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Le saccharose dans les cosmétiques, on aurait tort de lui casser du sucre sur le dos !

> 25 novembre 2024

Le saccharose dans les cosmétiques, on aurait tort de lui casser du sucre sur le dos !

Obtenu à partir de la betterave sucrière (celle-ci doit être bichonnée pour donner le meilleur rendement possible)1 ou bien de la canne à sucre,2 le saccharose fait la richesse des uns (certains auteurs sous-entendent clairement que les lobbys sucriers ont, dans les années 1950-1960, rejeté toute la cause des maladies coronariennes sur « les graisses » afin de conserver leur suprématie)3 et le malheur des autres (la carie dentaire est, on le sait, à mettre en lien avec la consommation de sucre).4 Ingrédient générateur de plaisir, ingrédient impliqué dans la survenue de pathologies, le saccharose ou sucre de table s’invite, parfois, dans nos cosmétiques. Dans quel but ? Faut-il s’en méfier ? Ce sont les questions et les réponses du jour !

Le saccharose per os, quelle horreur !

Ce saccharose (disaccharide formé de glucose et de fructose) est à l’origine du phénomène de glycosylation (appelé improprement « glycation »),5 qui se traduit, au niveau cutané, par la réticulation des fibres de collagène, entrainant une rigidification du tissu. Les produits issus de la réaction entre sucres (glucose, fructose) et acides aminés constitutifs des fibres cutanées (par la réaction de Maillard) portent le nom de « AGEs » pour Advanced Glycation End Products ou produits finaux de glycosylation avancée. Cette réaction, accélérée sous l’effet des ultra-violets (le combo gagnant sucre + exposition solaire), aboutit au phénomène de vieillissement accéléré que tout un chacun cherche à éviter. A noter que cette réaction de glycosylation, aboutissant à la flaccidité cutanée se produit également au niveau d’organes internes comme le rein (risque d’insuffisance rénale), le poumon (risque de maladie pulmonaire obstructive chronique) ou bien le système circulatoire (risque coronarien).5,6

Ce saccharose est également responsable du développement de la carie dentaire,7,8 comme tout le monde sait.

Le saccharose per os, quel bonheur !

Le goût sucré constitue une saveur appréciée. Le digluconate de chlorhexidine, en bain de bouche, est connu depuis les années 1990 comme un modificateur du goût. Toutefois, s’il diminue les goûts salés (chlorure de sodium) et amer (chlorhydrate de quinine), il ne modifie en rien les goûts sucrés (saccharose) et acide (acide citrique).9 Ouf ! Ouf… car, oui, la saveur sucrée est une saveur qui procure du plaisir,10 donc forcément une saveur réconfortante, agréable… susceptible de « traiter » la dépression saisonnière dont souffrent certaines personnes, lorsque l’ensoleillement vient à diminuer.11 Agréable, pas pour tout le monde, toutefois. Cette saveur sucrée associée, chez certains sujets à la peur de grossir, peut aboutir au rejet des aliments concernés.12

Le saccharose, sur les mains, en pâtisserie, quelle horreur !

Dans les années 1990, des dermatologues Suisses s’interrogent sur les risques liés à la sculpture du sucre. Celui-ci est chauffé ; il est ensuite travaillé, à chaud, à la main, afin de transformer le fluide informe en une figure artistique. Les pâtissiers pratiquant cet art se plaignent de transpiration excessive (on leur conseille alors un antitranspirant à base de sels d’aluminium) et de brûlures. Crème protectrice, gants sont alors proposés pour limiter les réactions cutanées.13

Pour l’inventaire européen, un ingrédient plutôt sympathique

Au rayon « sucre », il est possible de trouver différentes références. Du saccharose à l’état pur utilisé pour son caractère « humectant, conditionneur cutané, apaisant » et désigné sous le nom INCI de « sucrose ».14 Du saccharose modifié, estérifié, afin de transformer cette molécule hydrophile en des dérivés amphiphiles à propriétés tensioactives. Des dérivés comme le « sucrose dilaurate »,15 le « sucrose distearate »,16 le « sucrose palmitate »,17 présentés, un peu abusivement, comme des agents « émollients » et que nous préférons largement ranger, comme il se doit, dans le tiroir des tensioactifs doux (tensioactifs non ioniques permettant de formuler des produits de soin et/ou d’hygiène plutôt bien tolérés) !

Le sucre, un prébiotique gourmand

Le saccharose peut constituer un prébiotique à ne pas négliger.18 Dans le cas de l’acné par exemple, on constate une dysbiose, avec prolifération de Cutibacterium acnes, au détriment de Staphyloccus epidermidis. Le saccharose constituant un milieu favorable à S. epidermidis et non à C. acnes, il est possible de restaurer la flore cutanée de composition optimale. Du moins in vitro !19

Le sucre, un agent épilatoire ancestral

Le sucre chauffé donne naissance à du caramel, à caractère collant. Cet aspect est exploité dans le cadre de la formulation de cosmétiques épilatoires,20 depuis fort longtemps.

