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Le mésusage, de Boris Vian à Walt Disney, en passant par la littérature scientifique et twitter

> 04 mars 2020

Le mésusage, de Boris Vian à Walt Disney, en passant par la littérature scientifique et twitter

Le mésusage se définit comme « une utilisation non conforme à la destination du produit, à son usage normal ou raisonnablement prévisible ou à son mode d’emploi ou aux précautions particulières d’emploi. » Boris Vian nous propose, dans L’écume des jours, un mésusage concernant un coupe-ongles.1 Colette, dans L’étoile Vesper, se souvient du directeur du journal Le matin, un despote « haut comme trois pommes », qui détournait le Synthol pour en faire une lotion capillaire.2 Dans un autre registre, Gaston Lagaffe, l’étourdi de première, avale sans sourciller une lotion autobronzante destinée à être appliquée sur la peau.3 Si les cosmétiques peuvent faire l’objet de mésusage, des produits divers et variés peuvent également être détournés à des fins cosmétiques/esthétiques.

La littérature scientifique nous offre quelques exemples de mésusage. L’exemple le plus fréquent concerne l’ingestion de savon. On a dénombré par exemple 553 cas d’intoxications liées à l’ingestion de savon au centre anti-poison d’Angers pour la période 2000-2015. Les signes associés sont un œdème labial, une irritation pharyngée, une hypersalivation, des vomissements et de la toux. Des décès peuvent également survenir.4 Savons liquides, détergents et shampooing sont également concernés.5,6 Ces accidents peuvent survenir chez des personnes atteintes de troubles psychiatriques, chez les personnes âgées souffrant de démences et chez les enfants, mais plus généralement l’ensemble de la population dans le cas particulier des produits imitant des denrées alimentaires. Afin d’éviter au maximum les accidents liés à ces produits qui trompent le cerveau du consommateur il est important que les emballages, les formes et aspects simulant un aliment soient évités afin de sauver des vies.7

Les autres cas déclarés dans la littérature concernent des personnes utilisant des solutions blanchissantes des dents à rincer et qui, en réalité, ne les rincent pas,8 d’hommes utilisant accidentellement un dépilatoire au niveau du pénis,9 de femmes se servant de cires épilatoires trop chaudes,10 de marins ayant subi un baptême un peu spécial lors de la cérémonie de franchissement de la ligne de l’équateur se traduisant par la projection dans les yeux d’une poudre dépilatoire (Magic shave).11 Dans la grande majorité des cas, on constate des brûlures cutanées ou oculaires.

Il faut également signaler un cas de fluorose survenu chez une femme de 45 ans qui se brossait les dents 18 fois par jour, sans rinçage (!)12 et une atteinte rénale chez un jeune homme de 28 ans qui s’était lavé les cheveux non pas avec un shampooing, mais avec du gazole !13

Dans la catégorie mésusage étonnant, on signalera également des cas de confusion entre pesticides organophosphorés et shampooings anti-poux à destination d’un public d’enfants.14

Tout aussi étonnant, le cas d’un mésusage déclaré par un médecin sur son compte twitter ; celui-ci relate le cas d’une maman utilisant du vernis à ongles afin de stopper l’évolution d’une carie dentaire chez son enfant en attendant d’obtenir un rendez-vous chez le dentiste.

