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Le myrte, de l’Alcazar de Séville au shampooing antipelliculaire, un végétal qui mérite une hola... ollé !

> 08 novembre 2018

Le myrte, de l’Alcazar de Séville au shampooing antipelliculaire, un végétal qui mérite une hola... ollé !

Le myrte (Myrtus communis), un arbuste de la famille des Myrtacées à feuilles persistantes, endémique des régions méditerranéennes, est une plante hautement symbolique dont le nom est évocateur de beauté, de séduction. Qu’il embaume les jardins de l’Alcazar de Séville, en été, ou qu’il entre dans la composition d’un shampooing antipelliculaire, en toutes saisons, qu’il inspire les médecins, les peintres ou les poètes, le myrte présente de multiples facettes qu’il est plaisant de détailler une par une.

Le myrte, un végétal qui trouve sa place dans la Bible

Parmi la centaine d’espèces végétales recensées dans la Bible, on trouve, bien sûr, le figuier qui permet à Adam et Eve de couvrir leur nudité ; on croise bien souvent des oliviers, de la vigne, des grenadiers, des jujubiers, des dattiers… Le Dieu-colère qui s’emporte contre l’Homme qui ne peut s’empêcher de rompre le pacte d’alliance est également un Dieu-amour qui promet un monde meilleur où coulent le lait et le miel, un monde parfait où l’Homme vivra en harmonie avec la nature. « Je ferai jaillir des fleuves sur les coteaux pelés et des sources au milieu des ravines, je transformerai le désert en étang et la terre aride en fontaines. Je mettrai dans le désert le cèdre, l'acacia, le myrte et l'olivier ; j’introduirai dans la steppe le cyprès, l'orme et le buis ensemble. ».1 

Le myrte, un végétal qui trouve sa place dans l’armoire à pharmacie

Hippocrate (vers 460 avant J.-C - 377 av. J.-C.) dans son traité De la nature de la femme y fait référence une quinzaine de fois.2 Dioscoride (vers 40 ap. J-C, 90 ap. J-C), dans sa célèbre De materia medica, recommande les baies pour les maux d’estomac, les abcès, les escarres. Les feuilles finement broyées sont considérées comme anti-sudorifiques.3 Avicenne (980 - 1037), dans son traité médical, Le Canon, présente le myrte comme un analgésique, un anti-inflammatoire utilisé par voie topique, par voie orale ou pulmonaire, dans le cadre du traitement de syndromes inflammatoires douloureux à type d’orchite, de maux de tête, d’arthrite, d’otite, de maladies oculaires chroniques, de gingivite et en cas d’hémorroïdes. Les feuilles de myrte permettent de réaliser des cataplasmes destinés à mettre fin aux saignements. En cas de prolapsus anal, des bains de siège réalisés avec une décoction de feuilles de myrte sont recommandés.4 Une compilation de textes médicaux retrouvée dans les années 1950 dans le monastère orthodoxe de Chilandar, The Chilandar medical Codex, réalisée entre les XIII et XIVe siècles, présente le myrte comme le végétal indiqué comme anti-diarrhéique, antipyrétique, tonique, astringent. La poudre, utilisée de manière topique, permet de faciliter la cicatrisation des plaies. Maux de tête et phlegmons sont également traités par des préparations en contenant.5 Au Moyen-Age, la communauté juive reconnaît au myrte des propriétés bénéfiques en cas de maladies oculaires, de maux d’estomac, de morsures d’araignées. Un effet tonique est également mis en avant.6 Afin d’éviter la calvitie, une préparation à base de feuilles de myrte, d’écorce de pin, de vin blanc, d’huile de graines de radis, d’oseille, de myrrhe, de feuilles de saule, d’huile de raisins verts, de baies de genévrier, d’armoise, de racines de fougère, d’amandes concassées, de son de blé, de mastic est évoquée, par le dermatologue Albert Kligman, dans une savoureuse publication retraçant succinctement l’histoire de la calvitie, comme étant une recette en vogue au XVIIe siècle.7 Il est vrai que le myrte avec son feuillage persistant (quelle symbolique !) n’a pas fait que ceindre le front des héros dégarnis… Il a également permis la réalisation de shampooings de composition extrêmement simple. Pour Aldebrandin de Sienne, médecin du XIIIe siècle, les recettes les plus simples sont les meilleures. Comment doit-on faire pour conserver ses cheveux ? lui demande-t-on souvent. Tout simplement, en se lavant la tête avec une décoction de feuilles de myrte. Inutile d’ajouter un quelqu’autre ingrédient. 8

