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Le coupable... c’est le savon !

> 06 mars 2021

Le coupable... c’est le savon !

Tuppence et Tommy Beresford, deux agents qui ont joué un rôle de premier plan durant la Première Guerre mondiale, reconvertis en détectives, sont en passe de reprendre du service, lors de la Seconde.1 A la demande des services secrets britanniques, ils vont devoir traquer un membre (ou plus ?) de la 5e colonne, dans la charmante station balnéaire de Leahampton. Tuppence, sous la couverture d’une tricoteuse acharnée, Mrs Blenkensop, s’installe dans la pension de famille, connue sous le nom désuet de villa « Sans-Souci ». Tommy, quant à lui, se transforme en un homme falot, passionné de golf, Mr Meadowes. A eux deux, et sans avoir l’air d’y toucher, Tuppence et Tommy vont réussir leur mission et participer, à leur niveau, à la sauvegarde de leur mère-patrie.

Une pension de famille qui sent l’oignon et le chou

Mrs Perenna, la patronne de la pension de famille, est une « femme peu soignée, maquillée à la diable », qui possède, pourtant, deux atouts esthétiques de poids : une « opulente chevelure noire » et des « dents d’une blancheur éblouissante ». Sheila, sa fille, « très brune de peau », arbore des « formes agréables », qui ne laissent pas indifférent un certain pensionnaire. Mrs O’Rourke, une peu séduisante matrone, porte « sans honte barbe et moustaches », le major Bletchley, M. von Deinim (un jeune Allemand blond, aux yeux bleus), Miss Minton, Mrs Sprot et son petit diable de 3 ans, Betty, et M. et Mrs Cayley forment un petit groupe hétérogène de personnes qui se sont retrouvés là pour fuir les bombardements sur Londres. Le major passe ses journées à pester contre cette jeunesse toute molle qui a fait perdre la guerre. « Il leur faut des bains chauds, et c’est sur le coup de 10 heures qu’ils descendent prendre leur petit déjeuner, quand ce n’est pas plus tard. » M. Cayley, quant à lui, ne pense qu’à sa santé et à ses médicaments. « Ce n’est pas un homme c’est une pharmacie ambulante. » Il y a, de temps en temps, des échanges de mots aigres doux... Sheila, par exemple, s’emmanche après Tommy, trouvant qu’il est du genre à faire fortune « aux quatre coins de l’Empire » et à revenir au bercail, tout bronzé, vivre de ses rentes ! Tout ce petit monde vit paisiblement (ou à peu près) dans une délicieuse odeur de cuisine. « Oignons ou choux, la plupart des temps » ! Parfois, une petite note « d’assa foetida », histoire de changer de chambre, du fait de l’odeur pestilentielle qui y règne.

Une poudre de riz qui sent l’espionne à plein nez

Tuppence glisse des cils dans son courrier, afin de vérifier que l’on ne vient pas fouiller dans ses affaires. Elle saupoudre les surfaces d’une mystérieuse poudre, conditionnée dans un flacon estampillée « Poudre du Dr Grey », qui permet de relever les empreintes. Lorsque le flacon est vide, de la poudre de riz prend le relais. Même déguisée en infirmière, Tuppence pense à son indispensable poudre de riz. Elle est passée entre les mains d’une maquilleuse professionnelle, qui a modifié l’arc de ses sourcils, qui a fait saillir ses pommettes, grâce à des « petites bandes de toile adhésive », fixées derrière les oreilles, qui a modifié la forme de ses mâchoires avec de « fines lamelles de caoutchouc », collées aux gencives et qui l’a finalement vieillie avec un maquillage approprié. Dans le sac à main de Freda Elton (Tuppence a pris sa place), elle ajoute « sa propre boîte de poudre et son rouge à lèvres ».

Une espionne qui sent l’anis à plein nez

Tuppence est une espionne un peu vieux jeu, qui n’aime pas vraiment la façon de se coiffer des jeunes gens des années 1940. Leurs cheveux sont beaucoup trop longs. Sa fille Deborah se lamente : « Oh ! maman ne sois pas si terriblement 1916 ! Je ne peux souffrir les cheveux courts. » Tuppence est, peut-être, un peu ringarde en matière de mode, en revanche, en matière de techniques d’espionnage elle est... ben finalement aussi ringarde ! Ainsi, pour pouvoir être toujours retrouvée par les chiens qui sont chargées de la pister, Tuppence n’oublie pas d’enduire sa chaussure d’un « truc qui sentait l’anis » à plein nez ! Pas très discret, mais efficace.

Des lacets dans un verre à dents mentholé

Betty, le petit monstre de Mrs Sprot, a la fâcheuse habitude de plonger les lacets dans les verres à dents ! Drôle d’idée.

Un savon (non parfumé ?) providentiel

C’est dans la villa de M. Haydock, capitaine de frégate (petit clin d’œil à un certain capitaine Haddock, créé par Hergé quelques années plus tôt), que tout se joue. Alors que Tommy vient de se laver les mains dans la luxueuse salle de bain du maître de maison, il glisse malencontreusement sur un « morceau de savon tombé sur le linoléum bien ciré qui couvrait le parquet ». Glissade spectaculaire ! Tommy se raccroche aux robinets de la baignoire qui se met à pivoter... découvrant une cache, où l’on peut distinguer un émetteur radio. On n’en saura pas plus sur ce savon, parfumé ou non, surgras ou non, sur base suif ou végétale ?

N ou M ? en bref

N ou M ? n’est pas LE roman d’espionnage à ne pas manquer. C’est, en revanche, un petit roman bien agréable, sans prise de chou (même si la pension sent le chou à plein nez). Tuppence et sa poudre de riz, Tommy et son savon glissant apportent une note d’humour à un ouvrage sans prétention qui fait passer un bon moment.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour cette question posée, en image... alors... N ou M ?

Bibliographie

1 Christie A. N ou M ? Librairie des Champs-Elysées, 253 pages

 

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