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Le savon, un cosmétique-diagnostic pour dépression sévère

> 01 septembre 2019

Le savon, un cosmétique-diagnostic pour dépression sévère

Françoise Sagan n’est pas psychiatre, mais elle en connaît un rayon en matière de dépression. Imaginez un journaliste parisien, Gilles, de talent médiocre, vivant en couple avec un joli mannequin, la « belle Eloïse », à l’intelligence… médiocre. Alors qu’il mène une vie gentiment dissolue, il sombre, tout à coup, dans une dépression noire.1 Plus rien ne lui fait désormais envie...

C’est un pacifique savon de couleur rose qui constitue le point de départ de la prise en considération de son état dépressif. Celui qu’il veut utiliser pour se laver les mains lui échappe et court se cacher sous le lavabo ; Gilles n’arrive pas à s’en saisir et voit dans les recoins sombres « une bête sournoise et nocturne », prête à lui mordre les extrémités. Il lui faut plusieurs tentatives pour arriver à apprivoiser le cosmétique doué d’une âme malfaisante. « Il s’était accroupi à nouveau, après avoir respiré une bonne fois comme un plongeur, et il avait attrapé le savon. » A peine saisi, le savon rose atterrit « dans la cuvette », « comme à la campagne on rejette un reptile endormi qu’on a pris pour un bout de bois. » Gilles se trouve obligé de se passer de l’eau froide sur la figure le temps de retrouver ses esprits.

Dans ces conditions, il paraît difficile de continuer une activité professionnelle dans le tourbillon parisien. C’est dans le Limousin, chez sa sœur Odile et son beau-frère, « le doux Florent », dans une maison qui sent « le tilleul et l’été », à tout moment de la journée, à toute période de l’année, que Gilles trouve refuge. Odile sent l’eau de Cologne et Florent observe le monde avec « des yeux immenses comme des flaques d’eau ». Gilles se laisse aller ; il ne se lave plus, ne se rase plus et « fait des mots croisés en plus » !

Odile traîne Gilles de soirée en soirée et cherche à lui changer les idées au mieux. Cela fonctionne plutôt bien puisque Gilles tombe amoureux de Nathalie, une femme distinguée et cultivée aux yeux verts, au charme certain et au parfum « d’herbe fraîche ». Tous deux vont passer l’été allongés dans l’herbe, au soleil, ce soleil qui fait bronzer Nathalie et que méprise royalement Gilles qui estime peu le soleil limousin et prétend qu’il n’y a que le soleil du midi qui sait dorer son monde. Petit à petit, Gilles trouve plaisir à la fraîcheur de l’herbe et se met à détester ce qu’il a adoré. « Tout ce qu’il avait pourtant aimé à la folie avant, ces soleils implacables sur ces plages brûlantes, ces corps trop dénudés et si souvent faciles, lui inspiraient à présent une sorte d’horreur. » Gilles fait le grand ménage dans sa vie et éprouve désormais une inclination pour les « paysages tendres » et pour une femme « difficile ».

Nathalie est une femme forte qui ne boude pas la coumarine,2 à odeur de foin coupé. Cette femme forte, tendre, loyale n’est pas vraiment le prototype de la femme qui séduit habituellement Gilles. Une fois la moisson terminée, on se demande quelle sera l’attitude de Gilles, cet homme égoïste habitué à prendre et à jeter.

Ce fichu petit savon rose, comme le battement d’ailes d’un papillon, a tout emporté sur son passage ; à son contact Gilles a glissé dans un monde, pour lui, jusque-là inconnu. On ne dira jamais assez à quel point ce cosmétique de base peut transformer une vie !

Merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ce bain tout rose avec Sagan !

Bibliographie

1 Sagan F. Un peu de soleil dans l’eau froide, in Françoise Sagan Œuvres, Collection Bouquins, Robert Laffont, 1993, 1488 pages

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-coumarine-ou-comment-chercher-un-parfum-dans-une-botte-de-foin-938/

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