Nos regards
Le millepertuis, une plante capricieuse peu utilisée dans le domaine cosmétique !

> 01 juin 2020

Le millepertuis, une plante capricieuse peu utilisée dans le domaine cosmétique !

Le millepertuis perforé (Hypericum perforatum L.) ou « Herbe de mille trous » ou « Chasse-diable », dénommé herbe de Saint-Jean aussi bien en français qu’en anglais (St John’wort) ou en allemand (Johanniskraut) se distingue des autres herbes dites de la Saint Jean.1 Cette plante est largement utilisée en médecine traditionnelle sous forme de tisane ou de complément alimentaire. Elle tire son nom du fait qu’il est conseillé de la cueillir dans la nuit de la Saint Jean (le 24 juin) afin de se prémunir d’un certain nombre de maladies (catarrhe bronchique et vers) et de la sorcellerie.2 Il s’agit sans doute de la plus connue et de la plus consommée des plantes médicinales.3 Les extraits de millepertuis sont utilisés actuellement pour leurs propriétés anxiolytiques, antioxydantes et anti-inflammatoires. Les préparations huileuses de millepertuis, quant à elles, trouvent des applications cutanées dans le traitement des blessures (cette indication est très ancienne et obéit à la théorie des signatures, on peut faire confiance à cette plante dont les feuilles sont lardées de trous pour soigner les blessures internes ou externes),4 les brûlures et les inflammations.5 Peu utilisée dans le domaine cosmétique, cette plante nécessite d’être bien connue, afin d’être bien employée.

L’huile de millepertuis, qu’est-ce que c’est ?

Il n’existe pas une seule huile de millepertuis, mais plusieurs. Dans un cas, il s’agit d’un macérat huileux, obtenu en laissant en contact le matériel végétal avec une huile durant un temps variable. Dans l’autre cas, il s’agit de l’huile fixe obtenue à partir des fleurs de millepertuis. L’inventaire européen répertorie cette huile à caractère émollient sous le nom INCI : « Hypericum perforatum oil ».6

En médecine traditionnelle, l’oléolite est obtenu par macération des fleurs de millepertuis dans une huile végétale type huile de tournesol ou huile d’olive pendant une durée variable (40 jours par exemple). On reconnaît à ces huiles des propriétés cicatrisantes.7-9 Selon la nature de l’huile utilisée, on constatera des différences notables en matière de molécules actives extraites.10

En ce qui concerne l’huile fixe, il est intéressant de préciser que la teneur en lipides totaux dans les différentes espèces varie entre 0,6 et 3,5 mg/kg de poids sec. Les acides gras les mieux représentés sont les acides linoléique (11 à 38 %), oléique (11 à 24 %) et palmitique (4 à 20 %).11 Rien de bien original, en somme.

On peut, tant qu’on y est, en rajouter une couche et évoquer l’huile essentielle de millepertuis dont les principaux composants sont le 2,6-diméthyl-heptane (6 –36 %), l’alpha-pinène (5 –26 %), le delta-cadinène (0 –23 %) et le gamma-cadinène (0 –17 %).12

Le millepertuis, c’est bon pour le moral

Le millepertuis est très étudié pour son intérêt dans le traitement des troubles psychiatriques à type de dépression et d’anxiété. Les actifs en cause, hypéricine et hyperforine, possèdent des propriétés similaires, nous dit-on, à celles des antidépresseurs tricycliques et aux inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, avec, toutefois des effets indésirables moindres.13 Dans le cadre de la prévention de la dépression liée à la ménopause, le millepertuis semble intéressant si on se fie aux résultats obtenus sur un petit échantillon de 80 femmes. Administré par voie orale, à la posologie de 300 microgrammes 3 fois par jour, le millepertuis s’avère combattre les idées noires chez 80 % des femmes traitées, alors que seulement 6 % pour les femmes ayant reçu un placébo ressentent une amélioration.14

Le millepertuis, c’est bon en cas de blessure ou d’escarres

On reconnaît à l’huile de millepertuis des propriétés cicatrisantes dues à une stimulation de la synthèse de collagène par les fibroblastes, pouvant être intéressantes dans le cadre du traitement des plaies et des escarres.15 On rejoint ici la théorie des signatures qui implique que l’aspect extérieur d’une plante renseigne le médecin ou le pharmacien sur l’usage thérapeutique qui peut en être fait. Les actifs responsables de cette action sont l’hypéricine et l’hyperforine.16

Le millepertuis, c’est pas bon pour les bactéries

Une revue de la littérature réalisée en 2019 insiste sur l’effet antibactérien du millepertuis. Celui-ci est plus important vis-à-vis des bactéries Gram positif, que vis-à-vis des bactéries Gram négatif. Les germes sensibles sont les suivants : S. aureus, S. epidermidis, E. faecalis, E. coli, P. aeruginosa, Proteus mirabilis, Proteus vulgaris, S. epidermidis, Streptococcus spp., Propionibacterium acnes, Mycobacterium spp., Clostridium histiolyticum.17 Les extraits aqueux possèdent ce type de propriétés.18 Certains macérats huileux également.19 Difficile de s’y retrouver quant aux extraits testés (ceux-ci ne sont pas toujours mentionnés dans les publications).

