée in vivo témoigne de l’amélioration de l’effet barrière de la peau.19 Sur modèle animal (souris sur la peau de laquelle est appliquée une solution de lauryl sulfate de sodium à 5 %), on constate que la glycérine (10 %) et le xylitol (16,52 %) exercent des effets apaisants en agissant sur la fonction barrière de la peau. Aucun effet sur l’expression de l’interleukine-1 alpha n’est noté, alors qu’une réduction de l’expression de l’interleukine-1 bêta est détectée et ce aussi bien dans le cas de la glycérine que dans celui du xylitol.20 Les propriétés anti-biofilm du xylitol peuvent également être exploitées pour la réalisation de pansements ou de préparations cicatrisantes en association ou non avec un antibiotique.21
En cas de congestion nasale, l’on a recours traditionnellement à un vasoconstricteur. On peut également recommander des solutions d’eau de mer et des préparations à base de xylitol. Si ces deux dernières solutions sont moins efficaces que la première, elles permettent tout de même d’améliorer la qualité de vie des patients en évitant les effets indésirables et contre-indications associés au vasoconstricteur.22
Le xylitol est un polyol bien toléré par l’Homme.23 A fortes doses (35–50 g) des solutions aqueuses de xylitol ont un certain effet laxatif. Pour une ingestion de 35 grammes de xylitol, on remarque chez certains adultes des nausées, des ballonnements, des coliques.24 Chez le nourrisson, on retrouvera le même type de symptômes. Il a été rapporté, dans la littérature, le cas d’un nouveau-né âgé de 9 semaines, hospitalisé pour une acidose hyperchlorémique, liée à des diarrhées provoquées par la consommation excessive de globules homéopathiques à base de xylitol. La maman administrait à sa fille jusqu’à 80 globules par jour (soit une quantité de xylitol de l’ordre de 100 mg/kg/j) pensant que ce type de médication « sans risque » ne répondait pas à une posologie stricte.25 Le chien est, par ailleurs, particulièrement sensible au xylitol. Une hypoglycémie survient pour une dose d’ingestion de 0,1 g/kg de poids et une nécrose hépatique à partir de 0,5 g/kg de poids. Il convient donc d’éviter les spécialités médicamenteuses en contenant. Bonbons, beurre d’arachide aromatisé au xylitol (beurre utilisé fréquemment par les propriétaires de chiens à des fins de récompense ou comme excipient pour l’administration de médicaments) et autres friandises appréciées des chiens devront être tenus hors de leur portée si l’on ne souhaite pas se retrouver aux urgences vétérinaires. Si l’histoire se termine bien dans certains cas – c’est ce qui est arrivé par exemple à ce chihuahua de 9 ans ayant ingéré 224 g de xylitol (soit une dose de 45 g/kg) - il n’en sera pas de même à tous coups.26 Le chat semble beaucoup plus tolérant et est capable d’ingurgiter jusqu’à 1 g/kg de xylitol sans que son bilan sanguin ou hépatique n’en soit affecté.27
Le xylitol (nom INCI : xylitol ; CAS : 87-99-0 ; EC : 201-788-0), répertorié dans l’inventaire européen comme un « humectant » (ceci est vrai pour tous les polyols) et comme un agent « conditionneur », est un ingrédient ubiquitaire. On le retrouvera dans certains shampooings,28 dans des crèmes barrière permettant de protéger la peau,29 dans des protections solaires,30 dans certaines huiles lavantes (celles qui ne sont pas en réalité des huiles, sinon le xylitol hydrosoluble n’y aurait pas sa place),31 dans des eaux micellaires,32 dans des déodorants et/ou anti-transpirants,33 dans des dentifrices.34 On lui prête beaucoup et il nous le rend bien. Même s’il ne risque pas de remplacer le vaccin contre la grippe, même s’il est douteux qu’il puisse permettre d’éviter les otites ou les caries, le xylitol est un humectant qu’il fait bon incorporer dans des cosmétiques en tous genres. Les formes bucco-dentaires utiliseront toutes ses potentialités.
Un grand merci à Antoine, notre grand champion d'origami, pour ce huski de Sakhaline ou karafuto-ken, dixit l'auteur du pliage à qui l'on dit BRAVO !