Le sucre, un substrat intéressant

Le saccharose constitue un substrat intéressant permettant de synthétiser ce que certains nomment des « glycosides précieux ». L’alpha-arbutine, par exemple, peut être obtenue par biocatalyse à partir, entre autres, du sucre.21

Les dérivés de sucre pour lutter contre le vieillissement cutané

Les esters d’acides gras et de sucre sont connus depuis 193922 et utilisés comme additifs alimentaires (E473) depuis le début des années 1960.23 Ils peuvent être considérés comme des exhausteurs de pénétration, pouvant être utiles dans le domaine médical.24 Certaines équipes les utilisent pour réaliser des vecteurs de principes actifs comme les niosomes.25 Cet effet exhausteur est connu pour la voie cutanée,26 mais également pour la voie nasale.27

L’oléate de saccharose est, ainsi, présenté comme un tensioactif permettant de formuler des microémulsions par association avec de l’eau, de l’éthanol, du myristate d’isopropyle, des microémulsions favorisant le passage transdermique d’un actif anti-âge, comme le resvératrol, au niveau cutané.28 Idem pour le laurate de saccharose.29

Le palmate de saccharose, quant à lui, permet de stabiliser des nanoparticules, à base de phospholipides, d’éthanol, d’eau et d’extrait de thé vert,30 aux propriétés antiradicalaires.

Les dérivés de sucre pour améliorer l’éclat du teint

Le teint jaune, le teint terne constitue une thématique qui intéresse, à juste titre, les chercheurs de la société Procter & Gamble. Le teint jaune peut être mis en lien avec une production excessive de bilirubine par le foie et/ou la rate. Ce chromophore jaune est susceptible d’être transporté par le sang jusqu’à la peau où il procure une modification de teint non souhaitée. Toutefois, il y a pire… lorsque l’on sait que les kératinocytes épidermiques sont capables de produire, eux aussi, de la bilirubine et ce sous l’action du stress oxydant. S’armant de leurs bâtons de pèlerins, les chercheurs ont alors voulu savoir quels ingrédients cosmétiques pouvaient limiter cette synthèse de bilirubine cutanée. Les meilleurs candidats retenus parmi une centaine de postulants sont les laurate et dilaurate de saccharose (efficacité démontrée in vitro pour une dose de 0,01 %).31

Outre cet effet sur le teint jaune, le binôme ester laurique et dilaurique semble intéressé fortement Procter & Gamble qui reconnaît à ces tensioactifs un caractère éclaircissant (diminution de la production de mélanine, diminution du transfert de la mélanine au kératinocytes).32

Le saccharose, en bref

Humectant utilisé pour formuler des gâteaux,33 humectant utilisé pour retenir l’eau dans les gels mains (les gels mains Merci Handy adoptent la sucre-attitude en introduisant cet ingrédient dans leurs formules),34 le saccharose n’est suspecté d’aucun effet délétère dans les cosmétiques. Tel quel ou sous forme de dérivés, cet ingrédient trouve dans le domaine cosmétique de nombreuses applications. Tendre pour la peau, dur pour le poil, le saccharose n’est vraiment pas l’ingrédient sur le dos duquel on viendra casser du sucre !

Bibliographie

1 Lebrun M, Bouček J, Bímová KB, Kraus K, Haisel D, Kulhánek M, Omara-Ojungu C, Seyedsadr S, Beesley L, Soudek P, Petrová Š, Pohořelý M, Trakal L. Biochar in manure can suppress water stress of sugar beet (Beta vulgaris) and increase sucrose content in tubers. Sci Total Environ. 2022 Mar 25;814:152772

2 Eggleston G. Positive Aspects of Cane Sugar and Sugar Cane Derived Products in Food and Nutrition. J Agric Food Chem. 2018 Apr 25;66(16):4007-4012

3 Kearns CE, Schmidt LA, Glantz SA. Sugar Industry and Coronary Heart Disease Research: A Historical Analysis of Internal Industry Documents. JAMA Intern Med. 2016 Nov 1;176(11):1680-1685. doi: 10.1001/jamainternmed.2016.5394. Erratum in: JAMA Intern Med. 2016 Nov 1;176(11):1729

4 Sheiham A. Sucrose and dental caries. Nutr Health. 1987;5(1-2):25-9

5 Nguyen HP, Katta R. Sugar Sag: Glycation and the Role of Diet in Aging Skin. Skin Therapy Lett. 2015 Nov;20(6):1-5

6 Danby FW. Nutrition and aging skin: sugar and glycation. Clin Dermatol. 2010 Jul-Aug;28(4):409-11

7 Rugg-Gunn A. Dental caries: strategies to control this preventable disease. Acta Med Acad. 2013 Nov;42(2):117-30

8 Newbrun E. Sucrose in the dynamics of the carious process. Int Dent J. 1982 Mar;32(1):13-23

9 Helms JA, Della-Fera MA, Mott AE, Frank ME. Effects of chlorhexidine on human taste perception. Arch Oral Biol. 1995 Oct;40(10):913-20

