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Le temps, la beauté, le rouge à lèvres, l’eau du bain... instants volés à Georges Perros

> 01 avril 2021

Le temps, la beauté, le rouge à lèvres, l’eau du bain... instants volés à Georges Perros

Il aurait comme qui dirait des faux-airs de Régine ce Georges Perros, avec ces petits papiers collés sur la porte du frigo, posés sur la table de chevet, laissés traînés dans le vide-poche de l’entrée.1 Laissez parler les papiers collés de Georges Perros... ils vous en raconteront !

Au sujet de la beauté féminine

Mesdames, soyez laides : c’est un ordre ! En effet, on « n’écoute pas les femmes gracieuses, les femmes dignes de ce nom. Mais tandis qu’elles parlent, on admire le mouvement de leurs épaules, de leurs cils, de leurs paupières, de leurs lèvres. Le charme essentiel de la femme consiste à faire passer ce qu’elle dit après ce qui émane d’elles. Qui s’en plaindrait ? »

Mesdames, restez éloignées : c’est un ordre ! En effet, « vue de trop près », « on ruine la distance qui fait » qu’une femme « est belle. »

Mesdames, soignez votre regard : c’est un ordre ! En effet, l’élément premier qui déclenche l’amour se situe entre le front et le nez. L’arc des sourcils, voilà l’élément anatomique qui émarge en tête de liste des atouts-séduction de la femme, vue par Georges Perros. Suivent « une intonation », un geste de la main sur une joue...

Au sujet du rouge à lèvres

Une pensée profonde sur la labilité des rouges à lèvres : « Il est bien difficile d’embrasser une femme sans ôter le rouge qu’elle a sur les lèvres ». Et les intransférables, alors, ça existe pourtant ! Définition d’intransférable : qui ne se transfère ni sur le mouchoir, ni sur le verre, ni... résiste donc au baiser.

Au sujet de l’hygiène et des gestes du quotidien

Une journée bien réglée pour Georges Perros, qui se lève à 8 heures et ne se laisse pas bousculer par le temps. A 9 heures, c’est la toilette, dans un état comateux (« Me lave dans le coma, fais silence. ») ; l’ennui guette sa proie, le tenaille, l’assaille... « On s’en souviendra de cette planète, oui. » Le temps... un rongeur insatiable. Sans borne, infini, trop fini, trop lent, trop rapide... Ingérable. Pouvoir se concentrer sur les choses essentielles... le bonheur, selon Georges Perros, qui rêve d’un double, un « boy » qui vivrait à sa place. « Qui ferait cela pour moi. Se lèverait le matin, enfilerait mes chaussettes, le reste, se raserait ma barbe, saluerait mes propriétaires avec l’intonation du jour [...] ».

Au sujet du temps

« Noyer le présent. Nous sommes les poissons de l’air. »

Papiers collés, en bref

Les écrivains sont de fieffés bavards qui ne s’arrêtent jamais... Saisir la pensée qui fera date, l’attraper au vol, l’emprisonner dans un petit papier, comme un papillon cloué dans un cadre, puis la contempler, en jouir, se faire plaisir... et partager ce plaisir avec un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout de lecteurs. En ce premier avril, Georges Perros se garde bien de nous coller un petit papier en forme de poisson dans le dos... trop précieux ces petits papiers !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette deuxième illustration du jour !

Bibliographie

1 Perros G. Papiers collés, L’imaginaire Gallimard, 1999, 216 pages

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