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Le parfum de la loge n°5 !

> 13 mars 2022

Le parfum de la loge n°5 !

Le fantôme de l’opéra est un curieux roman de Gaston Leroux.1 Durant 500 pages (c’est un peu longuet parfois), Gaston nous trimballe de la cave au grenier de l’opéra le plus connu de France. On court après une voix... On fait jouer des ressorts, on tombe dans des trappes (attention le sous-sol est bourré de tonneaux remplis de poudre), on a diablement chaud, puis effroyablement froid. On côtoie la mort, on frôle des rats (petits et charmants ou gros et répugnants)... On ne sait pas trop bien où Gaston veut nous emmener, mais on le suit tant bien que mal. Au passage, on fait la connaissance d’une diva qui fait un couac mémorable lors d’une soirée de gala... On trotte, on galope, on est hors d’haleine. Et au final, on pousse un soupir... Le fantôme n’aura pas le dernier mot. Ouf !

Le fantôme de l’opéra, qu’est-ce qu’il y a sous son masque ?

Tout le monde le connaît à l’opéra, tout le monde l’a vu ou tout du moins aperçu ou tout du moins entendu (il arrive en effet de temps à autre que l’on entende la « Voix » retentir ici ou là). Une ombre, un grand costume noir, un visage masqué parfois, une tête de mort souvent. De temps en temps, lorsqu’il lui faut sortir dans Paris faire des courses, un « nez en carton-pâte garni d’une moustache » vient adoucir un visage pour le moins ingrat. Et puis, lorsque le fantôme tombe amoureux de Christine, le voilà prêt à mettre au point « un masque » qui lui « fait la figure de n’importe qui ».

Pour un certain bal, le fantôme sort de sa malle un costume rouge sang. Le public s’extasie devant sa tête de mort extrêmement bien imitée. Un impudent se risque même à lui demander le nom de la personne qui lui a « maquillé une aussi belle tête de mort ». Lorsque l’effronté sent une main squelettique se poser, avec force, sur son bras... il n’est plus question de connaître le nom de l’esthéticienne à l’origine de cette composition, il n’est plus question que de fuir le plus vite possible.

Et puis, le fantôme c’est un parfum... celui de la mort. Un parfum qui rôde et emplit la loge n°5, la loge réservée chaque soir à celui qui se fait obéir des directeurs de l’opéra Garnier au doigt et à l’œil. MM. Debienne et Poligny semblent, en effet, être aux petits soins, avec l’étrange individu qui règne dans les profondeurs de l’illustre institution. Ce fantôme (en chair et en os parfois) est jugé responsable de tout ce qui se passe dans le bâtiment. Une « houppette à poudre de riz » disparaît... c’est le fantôme qui est incriminé !

Et puis, le fantôme, c’est une sorte de magicien qui apparaît, disparaît, use d’un certain « élixir » pour endormir ses victimes. Un homme qui, visiblement, aime le luxe et vit dans les entrailles de l’opéra, dans un appartement aussi coquet que celui que l’on pourrait trouver à la surface, dans un beau quartier parisien. Le salon y est rempli de bouquets de fleurs exhalant un parfum suave. Gaston Leroux, pour décrire l’atmosphère du lieu n’hésite pas à employer l’expression « d’embaumement très parisien ».

Et enfin, le fantôme, c’est tout simplement un pauvre bougre dénommé Erik. Un pauvre Rouennais, d’une laideur extrême, qui a fait l’objet de la désolation de ses parents. Un garçon, puis un homme montré de foire en foire, à travers le monde. Un garçon qui se forge un tempérament de feu et se forme à toutes les astuces des magiciens et des ventriloques.

Les petits rats, qu’est-ce qu’il y a au-dessus du tutu ?

Dans les coulisses, sur scène, dans les loges, les petits rats de l’opéra s’en donnent à cœur joie. Il y des brunes, il y a des blondes... La petite Jammes, aux « yeux myosotis », aux « joues de rose » et à la « gorge de lis », est en compétition avec la petite Giry, « des yeux pruneaux, des cheveux d’encre, un teint de bistre ». A chacun ses goûts ! On peut signaler au passage que Madame Giry, la mère de la petite Giry (Mame Giry, comme tout le monde dit), est au mieux avec le fantôme de l’opéra, qui lui laisse des pourboires somptueux pour bons et loyaux services rendus.

Les gros rats, qu’est-ce qu’il y a donc pour les attirer ?