A l’heure actuelle, on reconnaît au myrte des propriétés anti-diarrhéiques par un effet inhibiteur de la motilité gastro-intestinale (tests réalisés sur animal),9 ainsi qu’un effet antiseptique vis-à-vis de certains germes susceptibles de coloniser les plaies.10 L’effet anti-inflammatoire pressenti en médecine traditionnelle est confirmé sur modèle animal pour des doses d’emploi variables selon les extraits de plante testés.11 

Le myrte, un végétal qui se faufile dans les verres au moment de l’apéritif

Le myrte présente une odeur agréable et une amertume intense ; de ce fait, son emploi en cuisine n’a cure que dans certaines régions. Son emploi est fréquent en Italie, par exemple. On réalise ainsi le fumage de certains aliments à l’aide de ce végétal. On trouve, quelques domaines où l’amertume est particulièrement appréciée des papilles… En Sardaigne, les baies et les feuilles permettent d’obtenir des liqueurs de myrte (mirto rosso et mirto bianco) bien connues pour leurs propriétés apéritives et tonifiantes. Des sauces peuvent également être préparées.12

De l’apéritif au dessert, il y a un grand pas… pas qu’ont franchi allègrement des chercheurs en quête d’ingrédients prébiotiques. Incorporées dans des crèmes glacées complémentées en Lactobacillus casei, les baies de myrte permettent à ce germe de se développer aisément… affaire à suivre !13 

Le myrte, un végétal qui trouve sa place dans la littérature

Aristophane (-445 - entre -385 et -375) voit dans ce végétal bien autre chose que ce que le botaniste est habitué à décrire. Dans son ouvrage Lysistrata, le terme « myrte » est employé pour désigner le clitoris ou plus généralement le sexe féminin. Dans cet ouvrage, les femmes grecques se prêtent au chantage pour ramener les hommes à la raison. « Faites l’amour pas la guerre », disent en substance les femmes, à leurs maris belliqueux.2 

Le myrte, un végétal qui pare le front des amoureux, des belliqueux, des courageux

Durant l’Antiquité, les feuilles de myrte sont tressées pour former des couronnes qui sont portées par les mariées. Le contenu du sarcophage de Crepereia Tryphaena (IIe siècle de notre ère) retrouvé à Rome dans le quartier Prati est extrêmement émouvant. Il s’agit du corps d’une jeune femme, richement parée de bijoux et portant une couronne de myrte, celle-ci étant vraisemblablement décédée alors qu’elle s’apprêtait à se marier.14,15

Les feuilles de myrte couronnent également le front des combattants victorieux. Si le laurier orne le front de l’empereur qui a triomphé des ennemis dans le sang, c’est le myrte qui ceint le front de celui qui entre dans Rome après avoir obtenu une victoire par forfait, sans qu’une seule goutte de sang ne soit versée ; les Graminées constituent la récompense des soldats qui délivrent leurs compagnons d’un siège - les herbes utilisées sont cueillis sur le lieu même de l’exploit - , le chêne revient au citoyen qui en a sauvé un autre…16 

Le myrte, un végétal qui trouve sa place dans l’art pictural

Symbole des déesses Vénus et Aphrodite, le myrte est représenté sur un grand nombre d’œuvres d’art. Le peintre Raphaël dispose ainsi la femme aimée - La Fornarina - devant un buisson de myrte (1516-1518). Margherita Luti y est représentée sur la toile en très petite tenue. Bien des années plus tard, Jean-Auguste-Dominique Ingres fera état de la passion du peintre pour son modèle en peignant Raphaël et Margherita enlacés durant une séance de travail.17 Le buisson de myrte est alors remplacé par le décor d’un atelier cossu. En 1577, le Tintoret met la dernière main aux Trois Grâces, dans le palais ducal de Venise. Chez les Grecs anciens, les Grâces, qui ne furent d’ailleurs pas toujours au nombre de trois (!), sont des divinités qui apportent la joie. Habillées ou dévêtues, elles figurent sur de nombreux monuments. Chacune apporte des bienfaits. Dans certains cas, deux d’entre elles sont tournées vers le spectateur, la troisième lui tournant ostensiblement le dos... On pense qu’il s’agit d’une allégorie permettant de comprendre qu’aucun bienfait ne se perd et qu’au contraire « tout bienfait nous revient multiplié par deux ». Le Tintoret choisit de placer dans leur main des attributs spécifiques, à l’une une rose, à l’autre une branche de myrte - rose et myrte étant symboles de l’amour - à la dernière un dé qui, comme la chance, tourne en permanence.18 

