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Le lys dans la vallée : une Joconde coiffée à la Sévigné dont la peau est un « frais jasmin »

> 31 août 2019

Le lys dans la vallée : une Joconde coiffée à la Sévigné dont la peau est un « frais jasmin »

Une amante de cœur, Blanche de Mortsauf, baptisée affectueusement Henriette, qui vit à Clochegourde et une amante de corps, Arabelle Dudley, qui réside à Paris... entre les deux, un Félix de Vandenesse qui voudrait bien être plus hardi avec l’une et moins passionné avec l’autre, un Félix de Vandenesse qui, en se confiant à Natalie de Manerville, sa conquête du moment, voit s’écrouler ses beaux projets d’avenir. Félix apprend à ses dépens qu’il n’est pas très malin de se confesser à sa maîtresse de ses lâchetés passées.1

Félix de Vandenesse traîne derrière lui une enfance malaimée. Personne dans sa famille ne s’est jamais attaché à l’enfant malingre qu’il fût. Envoyé faire ses études à Paris, Félix fréquente une tante habitant dans l’île Saint-Louis, la marquise de Listomère. « Vieille comme une cathédrale, peinte comme une miniature, somptueuse dans sa mise, elle vivait dans son hôtel comme si Louis XV ne fût pas mort, et ne voyait que des vieilles femmes et des gentils-hommes, société de corps fossiles où je croyais être dans un cimetière. » Gardé à vue par un certain Monsieur Lepître qui n’a rien d’un clown, Félix voit ses appétits d’affection continuellement contrecarrés. Afin d’éviter tout débordement d’une âme que l’on sent près de la chute, Félix est rapatrié en urgence à Tours. C’est là qu’il va rencontrer la femme qui va bouleverser sa vie.

Lors d’un bal donné en l’honneur du duc d’Angoulême, Félix tombe sous le charme d’une femme dont il embrasse sauvagement le dos. Cette femme, dont le parfum l’éblouit, possède de magnifiques épaules « dont la peau satinée éclatait à la lumière d’un tissu de soie. » « Une gorge chastement couverte d’une gaze, mais dont les globes azurés et d’une rondeur parfaite étaient douillettement couchés dans des flots de dentelle » attire le regard de celui qui n’est pas alors encore totalement sorti de l’enfance. Félix, sans réfléchir, plonge la tête la première dans le dos offert de la belle inconnue et le couvre de baisers. Fin du premier acte.

Suite à ce « bal mémorable », le jeune homme tombe en dépression. Envoyé à la campagne, au château de Frapesle, entre Montbazon et Azay-le-Rideau, pour se refaire une santé, Félix retrouve son « Lys dans la vallée ». Il redécouvre avec bonheur ce dos qui l’a fait chavirer. « [...] je revoyais la lentille qui marquait la naissance de la jolie raie par laquelle son dos était partagé, mouche perdue dans du lait, et qui depuis le bal flamboyait toujours le soir dans ces ténèbres où semble ruisseler le sommeil des jeunes gens dont l’imagination est ardente, dont la vie est chaste. » Afin de pouvoir vivre aux côtés de Blanche qui devient Henriette pour son ami de cœur, Félix se fait l’ami de Monsieur de Mortsauf, un homme malingre, aigre, au « caractère intolérable ».

Blanche de Mortsauf est un bouquet de fleurs à elle seule. Semblable à « la clochette d’un convolvulus », cette femme, dont le teint « comparable au tissu des camellias blancs, se rougissait aux joues de jolis tons de roses », exhale, selon le moment, un « parfum chaste et sauvage de bruyère » ou bien l’odeur d’« un frais jasmin ». En réponse à ses effluves parfumés (« Près d’Henriette, il se respirait un parfum de ciel. »), Félix offre à la comtesse des « poèmes de fleurs lumineuses ». Blanche est une femme de proportions généreuses. Son « embonpoint » maternel est une invitation à la tendresse filiale. Si elle n’utilise pas de cosmétiques, elle est, en revanche, un cosmétique à elle toute seule. Félix, en familier de la maison, profite des bienfaits de ce galet de bain un peu particulier. « Je fus bientôt de la maison, et j’éprouvais pour la première fois une de ces douceurs infinies qui sont à l’âme tourmentée ce qu’est un bain pour le corps fatigué, l’âme est alors rafraîchie sur toutes ses surfaces, caressée dans ses plis les plus profonds. » Ce passage dans un spa lénifiant constitue le second Acte de ce drame.

Blanche est une femme qui souffre à la fois physiquement et moralement ; son mari est odieux. Ceci a un impact direct sur sa santé physique. « Ses cheveux fins et cendrés la faisaient souffrir, et ces souffrances étaient sans doute causées par de subites réactions du sang vers la tête. » Au fil du temps, son front, « proéminent comme celui de la Joconde », va se couvrir de rides (« les lignes comme marquées avec le fil d’un rasoir ») et ses cheveux vont tomber, du fait des perpétuelles tracasseries dont son mari l’assomme ; ces cheveux seront offerts en offrande à Félix. Ses « yeux verts », son nez grec, ses cheveux coiffés à la Sévigné, ses belles formes, sa « taille plate » constituent les atouts de Blanche qui adopte Félix comme un troisième enfant. Félix se laisse faire et boit « le lait de cette coupe pleine d’amour ». La comtesse se fait le mentor du jeune homme et lui donne les clés de la réussite. C’est en cultivant « les vieilles femmes » influentes de 50 ans (!!!) que Félix gravira les échelons de la renommée.

Après les amours platoniques avec le « Lys dans la vallée », Félix succombe à la saveur pimentée d’une marquise anglaise. C’est le début du 3e acte. Cette femme mariée a jeté son dévolu sur celui qui passe dans le monde pour l’amoureux transi et chaste d’une belle comtesse. Arabelle est « svelte » et « frêle » ; elle possède un teint de rousse laiteux, une force incroyable, une grande résistance. Son corps qui « ignore la sueur » est habitué au luxe et aux vêtements doucement parfumés par du cèdre qui garnit ses armoires. Arabelle est un véritable pur-sang capable de gagner un « steeple-chase sur des centaures ». Avec un linge impeccable, un « thé suave », une maison tenue à la perfection où chaque grain de poussière est traqué impitoyablement, Félix découvre le luxe à l’anglaise.

En devenant l’amant d’Arabelle, Félix condamne Henriette à une mort certaine. En confiant ses affaires de cœur à Natalie, une jeune femme qui ne souhaite pas jouer les garde-malades, Félix met un point final à sa relation amoureuse.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour qui Comédie humaine rime avec collage, aujourd'hui !

Bibliographie

1 de Balzac H. Le lys dans la vallée, Paris, collection Nelson, 1947, 377 pages

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