Et un « tueur de rats » ; celui-ci est payé par la direction pour traquer les rats et les exterminer. Cet employé qu’il vaut mieux ne pas croiser dans l’exercice de ses fonctions - ça grouille autour de lui - possède un « parfum secret qui attirait à lui les rats comme le coq-levent dont certains pêcheurs se garnissent les jambes pour attirer le poisson. »

La Sorelli, qu’est-ce qu’elle a donc dans la gorge ?

La Sorelli est une brillante diva, à la voix en or et aux cheveux du même métal. « Des cheveux blonds et purs comme l’or couronnent un front mat au-dessous duquel s’enchâssent deux yeux d’émeraude. » Tout va bien, jusqu’au jour où le fantôme facétieux lui fait entrer une grenouille dans la gorge... Et couac !

Christine Daaé, qu’est-ce qu’elle a donc à portée de main dans sa salle de bain ?

Christine Daaé est, quant à elle, une obscure chanteuse, bien loin de posséder un dixième du talent de la célèbre diva. Pourtant, brusquement, Christine se met à chanter de manière exquise ! Il semblerait que le fantôme de l’opéra soit tombé sous son charme et ait décidé de lui donner des cours de chants (il faut dire que le fantôme est également appelé « la Voix du génie de la musique »). Stupeur du public... Eblouissement de Raoul de Chagny, qui met ses hommages à ses pieds. Petit message envoyé à Raoul - la missive est toute imprégnée de parfum - rendez-vous dans le cimetière de Perros-Guirec, à la nuit tombée. « Tout au long du voyage », Raoul « relut le billet de Christine, il en respira le parfum ; il ressuscita la douce image de ses jeunes ans. » La douce Christine, aux « joues d’ivoire » va, bientôt, être retenue prisonnière par un fantôme tombé complètement gaga. Installé dans une chambre disposant de tout le confort moderne, Christine passe ses journées à pleurer et à prendre des bains (« J’étais prisonnière et je ne pouvais sortir de ma chambre que pour entrer dans une salle de bain des plus confortables ; eau chaude et eau froide à volonté. ») Puisque la seule activité possible consiste à se prélasser dans un bain... Christine ne s’en prive pas. Restant tout de même sur la défensive, elle garde toujours précieusement à portée de main une paire de ciseaux au cas où le fantôme cesserait de « se conduire comme un honnête homme ».

Raoul de Chagny, qu’est-ce qu’il a donc fait à sa peau ?

Raoul de Chagny est un noble individu âgé de 21 ans. « Il avait une petite moustache blonde, de beaux yeux bleus et un teint de fille ». Ce teint de fille est visiblement un élément important à retenir puisque Gaston Leroux nous indique ce détail à deux reprises. Raoul est amoureux de Christine. Il l’a connue enfant et la découvre femme. Coup de foudre. Tous les soirs, il rôde désormais dans les loges, cherchant à rencontrer, ne serait que quelques instants, sa bienaimée. Toujours respectueux, Raoul se garde bien de toucher à la tablette de toilette où la chanteuse pose toutes ses affaires. « [...] il ne songea même point à dérober un ruban qui lui eût apporté le parfum de celle qu’il aimait. » Amoureux transi, ayant pour adversaire un fantôme qui dispose de tout un arsenal de trucs et astuces pour se déplacer en totale invisibilité, Raoul part au quart de tour lorsqu’il s’agit de délivrer la belle. Et il y parviendra !

Le Persan, qu’est-ce qu’il a donc sous la toque ?

Le Persan est un personnage qui fait irruption dans le récit sans crier gare. Un compagnon très utile, qui connaît bien le fantôme et pourra ainsi déjouer ses plans. Un « teint d’ébène », des « yeux de jade » et une belle toque d’astrakan !

Le commissaire Mifroid, qu’est-ce qu’il a l’air bête !

Au jeu du « ça chauffe, ça brûle », le commissaire Mifroid est toujours perdant. Très jovial, avec une figure « toute rose et toute joufflue », le commissaire ouvre des yeux bleus sereins et ahuris sur une situation à laquelle il ne comprend absolument rien.

Le fantôme de l’opéra, en bref

Raoul aime Christine, qui a pitié d’Erik, l’âme en peine qui vit dans les tréfonds de l’opéra Garnier. Avec Erik, Christine traverse les miroirs... Christine pleure sur son sort et sur celui de Raoul. Quelle histoire ! Heureusement, contre toute attente, le fantôme s’avère moins méchant que l’on pouvait le supposer. Christine reverra le jour ; Raoul ne succombera pas dans la Chambre des Supplices... Reste ce drôle de parfum qui flotte, les soirs de grandes premières, dans une certaine loge toujours inoccupée... La loge n°5, nous dit Gaston !

Bibliographie

1 Leroux G., Le fantôme de l’opéra, Le livre de poche, 498 pages

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