Le millepertuis, c’est pas bon au soleil

Les extraits de millepertuis renferment des molécules photosensibilisantes telle que l’hypéricine.20-22 Ce type d’actif cosmétique ne convient donc pas pour la formulation des produits solaires ou des produits susceptibles d’être utilisés au soleil.23-26

Le millepertuis, une plante qui aime la fraîcheur, le soleil et le jasmin

Afin d’augmenter la concentration de molécules actives dans les extraits réalisés, il est possible de faire varier différents paramètres. En ce qui concerne la température optimale de culture, on constate que celle-ci doit être basse. La quantité d’hypéricine présente dans les parties aériennes de la plante est respectivement 2 à 6 fois supérieure à 15°C par rapport à celle obtenue pour des températures de 22 et de 30°C.27 D’autres essais menés à 4°C sous irradiation UVB sont également en faveur d’une augmentation du rendement.28 Même chose en cas d’exposition à l’acide jasmonique.29 Décidément, pour cultiver au mieux le millepertuis il faut être aux petits soins avec cette plante, climatiseur, solarium et pulvérisation de parfum au jasmin... s’il vous plaît !

Le millepertuis, en bref

Le millepertuis est une plante courtisée par les amateurs de recettes maison. La société Aroma-zone propose ainsi une recette de stick « tranquillité lavande & millepertuis », à base, comme son nom le laisse supposer, de macérat huileux de millepertuis et d’huile essentielle de lavande. Ce stick, aux vertus apaisantes, calmerait les démangeaisons ;30 le problème c’est que l’on sort visiblement du registre cosmétique. Le site « Potions et chaudron » est encore plus audacieux. Le macérat huileux utilisé pour réaliser un baume à destination d’une copine qui a du mal à remonter la pente est fabriqué avec du millepertuis récolté dans la nature et de l’huile d’olive bio... Avec 57 % de cette huile maison et 10 % de teinture de millepertuis,31 la recette est concentrée à n’en pas douter ! A proscrire évidemment. Idem pour le site Aurélie au naturel32 et bien d’autres encore. Fabriquer des cosmétiques ou des médicaments ne constitue pas un passe-temps, mais un métier... Les matières premières utilisées doivent faire l’objet de contrôles analytiques afin de doser les molécules présentes et de s’assurer de leur innocuité. A méditer.

Une remarque encore : le millepertuis de la photo qui sert d'illustration à ce Regard est une variété ornementale et non officinale.

Bibliographie

1 Berner L. A propos des herbes de la Saint Jean, Publications de la société Linéenne de Lyon, 1947, 16-6, Pages 126-127

2 Coquillat M. Herbes de la Saint Jean, Publications de la société Linéenne de Lyon, 1946, 15-7, Pages 47-48

3 Ezgi Ersoy, Esra Eroglu Ozkan, Mehmet Boga, Afife Mat, Evaluation of in vitro biological activities of three Hypericum species (H. calycinum, H. confertum, and H. perforatum) from Turkey, South African Journal of Botany, 130, 2020, Pages 141-147

4 Lefebvre T., Raynal C. Paracelse, Entre magie, alchimie et médecine : une vie de combat au temps de la Renaissance, Revue d’histoire de la pharmacie, 1996, 311, Pages 407-410

5 Maciej Jarzębski, Wojciech Smułek, Hanna Maria Baranowska, Łukasz Masewicz, Ewa Kaczorek, Characterization of St. John's wort (Hypericum perforatum L.) and the impact of filtration process on bioactive extracts incorporated into carbohydrate-based hydrogels. Food Hydrocolloids, 104, 2020, Article 105748

6 https://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=34558

7 Lazzara S, Carrubba A, Napoli E., Variability of Hypericins and Hyperforin in Hypericum Species from the Sicilian Flora., Chem Biodivers., 2020, 17, 1, e1900596

8 Ipek Süntar, Esra Küpeli Akkol, Hikmet Keleş, Alper Oktem, Erdem Yeşilada, A novel wound healing ointment: A formulation of Hypericum perforatum oil and sage and oregano essential oils based on traditional Turkish knowledge, Journal of Ethnopharmacology, 134, 18, 2011, Pages 89-96

9 Ipek Peşin Süntar, Esra Küpeli Akkol, Demet Yılmazer, Turhan Baykal, Erdem Yeşilada, Investigations on the in vivo wound healing potential of Hypericum perforatum L., Journal of Ethnopharmacology, 127, 23, 2010, Pages 468-477

10 Miriam Heinrich, Veronika Vikuk, Rolf Daniels, Florian C. Stintzing, Dietmar R. Kammerer, Characterization of Hypericum perforatum L. (St. John’s wort) macerates prepared with different fatty oils upon processing and storage, Phytochemistry Letters, 20, 2017, Pages 470-480

