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Le drôle de Code du travail de Jonathan Swift

> 01 mai 2021

Le drôle de Code du travail de Jonathan Swift

En ce 1er mai 2021, comme une envie de célébrer la Fête du Travail, d’une façon un peu particulière. Instructions aux domestiques de Jonathan Swift, paru en 1745,1 mérite, en effet, que l’on se penche dessus, un jour de congé, à tête reposée. Les responsables des ressources humaines se régaleront en retrouvant toutes les parades possibles pour en faire le moins... possible. Force d’inertie à l’apogée, toute la substance grise est concentrée dans la recherche d’excuses valables pour ne pas exécuter la tâche demandée, pour se mettre entre parenthèse, pour se la couler douce. Ne jamais obtempérer du premier coup (les mauvaises habitudes chez les maîtres se prennent vite), laisser réclamer x fois avant de se mettre en ordre de marche...

Les conseils aux domestiques sont plus farfelus les uns que les autres, les notions d’hygiène sont carrément inversées... tout est à prendre ici au second degré, bien entendu. Allez, c’est parti pour un petit florilège.

Ne pas hésiter à dévier un ustensile de son emploi, voire à s’en passer tout simplement

Le pot de chambre est introuvable ; inutile de parcourir la maison en tous sens, une jolie tasse en argent fera tout aussi bien l’affaire.

Avoir recours à ses mains, le plus souvent possible, évite d’user les ustensiles et diminue la peine de les chercher. « Ne vous servez jamais d’une cuiller pour ce que vous pouvez faire avec vos mains, de peur d’user l’argenterie de votre maître. » C’est ainsi que les sauces se lient à la main et se goûtent au doigt.

Ne pas hésiter à faire compliqué quand on peut faire simple

Souffler une bougie pour Fernand Raynaud,2 eu égard à certaines particularités physiques, n’est pas de la tarte. Même chose pour les domestiques à qui Swift propose une longue liste de méthodes plus dangereuses ou moins hygiéniques les unes que les autres pour éteindre la chandelle : contre une boiserie, au pied, en plongeant la mèche dans un pot de chambre préalablement rempli, dans un « tonneau de farine », dans un « boisseau d’avoine »... Les solutions sont multiples pour qui manque de souffle… mais non d’imagination.

Ne pas hésiter à faire étalage de propreté

Lors du service des boissons « essuyez le goulot avec la paume de votre main, pour montrer votre propreté » ! Mais attention, à ne pas tomber dans l’excès, tout n’est pas forcément destiné à être nettoyé. La cuisinière, par exemple, se gardera bien de nettoyer les broches qui viennent de servir à rôtir la viande. « La graisse qu’y laisse la viande est la meilleure chose pour les préserver de la rouille ». On évitera ainsi de consommer l’eau à outrance (pas de dépense inutile) et en matière d’hygiène individuelle, on se gardera bien également de se laver les mains à tout bout de champ. « Vous devez regarder la cuisine comme votre cabinet de toilette ; mais il ne faut pas laver vos mains avant d’avoir été aux lieux d’aisance, d’avoir embroché votre viande, troussé votre poulet... » Un seul et unique lavage en fin de journée suffira bien. « Ne lavez jamais vos mains » avant de faire les lits de peur de les salir.

Afin de rester le plus propre possible, évitez au maximum toutes les actions salissantes et refuser toutes les tâches susceptibles de nuire à la santé. « Ne nettoyez pas le pot de chambre : l’odeur en est malsaine ».

Ne pas hésiter à faire étalage de coquetterie

Se peigner en tous lieux n’est pas répréhensible aux yeux de Swift. Pendant la préparation des repas, pourquoi pas ?  Et tant pis si des cheveux tombent dans la soupe. Ce sera l’occasion d’accuser tel ou tel laquais par trop déplaisant. Les repas seront, idéalement, servis pieds nus, sans bas, car « les dames aiment l’odeur des pieds des jeunes gens ». Swift classe, par ailleurs, les effluves podaux comme un « remède souverain contre les vapeurs ».

Ne pas hésiter à procrastiner

Remettre sa tâche au lendemain... voilà le précepte de base du domestique « longue durée » ; lorsque le maître part en vacances, par exemple, il convient de stopper le ménage, de le différer dans le temps. Inutile de réaliser une tâche qui passera inaperçue. Le ménage se fera à tout casser 1 heure avant le retour du maître qui bénéficiera ainsi des bienfaits immédiats d’une œuvre de dernière minute.

Instructions aux domestiques, en bref

Côté salariés, le Code du travail de Jonathan Swift est assez particulier. Un code qui se décompose en XVI chapitres et qui s’adresse successivement à tous les membres d’une maison bien montée, avec des « règles qui concernent tous les domestiques en général » et des règles plus spécifiques à telle ou telle corporation. Le bien-être au travail est y sous-jacent, la salle de détente occupe tout l’espace.

Il manque, dans ce Code du travail très particulier, les droits et devoirs des employeurs... Il manque également certaines notions telle que le rôle du N+1 à l’échelle domestique, la notion de faute (Swift se limite aux bonnes pratiques et ne donne aucun exemple d’attitudes répréhensibles) ou un chapitre concernant les gratifications.

Un essai pour le moins amusant, histoire de se dérider en ce jour où le travail est fêté par un jour de repos !

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, d'avoir permis que se rencontrent, par la magie du dessin, Jonathan Swift et Fernand Raynaud !

Bibliographie

1 Swift J. Instructions aux domestiques, 10-18, 1999

2 https://www.youtube.com/watch?v=GROZXq7JuNg

 

 

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