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Le fluorure d’étain décroche la timbale en matière de désensibilisation dentinaire !

> 09 janvier 2019

Le fluorure d’étain décroche la timbale en matière de désensibilisation dentinaire !

Le fluorure d’étain n’est pas le sel fluoré le mieux représenté dans le domaine de l’hygiène bucco-dentaire. En 2006, des chercheurs japonais qui s’intéressaient au marché européen des dentifrices ont répertorié une centaine d’échantillons de produits en vente en Allemagne et en Angleterre. Ils purent alors constater que le sel le plus fréquent était le fluorure de sodium (NaF) (56 % des formules répertoriées en contenaient) et que le fluorure d’étain ne venait qu’en queue de peloton (il n’était retrouvé que dans 2 % des formules).1

Des pâtes dentifrices fluorées, quand l’évidence s’impose peu à peu

C’est dans les années 1920 que naît l’idée selon laquelle il peut être intéressant d’introduire du fluor dans l’eau de boisson afin de réduire la maladie carieuse. On évoque, une vingtaine d’années plus tard, la possibilité d’incorporer, à ces mêmes fins, du fluorure d’étain dans les pâtes dentifrices.2 On s’est, en effet, rendu compte, grâce à un certain nombre de tests réalisés in vitro, qu’il est possible de contrer les effets néfastes des attaques acides grâce à des solutions fluorées.3 Dans les années 1950, le fluorure d’étain semble être le champion de la reminéralisation de l’émail dentaire.4 Certains enfants américains bénéficient, dès les années 1960, de pâtes formulées à l’aide de fluorure d’étain ; on constate une réduction du nombre de caries chez ces enfants qui apprennent sur les bancs de l’école quels sont les bienfaits d’un gel dentifrice fluoré.5 L’idée d’incorporer du fluor dans les dentifrices fait alors progressivement son chemin.

Le fluorure d’étain, un effet préventif de la solubilisation de l’émail dentaire et un effet anti-érosion

Si l’acide citrique provoque une solubilisation de l’hydroxyapatite constitutif de l’émail, les sels fluorés engendrent, quant à eux, une réduction de ce phénomène de solubilisation, permettant ainsi un effet anti-caries. Les tests in vitro réalisés sur des dents extraites à des patients et soumises à des attaques acides permettent de montrer l’intérêt des sels d’étain dans la lutte contre l’érosion de l’émail.6 La fixation des ions fluorures au niveau de l’émail dentaire est plus importante dans le cas du fluorure d’étain que dans le cas des autres sels fluorés. Le fluorure d’étain possède, par ailleurs, un large spectre d’action vis-à-vis des bactéries constitutives de la flore buccale, ce qui permet une réduction du biofilm qui adhére à la surface dentaire. Une inhibition des enzymes responsables de la fermentation des sucres permet également de réduire l’attaque acide délétère.7 Fluorure d’étain et amines fluorées (Olaflur, Dectaflur) s’avèrent plus efficaces dans le cadre de la prévention de l’érosion dentaire que le fluorure de sodium.8,9 Une étude récente place, quant à elle, sel d’étain et huile de palme au même niveau en ce qui concerne la protection vis-à-vis de l’érosion.10 On pourra en douter… D’autant plus en ces temps où l’on cherche à remplacer l’huile de palme dans les aliments et les cosmétiques, il paraît peu judicieux de chercher de nouveaux débouchés pour cette matière première dont l’approvisionnement est source de problèmes environnementaux.

Le fluorure d’étain, un actif intéressant en cas de gingivites et de saignements

Si par le passé, il semblait difficile de différencier les dentifrices incorporant différents sels fluorés (0,4 % de fluorure d’étain ou 0,22 % de fluorure de sodium) et un dentifrice non fluoré dans le cadre de la prise en charge des gingivites, des études plus récentes font état de l’intérêt du fluorure d’étain (0,454 %) dans le cadre du traitement des gingivites et des saignements.11,12

Le fluorure d’étain, un inhibiteur enzymatique

La dent est composée de 3 structures, l’émail, la dentine et la pulpe. Les ions Sn2+ exercent un effet inhibiteur des métalloprotéinases matricielles, responsables de la dégradation de la fraction protéique de la dentine.13