1 Köster D, Wolbert JB, Schulte MS, Jochmann MA, Schmidt TC, J Agric Food Chem., Origin of Xylitol in Chewing Gum: A Compound-Specific Isotope Technique for the Differentiation of Corn- and Wood-Based Xylitol by LC-IRMS), 2018, 28, 66, 8, Pages 2015-2020
2 Granström TB, Izumori K, Leisola M, A rare sugar xylitol., Part I: the biochemistry and biosynthesis of xylitol, Appl Microbiol Biotechnol., 2007, 74, 2, Pages 277-281
3 Mäkinen KK,The rocky road of xylitol to its clinical application., J Dent Res., 2000, 79, 6, Pages 1352-1355
4 Chen X, Jiang ZH, Chen S, Qin W, Microbial and bioconversion production of D-xylitol and its detection and application, Int J Biol Sci., 2010, 15, 6, 7, Pages 834-844
5 Cadete RM, Melo-Cheab MA, Viana AL, Oliveira ES, Fonseca C, Rosa CA, World J Microbiol Biotechnol., The yeast Scheffersomyces amazonensis is an efficient xylitol producer, 2016, 32, 12, 207
6 Salli KM, Gürsoy UK, Söderling EM, Ouwehand AC, Effects of Xylitol and Sucrose Mint Products on Streptococcus mutans Colonization in a Dental Simulator Model., Curr Microbiol., 2017, 74, 10, Pages 1153-1159
7 Santi E, Facchin G, Faccio R, Barroso RP, Costa-Filho AJ, Borthagaray G, Torre MH, J Inorg Biochem., Antimicrobial evaluation of new metallic complexes with xylitol active against P. aeruginosa and C. albicans: MIC determination, post-agent effect and Zn-uptake, 2016, 155, Pages 67-75
8 Trahan L, Bourgeau G, Breton R., Emergence of multiple xylitol-resistant (fructose PTS-) mutants from human isolates of mutans streptococci during growth on dietary sugars in the presence of xylitol., J Dent Res., 1996, 75, 11, Pages 1892-900
9 Masoud MI, Allarakia R, Alamoudi NM, Nalliah R, Allareddy V, Long-term clinical and bacterial effects of xylitol on patients with fixed orthodontic appliances., Prog Orthod., 2015, 16, 35
10 Chi DL, Zegarra G, Vasquez Huerta EC, Castillo JL, Milgrom P, Roberts MC, Cabrera-Matta AR, Merino AP, Milk Sweetened with Xylitol: A Proof-of-Principle Caries Prevention Randomized Clinical Trial., J Dent Child (Chic)., 2016, 15, 83, 3, Pages 152-160
11 Campus G, Cagetti MG, Sale S, Petruzzi M, Solinas G, Strohmenger L, Lingström P., Six months of high-dose xylitol in high-risk caries subjects--a 2-year randomised, clinical trial., Clin Oral Investig., 2013, 17, 3, Pages 785-91
12 Alanzi A, Soderling E, Varghese A, Honkala E., Xylitol Chewing Gums on the Market: Do They Prevent Caries?, Oral Health Prev Dent., 2016, 14, 5, Pages 459-466
13 Supplementation of xylitol-containing chewing gum with probiotics: a double blind, randomised pilot study focusing on saliva flow and saliva properties., Gueimonde L, Vesterlund S, García-Pola MJ, Gueimonde M, Söderling E, Salminen S, Food Funct., 2016, 7, 3, Pages 1601-1609
14 Decker EM, Maier G, Axmann D, Brecx M, von Ohle C., Effect of xylitol/chlorhexidine versus xylitol or chlorhexidine as single rinses on initial biofilm formation of cariogenic streptococci., Quintessence Int., 2008, 39, 1, Pages 17-22
15 Gaffar A, Blake-Haskins JC, Sullivan R, Simone A, Schmidt R, Saunders F., Cariostatic effects of a xylitol/NaF dentifrice in vivo., Int Dent J., 1998, 48, 1, Pages 32-39
16 Uhari M, Tapiainen T, Kontiokari T., Xylitol in preventing acute otitis media, Vaccine., 2000, 8, 19 Suppl 1, S144-7
17 Azarpazhooh A, Lawrence HP, Shah PS., Xylitol for preventing acute otitis media in children up to 12 years of age, Cochrane Database Syst Rev., 2016, 3, 8
18 Yin SY, Kim HJ, Kim HJ, Protective effect of dietary xylitol on influenza A virus infection, PLoS One., 2014, 2, 9, 1, e84633
19 Effects of Locally Applied Glycerol and Xylitol on the Hydration, Barrier Function and Morphological Parameters of the Skin, Korponyai C, Szél E, Behány Z, Varga E, Mohos G, Dura Á, Dikstein S, Kemény L, Erős G., Acta Derm Venereol., 2017, 8, 97, 2, Pages 182-187
20 Anti-irritant and anti-inflammatory effects of glycerol and xylitol in sodium lauryl sulphate-induced acute irritation, Szél E, Polyánka H, Szabó K, Hartmann P, Degovics D, Balázs B, Németh IB, Korponyai C, Csányi E, Kaszaki J, Dikstein S, Nagy K, Kemény L, Erős G, J Eur Acad Dermatol Venereol., 2015, 29, 12, 2333-41
21 Ng SF, Leow HL., Drug Dev Ind Pharm., Development of biofilm-targeted antimicrobial wound dressing for the treatment of chronic wound infections, 2015, 41, 11, Pages 1902-1909
22 Cingi C, Birdane L, Ural A, Oghan F, Bal C, Int Forum Allergy Rhinol., Comparison of nasal hyperosmolar xylitol and xylometazoline solutions on quality of life in patients with inferior turbinate hypertrophy secondary to nonallergic rhinitis., 2014, 4, 6, Pages 475-479
23 Förster H, Quadbeck R, Gottstein U., Metabolic tolerance to high doses of oral xylitol in human volunteers not previously adapted to xylitol., Int J Vitam Nutr Res, Suppl., 1982, 22, Pages 67-88
24 Storey D, Lee A, Bornet F, Brouns F, Eur J Clin Nutr., Gastrointestinal tolerance of erythritol and xylitol ingested in a liquid, 2007, 61, 3, Pages 349-54
25 Wille D, Hauri-Hohl M, Vonbach P, Tomaske M, Padden B, Bernet V, Too much of too little: xylitol, an unusual trigger of a chronic metabolic hyperchloremic acidosis., Eur J Pediatr., 2010, 169, 12, Pages 1549-51
26 Schmid RD, Hovda LR, J Med Toxicol., Acute Hepatic Failure in a Dog after Xylitol Ingestion, 2016, 12, 2, Pages 201-205
27 Jerzsele Á, Karancsi Z, Pászti-Gere E, Sterczer Á, Bersényi A, Fodor K, Szabó D, Vajdovich P, Effects of p.o. administered xylitol in cats., J Vet Pharmacol Ther., 2018, 41, 3, Pages 409-414
28 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/un-vrai-shampooing-doux-7/
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