Le Docteur Erasmus Wilson, une caution scientifique prise en otage !

Erasmus Wilson (1809 – 1884) est un médecin londonien de grande notoriété.1 Un champion es-bulle si l’on en croit ses détracteurs, qui n’hésitent pas à salir le roi de la propreté, en pointant du doigt des publicités Pears le présentant comme le garant médical de ce cosmétique d’hygiène de base.

Contrairement à ce que prédit Erasme à l’Homme en matière de destin, celui-ci est comparé à une bulle de savon,2 la vie de ce dermatologue hors norme est toujours connue de nos jours. Pour sa passion pour la propreté et les actes d’hygiène, pour son verbe, pour ses qualités oratoires… Un grand homme, généreux avec les pauvres (ne faisant pas payer ses consultations aux indigents), soucieux du détail anatomique… Un homme moderne qui rédige des ouvrages didactiques, se penche sur la notion de salubrité et sert de garant à un entrepreneur très entreprenant, un savonnier intelligent, qui ne se contente pas de mettre au point des savons, mais élabore toute une stratégie visant à bien le vendre.

Erasmus Wilson est le 1er… le premier dans plein de domaines !

Editeur de la première revue de dermatologie britannique

Après avoir été « rédacteur en chef adjoint du Lancet », Erasmus se lance (Lance, Lancet !!!) dans l’édition d’une revue médicale intitulée « Journal of cutaneous medicine and diseases of the skin », une revue éphémère, qui ne verra paraître que 3 volumes sous la direction du grand homme. Un 4e volume verra le jour grâce à Purdon, avant que la revue ne soit définitivement enterrée !3

Le 1er à se qualifier de dermatologue

En Angleterre, Erasmus est considéré comme le premier médecin à se qualifier de dermatologue,4 à une époque où la spécialisation n’est pas vue d’un bon œil. En effet, on préfère alors les médecins généralistes, censés posséder une culture encyclopédique. Et on se gausse, un peu, des spécialistes dont le savoir est, on ne peut plus, restreint.

Le 1er à jouer les superstars

Alan Lyell nous présente Erasmus, en 1979, comme un communicant de toute première force, qui, si la télévision avait existé à son époque, aurait été une « superstar ». Cet homme, qui avait le don de la « publicité et de l’autopromotion », aurait également sûrement été un homme que l’on pourrait suivre sur les réseaux sociaux de nos jours, du fait de son regard critique et de son franc-parler.

Un esprit vif, qui va être sollicité lors de l’affaire de la « flagellation de Hounslow »… l’histoire d’un soldat, John White, décédé 4 semaines après avoir été fouetté cruellement, suite à un fait d’insubordination. Contrairement à ses collègues, Erasmus n’hésite pas à établir un lien entre la flagellation et le décès, du fait des nombreuses marques retrouvées sur le corps du malheureux et ce malgré un laps de temps important entre les sévices subis et le décès. Des blessures non aseptisées, des corvées de toilette qui amènent une source d’infections… en quelques mots bien sentis, Erasmus fait le procès de la hiérarchie du jeune soldat et devient une célébrité !5

Le 1er à avoir eu un bungalow

La publication de Nick Levell parue en 2021 nous fait découvrir un Erasmus Wilson pionnier de la médecine, en général, et de la dermatologie, en particulier, « holistiques ». Le dermatologue insiste sur la notion de qualité de vie associée à la notion de santé. Un « logement propre et sain », « une hygiène rigoureuse », « des bains réguliers » constituent les piliers d’une santé florissante.

« Faites ce que je fais et ce que je dis »… telle aurait pu être la devise de ce médecin, qui se prescrit à lui-même ce qu’il recommande à ses patients. Et à ce titre, Erasmus met la main au porte-monnaie en se faisant construire l’un des premiers bungalows de Westgate-on-Sea. Un bungalow qui sera baptisé très sobrement du nom de « Le bungalow » ! Un bungalow où tout est agencé pour faciliter la vie du personnel de maison et permettre à ses habitants de profiter du soleil et/ou de la fraicheur en temps et heure voulus et ce grâce à de belles et grandes vérandas. En résumé : « la maison le plus hygiénique possible pour une famille » !6 Et Erasmus de récidiver, en faisant construire 3 autres bungalows du même genre.

Le 1er à s’être adressé directement au public

Ou du moins l’un des premiers à être populaire auprès du grand public, qui s’arrache son ouvrage intitulé « A Practical Treatise on Healthy Skin », dès sa première édition, en 1845. Un succès qui vaudra à ce best-seller de nombreuses rééditions et qui permet à son auteur de devenir célèbre.7

Le 1er à être caution pour un cosmétique… contre son gré sans doute

L’instigateur de cette notion de publicité par caution est un certain Thomas Barratt (1841-1914), président de la Pears Soap Company. Un PDG qui n’a pas les yeux dans sa poche et qui connait bien la personnalité médiatique du célèbre docteur. Un docteur qui, dans son livre destiné à l’hygiène cutanée du grand public, n’hésite pas à recommander tel ou tel savon dont le fameux savon Pears, présenté comme un produit de haute qualité ayant sur la peau l’effet d’un « baume rafraichissant » et agréable.

Une caution libre de tout lien d’intérêt, provoquée, sponsorisée ? Difficile à dire. En tout cas, Erasmus se défend de tout conflit d’intérêt, indiquant que la mention faite dans son ouvrage au savon Pears est « spontanée » !

Erasmus est célèbre ; son nom est emprunté par certains laboratoires cosmétiques… Quoi de plus normal, lorsque l’on est un éminent personnage ? Mais également quoi de plus irritant, semble penser Erasmus, qui se défend dans la revue le Lancet de tout lien avec quelque marchand de shampooings ou de pommades que ce soit !8,9

Il est bon de préciser à ce sujet que le fameux Baratt possède un mode de communication agressif et moderne, puisqu’il n’hésite pas à mettre au point des slogans qui claquent tel le célèbre « Du poison dans les savons de toilette » de la concurrence… Il y a donc du poison dans les savons concurrents… Et pour se différencier de ces savons délétères, Baratt garantit un savon de très haute « pureté », une pureté validée par un chimiste, John Atfield (là encore on se pose des questions quant à l’utilisation du nom de ce chimiste sans son accord vraisemblablement).10

Erasmus Wilson, sur la pente savonneuse ?

Ses confrères (sans doute un peu jaloux) n’en démordaient pas… Ce dermatologue richissime devait certainement sa fortune à des contrats juteux avec l’industrie cosmétique. Pas si sûr que cela, quand on sait que d’autres médecins se sont fait « emprunter » leur nom pour vanter les mérites dudit savon. Avec Thomas Barratt, débute une nouvelle ère… celle de la publicité utilisant une caution, celle de publicités stigmatisant la concurrence. Une industrie sur la pente savonneuse, en somme !

Bibliographie

1 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/350783/

2 https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/15-de-plus/15-de-plus-du-vendredi-03-mai-2024-6312409

3 https://numerabilis.u-paris.fr/ressources/pdf/sfhm/hsm/HSMx1994x028x004/HSMx1994x028x004x0359.pdf

4 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0738081X21000018

5 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0738081X21000018

6 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0738081X21001528

7 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0738081X21000018

8 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0140673602689287

9 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S014067360268866X

10 https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0738081X21000018