Le fluorure d’étain, un actif permettant l’occlusion des tubules dentinaires

Du point de vue de son mécanisme d’action en ce qui concerne l’hypersensibilité dentinaire, on évoque l’occlusion des tubules dentinaires, du fait de la formation d’oxydes d’étain et d’hydroxydes d’étain insolubles, par réaction avec certains composants de la salive ou certains ingrédients de la pâte dentifrice. Ces précipités offrent une résistance à l’hydrolyse acide. Ils se forment en milieu aqueux, à pH neutre. Si l’on souhaite éviter ce phénomène de précipitation, on devra réaliser une forme anhydre à base de glycérine, de PEG ou de carbomère.14

Des associations prometteuses

L’association du fluorure d’étain avec du chitosan permet de réduire le phénomène d’érosion survenant au niveau de l’émail dentaire.15 Il est également possible d’associer sels fluorés et antiseptiques afin de renforcer l’effet anti-plaque et l’effet reminéralisant. La chlorhexidine est alors le bon candidat.16

De l’importance de respecter la date de péremption des pâtes dentifrices

Dans les années 1960, un certain nombre d’auteurs étaient d’accord pour dire que l’extraction des sels fluorés à partir d’une matrice de dentifrice était d’autant plus difficile à réaliser que le dentifrice a subi une longue période de vieillissement.17 Cette notion de biodisponibilité est une notion importante qui est trop peu étudiée, à l’heure actuelle, à notre goût. Même lorsque l’industriel incorpore la quantité de sel fluoré correspondant à la valeur affichée sur l’emballage dans la pâte dentifrice, on ne retrouve pas après 2 minutes de brossage une quantité élevée d’ions fluorures au niveau buccal. Concernant la solubilisation des ions fluorures dans la salive, on constate un impact important des ingrédients entrant dans la composition des formules. La présence d’un tensioactif détergent n’est ainsi pas uniquement liée à la stabilité de la formule dans le temps, ni à un effet moussant psychologiquement important, elle est également utile afin de permettre une bonne solubilisation du fluor dans le milieu en empêchant le phénomène de précipitation liée à la réaction des silices abrasives avec les sels fluorés (formation de fluorosilicates insolubles).18 Dans les années 1980–1990, on s’intéressait beaucoup aux interactions possibles entre les matières premières constitutives des dentifrices et on surveillait la quantité d’ions fluorures libérés. On parlait alors d’incompatibilité entre certains abrasifs et certains sels fluorés et il avait été démontré que plus l’on s’éloignait de la date de fabrication plus la biodisponibilité du fluor diminuait.19

Des effets indésirables rares

Quelques cas d’allergies ont toutefois été déclarés. On citera, par exemple, une chéilite et une urticaire survenues chez une femme qui se brossait les dents avec un dentifrice contenant du fluorure d’étain. Un test allergologique avait désigné le coupable à savoir, l’étain. L’utilisation d’un dentifrice sans fluorure d’étain avait permis de résoudre le problème.20

En conclusion

Les résultats de travaux scientifiques le montrent, le fluorure étain (stannous fluoride) (CAS 7783-47-3 ; EC 231-999-3)21 est un actif à ne pas négliger dans le domaine de l’hygiène bucco-dentaire. Dans la course à la lutte contre les caries et contre la sensibilité dentinaire, le fluorure d’étain se place en bonne place. Il ne reste plus qu’à… l’associer aux matières premières les plus judicieusement choisies. Précipitera ou ne précipitera pas ? Se solubilisera ou ne se solubilisera pas ? Telles sont les questions que l’on devra se poser lorsque l’on élaborera une nouvelle formule de dentifrice. On n’oubliera pas de mentionner sur l’emballage la date de péremption, une indication très utile dans le cas présent.

Bibliographie

1 Fusao Nishikawara, Yoshiaki Nomura, Yoh Tamaki, Seiko Katsumura, Nobuhiro Hanada, Fluoride-containing toothpastes available in two European countries, Pediatric Dental Journal, 16, 2, 2006, 187-195.

2 Anonyme, Fluorine, Diet, and Dental Caries, The Lancet, 268, 6932, 1956, 27-28.

3 J. J. Murray, Diana L. Bennett, Topical fluorides and dental caries: a review, Journal of Dentistry, 2, 1, 1973, 11-17.