Maintenant que l’on est un peu averti en matière de mésusage, la lecture de Donald Duck in land of the totem poles ne devrait plus nous surprendre. Tout commence par une annonce : « Recherchons super-vendeur pour vendre article de prix... énormes commissions ». La possibilité de réaliser des gains fabuleux pousse l’intrépide Donald à se présenter à l’adresse indiquée (n°4444, 44e rue !). Le contrat en poche, Donald se voit chargé de vendre un « orgue à vapeur » aux populations vivant le long du fleuve « Kick me quick ». Embarquant dans l’aventure ses célèbres neveux Riri, Fifi et Loulou, lesquels sont munis d’une valise de cosmétiques et vont également découvrir les joies du métier de représentant, Donald se rend compte qu’il n’est pas aisé de vendre n’importe quoi à n’importe qui. Si l’orgue à vapeur est difficile à caser - il trouvera pourtant acquéreur - les cosmétiques, quant à eux, font fureur. Les Indiens rencontrés font bon accueil à l’eau de Cologne, au rouge à lèvres, au savon, à la crème dite épilatoire (petite erreur de Walt Disney qui aurait dû écrire « dépilatoire »), au mascara « lumineux qui fera briller votre regard dans l’obscurité »... Tout irait pour le mieux si Donald était un vendeur sérieux ; oui, mais voilà... Donald a omis de préciser le mode d’emploi de ces cosmétiques. La crème dépilatoire, d’un joli rose, est confondue, par le chef, avec une teinture capillaire. Résultat : alopécie. Le vernis à ongles, déposé sur le visage, durcit et ne permet pas d’obtenir l’effet bonne mine escompté. L’ingestion de la « belle eau » de Cologne brûle la gorge. Les savons confondus, par Iglook et Biglook, avec des gâteaux, les font baver « comme des chiens ». Le visage pâle Donald n’a pas été à la hauteur. Attaché au poteau de torture, il croit même sa dernière heure arrivée. Heureusement, ses ingénieux neveux sont là qui ne manqueront pas de sauver leur célèbre tonton, grâce à une idée géniale.15

En résumé, pour avoir une idée des mésusages possibles, plusieurs possibilités. Se rendre sur le site de l’ANSM,16 se balader dans la littérature scientifique avec un bon guide (c’est nous !) ou bien flâner à livre ouvert en sautant du coq à l’âne et en passant allègrement de Vian à Disney. Le mésusage n’a pas fini de nous surprendre !

Merci à Eugénie qui nous a mis Donald en main en nous disant : « ça devrait vous plaire ! »

Bibliographie

1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/le-mesusage-un-acte-surrealiste-123/

2 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/non-vraiment-le-synthol-n-est-pas-un-cosmetique-608/

3 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/mesusage-cosmetique-selon-lagaffe-149/

4 De Pralormo SBrunet MMarquis ABruneau CLe Roux GDeguigne M, Ingestion of bar soap may produce serious injury: clinical effects and risk factors, Clin Toxicol (Phila).2019, 57, 5, Pages 356-361

5 Yayama STanimoto CSuto SMatoba KKajiwara TInoue MEndo YYamakawa MMakimoto K, Analysis of inedible substance ingestion at a Japanese psychiatric hospital, Psychogeriatrics. 2017, 17, 5, Pages 292-299

6 Han HChen WLi TSLiu QS, Fetal death associated with ingestion of shampoo and development of hypotension and lactic acidosis, Clin Toxicol (Phila). 2012, 50, 8, 793

7 Basso FRobert-Demontrond PHayek MAnton JLNazarian BRoth MOullier O, Why people drink shampoo? Food Imitating Products are fooling brains and endangering consumers for marketing purposes, PLoS One. 2014, 10, 9, 9, e100368

8 Brooks JK., Chemical burn to the gingiva after misuse of an over-the-counter oral whitening mouthwash. Gen Dent., 2017, 65, 1, Pages 34-36

9 King I, Lipede C, Varma S., Always read the label: a case report of a penile burn. Int Wound J, 2013, 10, 4, Pages 482-483

10 Chang ACWatson KMAston TLWagstaff MJGreenwood JE, Depilatory wax burns: experience and investigation, Eplasty.2011, 11:e25

11 O'Grady TC, Mass eye casualties at sea, Mil Med. 1989, 154, 12, Pages 596-598

12 Roos JDumolard ABourget SGrange LRousseau AGaudin PCalop JJuvin R, Osteofluorosis caused by excess use of toothpaste, Presse Med.2005, 19, 34, 20 Pt 1, Pages 1518-1520

13 Barrientos AOrtuño MTMorales JMTello FMRodicio JL, Acute renal failure after use of diesel fuel as shampoo, Arch Intern Med., 1977, 137, 9, 1217

14 Paget CMenard SWroblewski IGout JPDanel VBost M. Acute organophosphate intoxication after using a anti-lice insecticide shampoo, Arch Pediatr. 2002, 9, 9, 913-916

15 La dynastie Donald Duck, tome 1, 1950 - 1951, intégrale Carl Barks, Sur les traces de la licorne et autres histoires, Ed Glénat, 2010, 383 pages

16 https://www.ansm.sante.fr/Declarer-un-effet-indesirable/Cosmetovigilance/Cosmetovigilance/(offset)/0

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