> 09 octobre 2024
Le gel douche est un produit moderne dont l’histoire est donc… très logiquement courte. Alors que le savon a occupé, pendant longtemps, la place principale dans les cabinets de toilette, le voilà rejoint et même détrôné par le gel douche, qui pointe le bout de son nez dans les années 1970. Il faut dire que le shampooing, né dans les années 1930, ne demandait qu’à s’épaissir un tantinet pour pouvoir être requalifié de produit pour le corps. De l’eau, une base lavante et des additifs, dont un agent épaississant… voilà tout ce qui est nécessaire pour mettre au point un gel douche. Si on y ajoute un peu de marketing, on pourra, en un rien de temps, récupérer toute la fraîcheur des citrons verts (c’est dans ce cas le gel douche Fa qui nous invite à conserver la « peau douce », même après une bonne douche) ou s’enivrer du parfum de la fleur de tiaré (c’est dans ce cas le gel Tahiti, qui nous promet de la fraicheur, de la douceur et un max de mousse) !
Evoquée dans la littérature, la douche se prend avec un bon savon ou un bon gel douche. Mais que trouve-t-on dans la littérature scientifique à ce sujet ? Un petit tour du côté des publications s’imposait… C’est désormais fait ! Et à ce sujet, on constatera que les sujets abordés débordent largement du receveur de la cabine de douche… de la mousse en perspective !
La douche constitue un acte littéraire, mis en avant par certains écrivains. C’est ainsi que Marcel Pagnol se plaît à décrire tous les bruits qu’il lui fallait, étant enfant, reproduire afin de simuler une bonne douche, prise dans un tub.1 On est alors bien loin du meilleur des mondes d’Aldous Huxley, un monde où les manipulations génétiques visent à aboutir à la création d’un homme idéal et où des douches vibro-massantes permettent de maintenir les corps dans un état de sveltesse parfait.2 Eugénisme quand tu nous tiens !
Mais la douche, c’est également un moment de plaisir et un acte thérapeutique, prisé par les voyageurs qui décident, à la suite de Montaigne (le vrai inventeur du guide du routard), de s’arrêter dans telle ou telle localité, afin de bénéficier de tout le confort possible et imaginable dans une hôtellerie de qualité.3
C’est, enfin, un acte d’hygiène indispensable, dont certaines héroïnes de littérature jeunesse ne peuvent se passer. A ce titre, Alice Roy est certainement la championne toutes catégories, puisque de 1932 (Alice et le carnet vert)4 à 1998 (Alice et la dame à la lanterne),5 la jeune détective ne cesse de passer son temps sous la douche. Des douches purifiantes, relaxantes, des douches pour une mise en beauté… Caroline Quine ne nous épargne aucun détail sur ce chapitre. Sans doute dans l’idée d’entraîner sa lectrice sur les chemins de l’hygiène corporelle.
Se doucher, c’est consommer de l’eau, forcément. De l’eau qui permet de mouiller le corps, avant d’y appliquer le produit douche. Environ 4,77 litres pour des volontaires de petite taille (en moyenne 1,63 m). Une fois le gel appliqué, il s’agit de le rincer… cette opération nécessite, selon le type de produit considéré, des volumes d’eau allant de 3,21 à 6,65 litres, ce qui mérite d’être étudié.6 Et on peut supposer que d’autres études vont emboiter le pas, afin de mettre au point les produits les plus rentables en matière d’économie d’eau.
Par ailleurs, se doucher, c’est également consommer un produit cosmétique nettoyant. L’équipe brestoise du Pr Roudot a ainsi démontré en 2017 que, selon le conditionnement utilisé (flacon avec bouchon rabattable ou flacon-pompe), la quantité de gel appliqué pouvait varier de 5 à 23 %, par rapport à la valeur moyenne.7 Là encore, à quand les économiseurs de gel douche susceptibles de délivrer la bonne dose, ni plus… ni moins ?