4 Ira L. Shannon, Eleanor J. Edmonds, Topical applications of stannous fluoride: choice of concentration and duration of treatment, Journal of Dentistry, 7, 1, 1979, 9-14.

5 Herschel S. Horowitz, Frank E. Law, Mary B. Thompson, Shirley R. Chamberlin, Evaluation of a stannous fluoride dentifrice for use in dental public health programs I. Basic findings, The Journal of the American Dental Association, 72, 2, 1966, 408-422.

6 S. Chander, D. W. Fuerstenau, On the dissolution and interfacial properties of hydroxyapatite, Colloids and Surfaces, 4, 2, 1982, 101-120.

7 Xingqun Cheng, Jinman Liu, Jiyao Li, Xuedong Zhou, Xin Xu, Comparative effect of a stannousfluoride toothpaste and a sodium fluoride toothpaste on a multispecies biofilm, Archives of Oral Biology, 74, 2017, 5-11.

8 Annette Wiegand, Dominique Bichsel, Ana Carolina Magalhães, Klaus Becker, Thomas Attin, Effect of sodium, amine and stannousfluoride at the same concentration and different pH on in vitro erosion, Journal of Dentistry, 37, 8, 2009, 591-595.

9 Hao Yu, Florian Just Wegehaupt, Markus Zaruba, Klaus Becker, Annette Wiegand, Erosion-inhibiting potential of a stannous chloride-containing fluoride solution under acid flow conditions in vitro, Archives of Oral Biology, 55, 9, 2010, 702-705.

10 Franciny Querobim Ionta, Catarina Ribeiro Barros de Alencar, Natália Mello dos Santos, Bianca Tozi Portaluppe Bergantin, Daniela Rios, Effect of palm oil alone or associated to stannous solution on enamel erosive-abrasive wear: A randomized in situ/ex vivo study, Archives of Oral Biology, 95, 2018,  68-73.

11 Larry F. Wolff, Bruce L. Pihlstrom, M. Bashar Bakdash, Dorothee M. Aeppli, Carl L. Bandt, Effect of toothbrushing with 0.4% stannousfluoride and 0.22% sodium fluoride gel on gingivitis for 18 months, The Journal of the American Dental Association, 119, 2, 1989, 283-289.

12 Robert H. Selwitz, Twice Daily Toothbrushing With a Stabilized StannousFluoride/Sodium HexametaPhosphate Dentifrice May Reduce Gingivitis, Gingival Bleeding, and Dental Plaque, Journal of Evidence Based Dental Practice, 9, 1, 2009, 28-29.

13 Barbara Cvikl, Adrian Lussi, Thiago Saads Carvalho, Andreas Moritz, Reinhard Gruber, Stannous chloride and stannousfluoride are inhibitors of matrix metalloproteinases, Journal of Dentistry, 78, 2018, 51-58.

14 Nicola X. West, Joon Seong, Nicola Hellin, Emma L. Macdonald, Jonathan E. Creeth, Assessment of tubule occlusion properties of an experimental stannousfluoride toothpaste: A randomised clinical in situ study, Journal of Dentistry, 76, 2018, 125-131.

15 T. S. Carvalho, A. Lussi, Combined effect of a fluoride-, stannous- and chitosan-containing toothpaste and stannous-containing rinse on the prevention of initial enamel erosion–abrasion, Journal of Dentistry, 42, 4, 2014, 450-459.

16 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/la-chlorhexidine-laissons-la-dans-l-armoire-a-pharmacie-856/

17 R. Duckworth, Release of fluoride from dentifrices: An in vitro study, Archives of Oral Biology, 7, Supplement, 1962, 57-64.

18 Clifton M. Carey, Focus on Fluorides: Update on the Use of Fluoride for the Prevention of Dental Caries, Journal of Evidence Based Dental Practice, 14, Supplement, 2014, 95-102.

19 F. N. Hattab, The state of fluorides in toothpastes, Journal of Dentistry, 17, 2, 1989, 47-54.

20 Monica Enamandram, Shinjita Das, Keri S. Chaney, Cheilitis and urticaria associated with stannous fluoride in toothpaste, Journal of the American Academy of Dermatology, 71, 3, 2014, e75-e76.

21 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm fuseaction=search.details_v2&id=38231

 

 

 

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