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La vérité se cache au fond du flacon de vernis à ongles !

> 02 août 2020

La vérité se cache au fond du flacon de vernis à ongles !

Dans son roman Mort sur le Nil,1 Agatha Christie nous convie, à bord du Karnak, à une croisière un peu mouvementée. Il faut reconnaître que l’ambiance n’est pas vraiment joyeuse ; Jacqueline de Bellefort, qui a décidé de pourrir le voyage de noces de son ex-meilleure amie, y est pour beaucoup. Pour bien comprendre la situation il n’est pas inutile de rappeler que Linnet Ridgeway, la jeune épouse, vient de chiper le fiancé de son amie, Jacqueline. Simon Doyle se voit donc contraint de voyager entre les deux femmes de sa vie, la nouvelle, une riche héritière habituée à ce que tout plie devant elle et l’ancienne, une jeune fille sans le sou mais pleine de tempérament. Sont également embarqués sur le navire, Hercule Poirot, le célèbre détective, un escroc qui se fait passer pour un archéologue, une kleptomane, un colonel appartenant au service secret, un homme d’affaires véreux... Bref, une charmante petite société ! Et tout ce petit monde a la « manie » de « maquiller la vérité » !

Joanna Southwood, des ongles rouges sang

Joanna n’est pas du voyage. Cette amie de Linnet évolue dans les milieux britanniques argentés. Elle a développé, avec son cousin, Tim Allerton, une tactique pour voler des joyaux de prix. Ne laissez jamais un collier de perles à portée de sa main ! Cette jeune femme de 27 ans, aux « sourcils épilés de façon extravagante », est une pie voleuse qui fait « briller ses ongles rouges sang avec le polissoir » de ses amies. A surveiller de près !

Linnet Ridgeway, des ongles « rouge cardinal »

Cette jeune femme a tout pour elle... la beauté, la richesse, la jeunesse. Ses « cheveux d’or » constituent certainement l’un de ses points forts. « Coquette jusqu’au bout des ongles », Linnet se les peint, toujours, avec le même vernis de teinte « rouge foncé cardinal ».

Jacqueline de Bellefort, meurtre prémédité sur fond de vernis à ongles

La meilleure amie de Linnet est une brune « aux yeux immenses ». Véritable cerveau de l’affaire, Jacqueline a prémédité le meurtre de son amie dans les moindres détails. C’est Simon qui est en charge de tuer Linnet. Pour se constituer un alibi - un double alibi même - Jacqueline fait mine de tirer sur son ex-fiancé ; elle est conduite dans sa cabine et surveillée durant toute la nuit par une infirmière tant son état d’agitation est inquiétant. Pendant que Jacqueline dort paisiblement sous l’effet d’un somnifère, Simon file assassiner Linnet dans sa cabine et revient au salon se tirer une balle - une vraie cette fois-ci - dans la jambe. Pour simuler dans un premier temps une blessure par balle, Simon tamponne sa jambe avec de l’encre rouge... (« Il a aussitôt appliqué sur sa jambe un mouchoir qui s’est teinté de rouge ») L’encre sera stockée dans un flacon de vernis à ongles pour donner le change.

Simon Doyle, le bronzé de service

Simon Doyle est « un solide gaillard aux yeux bleu sombre, à la chevelure brune et bouclée, au menton carré ». Ce séducteur à la peau mate arbore un bronzage impeccable.

Richetti, l’archéologue - vraiment ? - de service

Celui qui se fait passer pour un archéologue n’a pas vraiment l’air d’en être un. Les « lotions capillaires très parfumées » qu’il utilise cadrent mal avec l’image d’un savant plus habitué à vivre dans la poussière que dans les salons de coiffure. On le sent près à fomenter une révolution... et non à reconstituer des poteries antiques.

Mrs Allerton, un doux parfum de lavande

Cette femme « distinguée » qui ignore les activités répréhensibles de son fils Tim a de la classe. Elle se déplace dans un délicat sillage de lavande.

Hercule Poirot, le grain de sable dans un meurtre pourtant bien huilé

Célèbre pour ses petites cellules grises qui fonctionnent à 100 %, dès lors qu’un crime est commis, Hercule Poirot se reconnaît à son « aspect comique » et à « ses grosses moustaches noires ». Ce détective privé très particulier ne déteste pas écouter les conversations de ses voisins de table et surprendre les secrets les plus intimes. Hercule est un homme soigneux qui se rase le visage de bon matin. C’est alors qu’il s’essuie « la mousse de savon sur son visage fraîchement rasé » que l’on vient lui annoncer le meurtre qui s’est produit durant la nuit. En fouillant la cabine de Linnet, Hercule est étonné de voir deux flacons de vernis à ongles sur l’étagère du cabinet de toilette. « L’un des flacons portait une étiquette avec le mot « rose » ; or les quelques gouttes qui restaient au fond n’étaient point roses mais d’un rouge vif. » En outre, ce flacon ne sent pas le bonbon anglais, comme la plupart des vernis à ongles du commerce, mais une odeur beaucoup plus singulière, celle de vinaigre. En lieu et place de vernis, il s’agit d’encre. Mais, pourquoi utiliser un flacon de vernis à ongles comme encrier ?

Et le révolver, où le cacher ?

Le révolver, rien de plus simple. Une innocente conversation entre femmes conduit le révolver de Jacqueline dans le sac de Rosalie. « Nous étions en train de comparer nos bâtons de rouge ».

Et encore

Agatha Christie nous apprend, dans ce roman, que la bonne société qui se transporte en hiver en Egypte se soucie peu des effets néfastes du soleil. Les joueurs de tennis, en particulier, pratiquent leur sport favori « en plein soleil » et sans crème solaire, cela va sans dire... Les hommes accomplis, les aventuriers, les séducteurs - tel le colonel Race - ont tout naturellement le « teint bronzé ».

Dans ce roman qui se dévore en moins de temps qu’il ne faut pour descendre le Nil, Agatha Christie puise son inspiration dans sa trousse de maquillage. C’est un tantinet tiré par les cheveux - étonnant que tout le monde se précipite au chevet de la meurtrière pendant que le blessé est laissé sans soin sur son bout de canapé - mais c’est une excellente lecture d’été - sans prise de tête.

Un grand merci à Jean-Claude A. Coiffard, poète et plasticien, pour ta représentation de "mort au vernis" !

Bibliographie

1 Christie A. Mort sur le Nil, Librairie des Champs Elysées, 254 pages

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