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Le rouge à lèvres, le cosmétique qui aime trop la crise !

> 12 mars 2020

Le rouge à lèvres, le cosmétique qui aime trop la crise !

En ce début d’année 2020, le nom du « coronavirus » est sur toutes les lèvres. Il est tellement présent et en couche si épaisse qu’il semble avoir remplacé dans un certain nombre de cas le stick protecteur ou le rouge à lèvres. En France, le numéro des urgences médicales (le 15) reçoit des appels angoissés du type « Puis-je utiliser un rouge à lèvres chinois ? ».1 Les mesures de confinement imposées initialement en Chine ont également des conséquences en matière de mode de consommation. On constate, effectivement, une augmentation des commandes en ligne concernant les jeux vidéo, les tapis de gymnastique, les livres et… les cosmétiques. Rouges à lèvres et kits de coiffure à domicile sont les chouchous du moment.2 Pour s’adapter au port du masque, le styliste et maquilleur Alvin Goh recommande l’emploi de produits hydratants et de ne pas renoncer à l’emploi d’une crème solaire. Etonnant ! Blush et rouge à lèvres doivent être évités à son avis du fait de leur capacité à se transférer sur le masque ; le maquillage doit évidemment se concentrer sur les yeux et les sourcils ; eye-liner, mascara et crayon sont associés pour transformer instantanément le regard.3,4

L’indice rouge à lèvres : moins ça va, plus on en achète !

En 2001, Leonard Lauder, fils de la célèbre Estée, invente le concept de « lipstick index », qui établit une relation directement proportionnelle entre la sévérité d’une crise économique et le nombre d’unités de rouge à lèvres vendus.5 Santé économique précaire et cosmétiques ne sont, toutefois, pas deux mots qui s’associent de manière logique aux yeux de l’ethnologue, Kristen Ghodsee, qui publie, en 2007, les résultats d’une enquête menée auprès de femmes bulgares. Celles-ci y faisaient le constat que la gestion communiste de leur nation rimait avec pénuries et que si les besoins élémentaires (nourriture, logement, chauffage, vêtement) étaient satisfaits, tout désir supplémentaire était réprimé car taxé de « petit bourgeois ». Les femmes occidentales étaient jugées plus belles, du fait de leur accès à un grand nombre de cosmétiques. Les références de rouge à lèvres ne portaient en général pas de nom, mais uniquement des numéros et étaient fabriquées par l’une des deux entreprises cosmétiques (Alen Mak ou Aroma) tolérées sur le territoire.6

Le rouge à lèvres, plus on en met, plus on est crédible !

Des étudiants de l’Université de Parana au Brésil se sont prêtés à un jeu de confiance. 38 étudiantes se sont lancées dans des jeux d’argent auprès de leurs camarades (342 participants en tout) maquillées ou non. Les séances de maquillage, réalisées par une professionnelle, ont mis en évidence l’importance de l’aspect extérieur en matière d’attractivité et de confiance.7 En résumé, pour obtenir un prêt au meilleur taux, mieux vaut commencer par alléger son porte-monnaie en passant chez son esthéticienne.

Le rouge à lèvres, le cosmétique des prédatrices !

En 2012, des psychologues américains abondent dans le sens de l’excellence de la théorie de l’indice rouge à lèvres en montrant que les périodes de récession se traduisent par une diminution de la consommation de certains produits (électronique, électro-ménager) et une augmentation de la consommation des produits cosmétiques, en général et des rouges à lèvres en particulier. Chez la femme, la prédatrice qui dormait tranquillement en période de prospérité et se cachait sous les traits d’une bonne maîtresse de maison se réveille. La chasse à l’homme est ouverte, pas n’importe quel homme toutefois mais un homme qui ne connait pas la crise, un homme au portefeuille bien garni.8 Les résultats de cette étude réalisée sur un échantillon d’étudiants ayant été conditionnés au malaise lié à l’état de crise par la lecture de la presse n’a toutefois pas fait l’unanimité,9 ce qui se comprend aisément tant les conclusions émises sont caricaturales.

Le rouge à lèvres, en bref

En 2019, la « déconsommation » continue nous dit-on avec un nombre de cosmétiques utilisés par semaine qui tend à diminuer très (très !) légèrement (44,2 produits en 2018 et 44,1 produits en 2019). La hausse des ventes notée en 2019 serait due au syndrome de l’écureuil (et plus spécialement de l’écureuil de plus de 50 ans) qui consiste à stocker des produits cosmétiques achetés en promotion et à les utiliser ensuite au fil de l’eau. Les produits d’hygiène sont, en particulier, concernés avec une hausse de la consommation de 4 % en volume. Le secteur du maquillage, en revanche, est considéré comme souffrant avec une perte de 5,5 % en volume.10 Le rouge à lèvres, un cosmétique qui se plaît en pleine crise, c’est peut-être un peu outré…

Dans tous les cas, c’est un cosmétique combatif dont l’épaisseur sur les lèvres est inversement proportionnelle à la morosité ressentie. « Si vous êtes triste, ajoutez plus de rouge à lèvres et attaquez » !11

Bibliographie

1 https://www.estrepublicain.fr/faits-divers-justice/2020/02/09/coronavirus-les-questions-qu-il-ne-faut-pas-poser-au-centre-15

2 https://www.cnews.fr/monde/2020-03-03/pollution-preservatifs-tapis-de-gym-les-effets-inattendus-du-coronavirus-932375

3 https://korii.slate.fr/et-caetera/technologie-economie-jeux-video-effets-secondaires-inattendus-coronavirus

4 https://www.scmp.com/lifestyle/fashion-beauty/article/3048726/coronavirus-beauty-essentials-how-adapt-your-routine-when

5 https://madame.lefigaro.fr/beaute/chanel-estee-lauder-guerlain-le-rouge-a-levres-eternel-symbole-de-la-beautea-la-francaise-selection-140120-179096

6 Kristen Ghodsee, Potions, lotions and lipstick: The gendered consumption of cosmetics and perfumery in socialist and post-socialist urban Bulgaria, Women's Studies. International Forum, Volume 30, Issue 1, 2007, Pages 26-39

7 Angela Cristiane Santos Póvoa, Wesley Pech, Juan José Camou Viacava, Marcos Tadeu Schwartz, Is the beauty premium accessible to all? An experimental analysis. Journal of Economic Psychology, Volume 78, June 2020, Article 102252

8 Hill, S. E., Rodeheffer, C. D., Griskevicius, V., Durante, K., & White, A. E. Boosting beauty in an economic decline: Mating, spending, and the lipstick effect. Journal of Personality and Social Psychology, 103, 2, 2012, 275–291

9 http://www.slate.fr/lien/61387/effet-rouge-levres-femmes

10 https://www.premiumbeautynews.com/fr/france-un-marche-cosmetique,16347

11 https://citation-celebre.leparisien.fr/citations/123786

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