Le myrte, un végétal connu pour ses propriétés cosmétiques

En cosmétologie, lorsque l’on évoque le myrte, on pense tout d’abord à son parfum apprécié dans les pays méridionaux. Les produits de la distillation, une eau aromatique nommée “Eau d’ange”, autrefois extrêmement réputée et une huile essentielle renfermant majoritairement du cinéole sont obtenues à partir des fleurs et des feuilles.19 Les feuilles séchées renferment du 1,8 cinéole (14 à 20 %), du linalol (8 à 16 %), de l’acétate de linalyle (3 à 6 %), du terpinéole, des tanins et des flavonoïdes. Les baies renferment des tanins, des anthocyanes et des acides gras. Les teneurs sont variables selon les modes d’obtention.12

Les graines présentes dans les baies permettent de produire une huile comportant majoritairement de l’acide linoléique avec un rendement d’environ 12 %.20

En 2011, les laboratoires Johnson & Johnson agitent des brins de myrte frénétiquement au-dessus de nos têtes en signe de victoire. On connaît depuis longtemps les propriétés anti-âge du rétinol. On découvre que son effet anti-rides peut être augmenté par association avec un extrait aqueux de feuilles de myrte. Des essais ex vivo ont permis de démontrer une augmentation de l’expression des gènes répondant aux rétinoïdes (heparin-binding epidermal growth factor et cellular retinoic acid binding protein II) sous l’effet d’un extrait aqueux de myrte. In vivo, on constate un effet anti-rides marqué.21 Tout cela sans aucune gêne particulière… le cosmétique appliqué étant « extrêmement bien toléré ».22 Les Australiens, de la même façon, exploitent l’huile essentielle de myrte à des fins anti-âge, qui trouve ainsi sa place dans des cosmétiques réputés très efficaces.23

En 2017, une publication met en avant les propriétés antibactériennes d’un certain nombre de plantes médicinales égyptiennes. Le myrte sort vainqueur toutes catégories dans la lutte contre Propionibacterium acnes.24 Cette notion n’est pas un scoop pour les laboratoires Ducray (la crème Keracnyl control contient un extrait de feuilles de myrte) qui font confiance au myrte dans la prise en charge du sujet acnéique.

Le myrte est toutefois assez peu présent sur le marché des cosmétiques. On le retrouve dans quelques shampooings (shampooing Klorane au myrte) et crèmes anti-rides (gamme Neutrogena basée sur la technologie du rétinol SA avancé). La seule chose que l’on pourra lui reprocher c’est son effet allergisant.

Le myrte en un mot

Il y a toujours anguille sous roche… et ce pas uniquement dans le domaine de la pêche. Si Horace dans ses Odes se plaint de voir remplacer les plantations d’oliviers par des champs de myrte, signe d’amollissement condamnable,25 nous ne pouvons que nous réjouir des belles propriétés de cette plante pleine de vitalité. On nous le dit depuis l’Antiquité : le myrte est paré de nombreuses qualités !

