> 05 juin 2022
« Mme Ellis était d’un naturel ordonné et soigneux. Elle détestait tout ce qui était en désordre. » Ainsi commence la nouvelle Une seconde d’éternité de Daphné du Maurier.1 Parfaite petite bourgeoise, veuve âgée de 35 ans, parfaite ménagère comptant ses piles de draps blancs et rangeant avec soin ses bocaux de confiture, Mme Ellis vit paisiblement, en bonne entente avec sa bonne, Grace. Une petite fille de 9 ans, Susan, en pension dans un établissement voisin, fait la joie et l’orgueil de la jeune mère.
Tout va pour le mieux, jusqu’à ce que la camionnette du laitier vienne écraser Mme Ellis. En une seconde, Mme Ellis ne revoit pas sa vie, elle l’anticipe... se projette dans le futur où règne un véritable chaos. Plus rien n’est à sa place, la maison sens dessus dessous... des voisins disparus, des immeubles détruits par une guerre (la Seconde, pas la première !), des locataires qui chamboulent tout dans son joli pavillon !
1932... 1952 ! Les pages du calendrier se sont envolées. Susan est mariée - mal mariée - et ne reconnaît pas sa mère dans la vieille dame complètement déboussolée qui lui est amenée par la police. Qu’est-ce que c’est que cette histoire. Sa mère est morte il y a 20 ans !
Catapultée dans le futur, Mme Ellis fouille ses poches avec désespoir et n’y trouve même pas son poudrier usuel. « Je sens que mes cheveux sont affreusement dépeignés et que j’ai des mèches dans le cou. Je n’ai même pas un poudrier ou un peigne sur moi, rien. Je dois leur paraître négligée, vulgaire, c’est compréhensible. »
Sans poudrier dans la poche, sans le secours des cosmétiques, il ne reste plus à Mme Ellis qu’à fuir aux hasards des rues. Pour la deuxième fois, un « crissement brutal de freins » ! Cette fois, c’est fini. Tout est rangé, plié. Mme Ellis a fait ses bagages pour l’au-delà ! Et cette fois-ci, soyons en sûr, elle n’a oublié ni son nécessaire de toilette, ni sa trousse à maquillage !
Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette... seconde d'éternité !
1 du Maurier D., Une seconde d’éternité in Les oiseaux, Le livre de Poche, 2016, 348 pages