10 Lenoir M, Serre F, Cantin L, Ahmed SH. Intense sweetness surpasses cocaine reward. PLoS One. 2007 Aug 1;2(8):e698

11 Swiecicki L, Scinska A, Bzinkowska D, Torbinski J, Sienkiewicz-Jarosz H, Samochowiec J, Bienkowski P. Intensity and pleasantness of sucrose taste in patients with winter depression. Nutr Neurosci. 2015 May;18(4):186-91

12 Eiber R, Berlin I, de Brettes B, Foulon C, Guelfi JD. Hedonic response to sucrose solutions and the fear of weight gain in patients with eating disorders. Psychiatry Res. 2002 Dec 15;113(1-2):173-80

13 Bangha E, Elsner P. Skin problems in sugar artists. Br J Dermatol. 1996 Nov;135(5):772-4

14 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/38376

15 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/80454

16 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/80455

17 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/details/80460

18 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/pre-pro-postbiotique-quesaco-et-quoi-encore-2153/

19 Wang Y, Kao MS, Yu J, Huang S, Marito S, Gallo RL, Huang CM. A Precision Microbiome Approach Using Sucrose for Selective Augmentation of Staphylococcus epidermidis Fermentation against Propionibacterium acnes. Int J Mol Sci. 2016 Nov 9;17(11):1870

20 Tannir D, Leshin B. Sugaring: an ancient method of hair removal. Dermatol Surg. 2001 Mar;27(3):309-11

21 Zhou Q, Wu Y, Deng J, Liu Y, Li J, Du G, Lv X, Liu L. Combinatorial metabolic engineering enables high yield production of α-arbutin from sucrose by biocatalysis. Appl Microbiol Biotechnol. 2023 May;107(9):2897-2910

22 Teng Y, Stewart SG, Hai YW, Li X, Banwell MG, Lan P. Sucrose fatty acid esters: synthesis, emulsifying capacities, biological activities and structure-property profiles. Crit Rev Food Sci Nutr. 2021;61(19):3297-3317

23 Szűts A, Szabó-Révész P. Sucrose esters as natural surfactants in drug delivery systems--a mini-review. Int J Pharm. 2012 Aug 20;433(1-2):1-9

24 Cázares-Delgadillo J, Naik A, Kalia YN, Quintanar-Guerrero D, Ganem-Quintanar A. Skin permeation enhancement by sucrose esters: a pH-dependent phenomenon. Int J Pharm. 2005 Jun 13;297(1-2):204-12

25 Tavano L, Muzzalupo R, Cassano R, Trombino S, Ferrarelli T, Picci N. New sucrose cocoate based vesicles: Preparation, characterization and skin permeation studies. Colloids Surf B Biointerfaces. 2010 Jan 1;75(1):319-22

26 Vermeire A, De Muynck C, Vandenbossche G, Eechaute W, Geerts ML, Remon JP. Sucrose laurate gels as a percutaneous delivery system for oestradiol in rabbits. J Pharm Pharmacol. 1996 May;48(5):463-7

27 Ahsan F, Arnold JJ, Meezan E, Pillion DJ. Sucrose cocoate, a component of cosmetic preparations, enhances nasal and ocular peptide absorption. Int J Pharm. 2003 Jan 30;251(1-2):195-203

28 Yutani R, Komori Y, Takeuchi A, Teraoka R, Kitagawa S. Prominent efficiency in skin delivery of resveratrol by novel sucrose oleate microemulsion. J Pharm Pharmacol. 2016 Jan;68(1):46-55

29 Yutani R, Kikuchi T, Teraoka R, Kitagawa S. Efficient delivery and distribution in skin of chlorogenic acid and resveratrol induced by microemulsion using sucrose laurate. Chem Pharm Bull (Tokyo). 2014;62(3):274-80

30 Zhang W, Yang Y, Lv T, Fan Z, Xu Y, Yin J, Liao B, Ying H, Ravichandran N, Du Q. Sucrose esters improve the colloidal stability of nanoethosomal suspensions of (-)-epigallocatechin gallate for enhancing the effectiveness against UVB-induced skin damage. J Biomed Mater Res B Appl Biomater. 2017 Nov;105(8):2416-2425

31 Fang B, Card PD, Chen J, Li L, Laughlin T, Jarrold B, Zhao W, Benham AM, Määttä AT, Hawkins TJ, Hakozaki T. A Potential Role of Keratinocyte-Derived Bilirubin in Human Skin Yellowness and Its Amelioration by Sucrose Laurate/Dilaurate. Int J Mol Sci. 2022 May 24;23(11):5884

32 Wang J, Jarrold B, Zhao W, Deng G, Moulton L, Laughlin T, Hakozaki T. The combination of sucrose dilaurate and sucrose laurate suppresses HMGB1: an enhancer of melanocyte dendricity and melanosome transfer to keratinocytes. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2022 Feb;36 Suppl 3:3-11

33 van der Sman RGM, Renzetti S. Understanding functionality of sucrose in cake for reformulation purposes. Crit Rev Food Sci Nutr. 2021;61(16):2756-2772

34 https://www.sephora.fr/p/gel-mains-nettoyant-P2226001.html#product-info

 

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