11 Karim Hosni, Kamel Msaâda, Mouna Ben Taârit, Brahim Marzouk, Fatty acid composition and tocopherol content in four Tunisian Hypericum species: Hypericum perforatum, Hypericum tomentosum, Hypericum perfoliatum and Hypericum ericoides Ssp. Roberti, Arabian Journal of Chemistry, 10, Suppl 2, 2017, Pages s2736-s2741

12 Mohammad Reza Morshedloo, Ali Ebadi, Filippo Maggi, Reza Fattahi, Mahdi Jafari, Chemical characterization of the essential oil compositions from Iranian populations of Hypericum perforatum L., Industrial Crops and Products, 7615, 2015, Pages 565-573

13 Zirak N, Shafiee M, Soltani G, Mirzaei M, Sahebkar, Hypericum perforatum in the treatment of psychiatric and neurodegenerative disorders: Current evidence and potential mechanisms of action., A.J Cell Physiol., 2019, 234, 6, Pages 8496-8508

14 Eatemadnia A, Ansari S, Abedi P, Najar S. Complement, The effect of Hypericum perforatum on postmenopausal symptoms and depression: A randomized controlled trial., Ther Med., 2019, 45, Pages 109-113

15 Ali Yücel, Yüksel Kan, Erdem Yesilada, Onat Akın, Effect of St.John's wort (Hypericum perforatum) oily extract for the care and treatment of pressure sores; a case report, Journal of Ethnopharmacology, 19620, 2017, Pages 236-241

16 Eğri Ö, Erdemir N., Production of Hypericum perforatum oil-loaded membranes for wound dressing material and in vitro tests., Artif Cells Nanomed Biotechnol., 2019, 47, 1, Pages 1404-1415

17 Tresch M, Mevissen M, Ayrle H, Melzig M, Roosje P, Walkenhorst M., Medicinal plants as therapeutic options for topical treatment in canine dermatology? A systematic review., BMC Vet Res., 2019, 27, 15, 1, 174

18 Whitehead AJ, Nelson NW, Brame LS, Champlin FR., Endemic North American Plants as Potentially Suitable Agents for Wound Cleaning Under Resource Scarce Conditions., Wilderness Environ Med., 2019, 30, 4, Pages 401-406

19 Ilkay Erdogan Orhan, Murat Kartal, Ali Rifat Gülpinar, Paul Cos, Deniz Tasdemir, Assessment of antimicrobial and antiprotozoal activity of the olive oil macerate samples of Hypericum perforatum and their LC–DAD–MS analyses, Food Chemistry, 138, 2–31, 2013, Pages 870-875

20 D. Skalkos, E. Gioti, C. D. Stalikas, H. Meyer, G. Filippidis, Photophysical properties of Hypericum perforatum L. extracts – Novel photosensitizers for PDT, Journal of Photochemistry and Photobiology B: Biology, 82, 21, 2006, Pages 146-151

21 N. E. Stavropoulos, A. Kim, U. U. Nseyo, I. Tsimaris, D. Skalkos, Hypericum perforatum L. extract – Novel photosensitizer against human bladder cancer cells, Journal of Photochemistry and Photobiology B: Biology, 84, 13, 2006, Pages 64-69

22 Appolinary R. Kamuhabwa, Rik Roelandts, Peter A. de Witte, Skin photosensitization with topical hypericin in hairless mice, Journal of Photochemistry and Photobiology B: Biology, 53, 1–31, 1999, Pages 110-114

23 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/l-extrait-de-millepertuis-un-extrait-contre-indique-dans-les-produits-solaires-75/

24 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/institut-esthederm-mieux-vaut-ne-pas-lui-confier-sa-peau-quand-on-va-au-soleil-160/

25 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/une-simplification-de-formule-qui-nous-plait-bien-490/

26 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/suntastic-de-byotea-son-millepertuis-n-est-pas-fantastique-1119/

27 Yao Y, Kang T, Jin L, Liu Z, Zhang Z, Xing H, Sun P, Li M., Temperature-dependent growth and hypericin biosynthesis in Hypericum perforatum., Plant Physiol Biochem., 2019, 139, Pages 613-619

28 Tavakoli F, Rafieiolhossaini M, Ravash R, Ebrahimi M., Subject: UV-B radiation and low temperature promoted hypericin biosynthesis in adventitious root culture of Hypericum perforatum., Plant Signal Behav., 2020, 18, 1764184

29 Travis S. Walker, Harsh Pal Bais, Jorge M. Vivanco, Jasmonic acid-induced hypericin production in cell suspension cultures of Hypericum perforatum L. (St. John's wort), Phytochemistry, 60, 3, 2002, Pages 289-293

30 https://www.aroma-zone.com/info/recette-cosmetique/stick-tranquillite-lavande-millepertuis

31 http://www.potions-et-chaudron.com/archives/2016/05/05/33723799.html

32 https://www.aurelieaunaturel.fr/single-post/2017/10/03/R%C3%A9aliser-son-mac%C3%A9rat-de-millepertuis

Retour aux regards