Bibliographie 

1 Trublet J. Peut-on parler de nature dans l’Ancien Testament ?, Recherches de science religieuse, 2010/2 ; Tome 98, Page 160.
2 Byl S. De quelques ingrédients gynécologiques (fruits et plantes) et leurs relations avec les pudenda masculins et féminins dans le traité hippocratique de la Nature de la femme, Revue belge de Philologie et d'Histoire, 2009, 87-1, pages 5-11.
3 Leonti M., Casu L., Sanna F., Bonsignore L. A comparison of medicinal plant use in Sardania and Sicily – De materia revisited, Journal of ethnopharmacology, 121, 2, 2009, Pages 255 – 267.
4 Mohaddese M. Effectiveness of Myrtus communis in the treatment of hemorrhoids, Journal of Integrative Medicine, 15, 5, 2017, Pages 351-358
5 Snežana Jarić, Miroslava Mitrović, Lola Djurdjević, Olga Kostić, Pavle Pavlović, Phytotherapy in medieval Serbian medicine according to the pharmacological manuscripts of the Chilandar Medical Codex (15–16th centuries), Journal of Ethnopharmacology, 137, 1, 2011, Pages 601-619
6 Efraim Lev, Drugs held and sold by pharmacists of the Jewish community of medieval (11–14th centuries) Cairo according to lists of materia medica found at the Taylor–Schechter Genizah collection, Cambridge, Journal of Ethnopharmacology, 110, 2, 2007, Pages 275-293
7 Kligman A., Freeman B., History of baldness from magic to medicine, Clinis in dermatology, 6, 4, 1988, Pages 83 – 88).
8 Le régime du corps de Aldebrandin de Sienne disponible sur : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6458299v/f125.image.
9 Mohamed-Amine Jabri, Kais Rtibi, Mohsen Sakly, Lamjed Marzouki, Hichem Sebai, Role of gastrointestinal motility inhibition and antioxidant properties of myrtle berries (Myrtus communis L.) juice in diarrhea treatment, Biomedicine & Pharmacotherapy, 84, 2016, Pages 1937-1944
10 Verica Aleksic, Neda Mimica-Dukic, Natasa Simin, Natasa Stankovic Nedeljkovic, Petar Knezevic, Synergistic effect of Myrtus communis L. essential oils and conventional antibiotics against multi-drug resistant Acinetobacter baumannii wound isolates, Phytomedicine, 21, 12, 2014, Pages 1666-1674.
11 Hossein Hosseinzadeh, Mohammad Khoshdel, Maryam Ghorbani, Antinociceptive, Anti-inflammatory Effects and Acute Toxicity of Aqueous and Ethanolic Extracts of Myrtus communis L. Aerial Parts in Mice, Journal of Acupuncture and Meridian Studies, 4, 4, 2011, Pages 242-247.
12 Verica Aleksic, Petar Knezevic, Antimicrobial and antioxidative activity of extracts and essential oils of Myrtus communis L., Microbiological Research, 169, 4, 2014, Pages 240-254.
13 Hale İnci Öztürk, Talha Demirci, Nihat Akın, Production of functional probiotic ice creams with white and dark blue fruits of Myrtus communis: The comparison of the prebiotic potentials on Lactobacillus casei 431 and functional characteristics, LWT, 90, 2018, Pages 339-345.
14 Geffroy A., Lettre du directeur de l'École française de Rome - séance du 24 mai 1889, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1889, 33-3, pages 198-200.
15 http://www.centralemontemartini.org/fr/collezioni/percorsi_per_sale/sala_colonne/crepereia_tryphaena/corredo_di_crepereia_tryphaena_bambola
16 Guillaume-Coirier G., Les couronnes militaires végétales à Rome. Vestiges indo-européens et croyances archaïques, Revue de l'histoire des religions, 1993, 210-4, Pages 387-411.
17 Gustin-Gomez C., Le regard amoureux du peintre, Libres cahiers pour la psychanalyse, 2012/1, n°25, page 210.
18 Wolff E., Sur une interprétation de la figure des Grâces, Littératures classiques, 2006/2, N°60, Page 326.
19 Dorvault F. L’Officine, Vigot, Paris, 1995, 2089 p.
20 Wissem Aidi Wannes, Brahim Marzouk, Characterization of myrtle seed (Myrtus communis var. baetica) as a source of lipids, phenolics, and antioxidant activities, Journal of Food and Drug Analysis, 24, 2, 2016, Pages 316-323.
21 Thierry Oddos, Christiane Bertin, Linda Fournier, Sebastien Saclier, Valerie Bruere, Antiwrinkle activity of retinol is enhanced by a Myrtus communis extract, Journal of the American Academy of Dermatology, 64, 2, Suppl 1, 2011, Page ab23.
22 Sidney Hornby, James Leyden, Samantha Samaras-Tucker, Yohini Appa, Myrtus communis extract enhances the tolerability and efficacy of high retinol facial moisturizer, Journal of the American Academy of Dermatology, 64, 2, Suppl 1, 2011, Page ab24.
23 Nur Azzanizawaty Yahya, Nursyafreena Attan, Roswanira Abdul Wahab, An overview of cosmeceutically relevant plant extracts and strategies for extraction of plant-based bioactive compounds, Food and Bioproducts Processing, 112, 2018, Pages 69-85.
24 A. A. Hamdy, H. A. Kassem, G. E. A. Awad, S. M. El-Kady, A. A. Hussein, In-vitro evaluation of certain Egyptian traditional medicinal plants against Propionibacterium acnes, South African Journal of Botany, 109, 2017, Pages 90-95.
25 Horace, Odes, II, 15

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