La douche constitue un acte hygiénique, pratiqué à intervalles de temps plus ou moins rapprochés, selon les individus et selon les périodes. Suite à la pandémie de COVID, il semble bien que le pli de prendre une douche après avoir pris les transports en commun ait été pris.8
Un moment plus ou moins long, selon les sujets, plus ou moins instructif, permettant de se scruter et de dépister d’éventuelles anomalies.9
Sous la douche, on observe sa peau ; on élimine également les principes actifs qui ont pu y être déposés. C’est parfois souhaité (c’est le cas par exemple d’un homme traité par testostérone/nestorone, afin de ne pas exposer sa partenaire à ce contraceptif)10 ou, au contraire, redouté. Il est donc important, dans le cas d’un traitement par voie topique, de respecter un temps de latence entre l’application du médicament et la douche,11,12 afin que les taux plasmatiques obtenus (dans le cas d’un médicament à effet systémique) soient en adéquation avec les doses thérapeutiques.
Après avoir abordé l’aspect hygiénique de cette pratique, il est bon de signaler qu’il est également possible de contracter des maladies sous la douche, la légionellose étant l’exemple le plus emblématique, le type de bactérie responsable contaminant, à plaisir, certains services d’eau.13 D’autres germes peuvent également être concernés, comme Mycobacterium avium, par exemple.14
Un gel douche consiste en une solution épaissie de tensioactifs. Le plus souvent, il s’agit de solutions aqueuses de tensioactifs anioniques, associés à des tensioactifs non ioniques et amphotères. Divers additifs, comme des conservateurs, des colorants, des régulateurs de pH (un pH acide est favorable au maintien du microbiote cutané)15 complètent les formules. Et même, parfois, contre toute attente, on y retrouve des filtres UV,16 qui n’ont absolument aucune utilité en la matière.
La viscosité de ces produits est généralement modifiée par ajout de chlorure de sodium ou par utilisation de polymères. Des actifs peuvent également être incorporés, afin de pouvoir revendiquer telle ou telle action cosmétique associée. Parmi les actifs susceptibles d’être incorporés, on peut citer certaines substances obtenues par fermentation de souches bactériennes. Ces actifs (comme le lévane, obtenu par fermentation de Bacillus subtilis) permettent, nous dit-on, de diminuer le caractère irritant des bases lavantes anioniques,17 tout en « courtisant » le microbiote cutané. Il est certain que l’usage de gel douche de manière intensive (2 fois par jour) aboutit à une perturbation de ce microbiote, ce qui n’est pas le but recherché !18 Donc autant le courtiser plutôt que de le supprimer.
On peut également, de manière très classique, incorporer dans ce type de produit des agents émollients/surgraissants, afin de limiter l’effet desséchant de ce produit d’hygiène.19 Ou encore y introduire des extraits végétaux, issus de la valorisation de déchets.20
Il est de coutume d’ironiser au sujet des personnes qui tentent d’inventer l’eau en poudre… Et bien, on en n’est pas loin, dans le domaine cosmétique, avec la recherche de formes solides de gel douche. On est donc en train d’essayer de transformer un produit liquide en produit solide, alors même que, par le passé, on s’est ingénié à transformer le savon solide en un produit nettoyant plus fun donc… liquide.
Afin de diminuer les emballages en plastique, on cherche donc à mettre au point des formes solides, qui pourront être emballées, de manière plus rudimentaire, dans des conditionnements en carton, plus éco-responsables. Conséquence, on revient à la case départ… et on rembobine le film de l’histoire des cosmétiques. On se souvient alors que les syndets solides ont fait leur apparition lors de la Seconde Guerre mondiale. Arrêt sur image ! Il ne reste plus qu’à mettre au point des formules analogues à celles du passé. Et pour ce faire on sort du placard le « sodium coco sulfate »,21 un mélange de tensioactifs renfermant le très célèbre laurylsulfate de sodium.22 Et on se dit, c’est chouette, ce tensioactif est drôlement efficace du point de vue de son effet nettoyant et moussant !
On sait que, selon la base lavante choisie, le caractère irritant sera plus ou moins important. On se rappellera aussi que certaines bases lavantes réputées très douces, contenant des alkylglucosides, sont connues pour leur caractère allergisant.23
On connait aussi le pouvoir allergisant de la méthylisothiazolinone ;24 on sait que ce conservateur antimicrobien est toujours autorisé dans les produits rincés. Et l’on continue à trouver dans la littérature scientifique des publications faisant état de manifestation allergique survenues… sous la douche.25
En matière de conservation, il faut préciser que certains laboratoires ont choisi de faire du hors-piste, depuis une vingtaine d’années, en ne choisissant plus les conservateurs dans l’Annexe VI du Règlement (CE) N°1223/2009, mais s’adressant à des molécules à caractère antiseptique non réglementées comme l’éthanol, l’acide lévulinique, l’acide p-anisique ou encore divers extraits végétaux de plus ou moins bonne réputation.26 En ce qui concerne les extraits de mauvaise réputation, on pense, en particulier, à ces extraits de chèvrefeuille, qui nous ont été présentés comme naturels, pendant tout un moment, avant que l’on ne détecte dans leur composition la présence de formaldéhyde.27
Certains parfums peuvent également être allergisants.28
Et l’on commence à évoquer l’implication des produits de soin et d’hygiène dans la pollution de l’air des logements. Ainsi l’utilisation de gel douche pourrait entraîner la libération de 2 grammes de limonène par personne et par an. La présence de COV (composés organiques volatils) dans l’air ambiant n’est donc pas exclusivement liée à l’utilisation de cosmétiques se présentant en flacons pressurisés.29 L’éthanol et les molécules parfumées (limonène, alcool benzylique…) peuvent ainsi être détectés dans nos salles de bain !30
Ce produit nettoyant est très discret dans la littérature scientifique. Peu d’équipes de recherche consacrent 100 % de leur temps à chanter sous la douche. Bien sûr, comme tout produit d’hygiène, il est composé de tensioactifs qui, eux, sont très étudiés, mais si l’on souhaite tout savoir sur ce cosmétique en une fois et une seule on est un peu embêté. Un cosmétique récent, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à un shampooing. Une solution épaissie à l’aide de chlorure de sodium ou de gélifiants divers… à laquelle on adjoint des conservateurs et des parfums. Juste ce qu’il faut pour parfumer nos salles de bain (penser à ouvrir la fenêtre après chaque douche !) et nous faire parler encore et toujours du caractère irritant des tensioactifs et sensibilisant des molécules parfumées.
1 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/marcel-pagnol-a-la-gloire-du-savon-239/
6 Morizet D, Aguiar M, Campion JF, Pessel C, De Lantivy M, Godard C, Dezeure J. Water consumption by rinse-off cosmetic products: The case of the shower. Int J Cosmet Sci. 2023 Oct;45(5):627-635
7 Gomez-Berrada MP, Ficheux AS, Galonnier M, Rolfo JE, Rielland A, Guillou S, De Javel D, Roudot AC, Ferret PJ. Influence of the container on the consumption of cosmetic products. Food Chem Toxicol. 2017 Nov;109(Pt 1):230-236
8 Moœ›cicka P, Chróst N, Terlikowski R, Przylipiak M, Woœ‚osik K, Przylipiak A. Hygienic and cosmetic care habits in polish women during COVID-19 pandemic. J Cosmet Dermatol. 2020 Aug;19(8):1840-1845
9 Saab MM, Landers M, Hegarty J. Promoting Testicular Cancer Awareness and Screening: A Systematic Review of Interventions. Cancer Nurs. 2016 Nov/Dec;39(6):473-487
10 Yuen F, Wu S, Thirumalai A, Swerdloff RS, Page ST, Liu PY, Dart C, Wu H, Blithe DL, Sitruk-Ware R, Long J, Bai F, Hull L, Bremner WJ, Anawalt BD, Wang C. Preventing secondary exposure to women from men applying a novel nestorone/testosterone contraceptive gel. Andrology. 2019 Mar;7(2):235-243
11 Retzler J, Smith AB, Oliveira Gonçalves AS, Whitty JA. Preferences for the administration of testosterone gel: evidence from a discrete choice experiment. Patient Prefer Adherence. 2019 May 1;13:657-664
12 de Ronde W, Vogel S, Bui HN, Heijboer AC. Reduction in 24-hour plasma testosterone levels in subjects who showered 15 or 30 minutes after application of testosterone gel. Pharmacotherapy. 2011 Mar;31(3):248-52
13 Wang L, Luo Y, Yang C, Li YY, Chen J, Wang JQ, Chen DL. [Molecular characteristics of Legionella pneumophila in shower water of public places in Ma'anshan city from 2019 to 2020]. Zhonghua Yu Fang Yi Xue Za Zhi. 2021 Dec 6;55(12):1399-1403
14 Marras TK, Wallace RJ Jr, Koth LL, Stulbarg MS, Cowl CT, Daley CL. Hypersensitivity pneumonitis reaction to Mycobacterium avium in household water. Chest. 2005 Feb;127(2):664-71
15 Lambers H, Piessens S, Bloem A, Pronk H, Finkel P. Natural skin surface pH is on average below 5, which is beneficial for its resident flora. Int J Cosmet Sci. 2006 Oct;28(5):359-70
16 Couteau C, Philippe A, Galharret JM, Metay E, Coiffard L. UV filters in everyday cosmetic products, a comparative study. Environ Sci Pollut Res Int. 2024 Jan;31(2):2976-2986
17 Wasilewski T, Seweryn A, Pannert D, Kierul K, Domœ¼aœ‚-KÄ™dzia M, Hordyjewicz-Baran Z, œukaszewicz M, Lewiœ„ska A. Application of Levan-Rich Digestate Extract in the Production of Safe-to-Use and Functional Natural Body Wash Cosmetics. Molecules. 2022 Apr 27;27(9):2793
18 Sfriso R, Claypool J. Microbial Reference Frames Reveal Distinct Shifts in the Skin Microbiota after Cleansing. Microorganisms. 2020 Oct 23;8(11):1634
19 Wu J, Polefka TG. Confocal Raman microspectroscopy of stratum corneum: a pre-clinical validation study. Int J Cosmet Sci. 2008 Feb;30(1):47-56
20 Wasilewski T, Hordyjewicz-Baran Z, ZarÄ™bska M, Stanek N, Zajszœ‚y-Turko E, Tomaka M, Bujak T, Nizioœ‚-œukaszewska Z. Sustainable Green Processing of Grape Pomace Using Micellar Extraction for the Production of Value-Added Hygiene Cosmetics. Molecules. 2022 Apr 10;27(8):2444
21 Huanbutta K, Sripirom P, Phetthong P, Thalerngkiatsiri P, Kabthong N, Sangnim T, Sriamornsak P. Dissolvable shower gel tablets with enhanced skin benefits. Int J Cosmet Sci. 2023 Dec;45(6):739-748
23 Loranger C, Alfalah M, Ferrier Le Bouedec MC, Sasseville D. Alkyl Glucosides in Contact Dermatitis. Dermatitis. 2017 Jan/Feb;28(1):5-13
25 Kazan D, Odyakmaz-Demirsoy E, Kiran R, œžikar-Aktürk A, Sayman N, Bayramgürler D. Methyl(chloro)isothiazolinone contact allergy: a monocentric experience from Turkey. Cutan Ocul Toxicol. 2023 Sep;42(3):97-102
26 Papageorgiou S, Varvaresou A, Tsirivas E, Demetzos C. New alternatives to cosmetics preservation. J Cosmet Sci. 2010 Mar-Apr;61(2):107-23
27 Gallo R, Paolino S, Salis A, Cinotti E, Parodi A. Positive patch test reaction to Lonicera japonica extract in a patient sensitized to formaldehyde. Contact Dermatitis. 2012 Jan;66(1):47-9
28 Gautier F, Assaf Vandecasteele H, Tourneix F, van Vliet E, Alépée N, Bury D. Skin sensitisation prediction using read-across, an illustrative next generation risk assessment (NGRA) case study for vanillin. Regul Toxicol Pharmacol. 2023 Sep;143:105458
29 Yeoman AM, Shaw M, Carslaw N, Murrells T, Passant N, Lewis AC. Simplified speciation and atmospheric volatile organic compound emission rates from non-aerosol personal care products. Indoor Air. 2020 May;30(3):459-472
30 Yeoman AM, Shaw M, Lewis AC. Estimating person-to-person variability in VOC emissions from personal care products used during showering. Indoor Air. 2021 Jul;31(4):1281-1291
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