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La trilogie de la crème Valaze : des larmes, de l’amour et de la publicité !

> 13 août 2017

La trilogie de la crème Valaze : des larmes, de l’amour et de la publicité ! En 1957, lorsqu’Helena Rubinstein revient sur sa carrière, dans un ouvrage intitulé « Je suis une esthéticienne », paru aux éditions du Conquistador – éditions qui ont créé une collection mettant à l’honneur à chaque fois un métier particulier ; ont, en effet, déjà été publiés « Je suis couturier » par Christian Dior, « Je suis comédien » par Pierre Fresnay, « Je suis homme de théâtre » par Jean-Louis Barrault – elle ne peut pas ne pas évoquer la crème Valaze qui est à l’origine de son succès. Cette crème qui a le goût des larmes va rapidement devenir un joker dont l’entreprenante jeune fille va parfaitement savoir se servir.

Tout débute par une peine de cœur. Helena rencontre un jeune étudiant en médecine qu’elle présente à son lecteur en faisant valoir son attrait pour elle (« J’avais rencontré, à l’université, un étudiant en médecine, à qui je plaisais particulièrement »). Les sentiments sont, vraisemblablement, partagés, mais Helena, bien que le « cœur déchiré », sait parfaitement que l’on ne se marie pas sans l’accord de ses parents. Or, ses parents ne sont pas favorables à ce mariage ! La jeune fille qui s’imaginait déjà femme de médecin, laborantine aux ordres du maître (Helena aux ordres de son mari, difficile à imaginer !) afin de « l’aider, de participer à ses recherches, de lui inspirer des découvertes », se voit obligée de revoir ses plans. Cracovie étant la ville de cet amour avorté, il ne reste plus qu’à s’en éloigner, pour aller le plus loin possible. Un oncle qui a fait fortune en Australie, près de Coleraine, est tout à fait disposé à prendre en charge sa jeune nièce. « Ma self-défense me portait à n’être pas hostile à cette décision. » Il n’y a plus qu’à… organiser le voyage.

Tout débute par une marque d’affection maternelle. « En femme avisée, ma mère avait glissé, dans mes valises, quelques pots d’une crème destinée à protéger mon teint contre un climat qu’elle savait être violent. Violence du soleil tropical. Violence des vents de l’Océan Indien et du Pacifique. » « On eut bien étonné ma mère en lui disant que son geste de simple prévoyance avait doté sa fille d’un pactole de plusieurs millions de dollars. »

Tout débute aussi dans un laboratoire de chimie. En effet, à l’origine de cette crème, deux chimistes, les frères Lykusky. Helena Rubinstein va tisser, avec adresse, toute une légende autour de cette préparation cosmétique. Celle-ci a été conçue pour la célèbre actrice polonaise Helena Modjeska qui la fait connaître, par la suite, à la famille Rubinstein. Pour bien vendre, il faut savoir raconter des histoires (cela, les services marketing le savent toujours aujourd’hui !). Helena excelle à ce petit jeu. Avec brio, elle justifie le fait que deux éminents chimistes se soient détournés de leur recherche fondamentale pour s’intéresser aux petits tracas quotidiens des peaux féminines. « Il fallait vraiment le prestige du théâtre pour que des praticiens ayant des notions de dermatologie, se fussent laissés distraire des entités morbides au profit de la beauté féminine. » La beauté d’Helena Modjeska valait bien que l’on mette de côté cornues et alambics !

La suite n’est que trop logique lorsque l’on possède la personnalité de la jeune Helena. Suivant méthodiquement les conseils maternels et s’appliquant consciencieusement la précieuse crème – que l’on pourrait dénommer crème-barrière – sur sa peau, notre jeune polonaise ne souffre aucunement des effets du climat. Alors que les jeunes filles de son entourage, de « délicates anglaises » pour la plupart, déplorent des teints cuivrés de paysannes et se plaignent d’une sécheresse cutanée due « aux vents australiens », la fraîche Helena reste aussi belle que le jour de son arrivée. Au lieu de cacher son secret de beauté, elle s’empresse de mettre en place une chaîne de distribution : Cracovie fournit la marchandise, Helena l’écoule en Australie. C’est très bien… mais ce n’est pas suffisant !

Les délais d’approvisionnement sont longs, très longs, trop longs… Le mieux serait de fabriquer la fameuse crème sur place. Helena « réclame » la formule et l’obtient. Elle fait rapidement le nécessaire pour trouver un pharmacien qui lui ouvre les portes de son laboratoire et lui apprend les ficelles du métier de préparateur. Réaliser une pommade à usage thérapeutique ou une pommade pour jeunes filles en fleurs requiert les mêmes connaissances de base. Helena se plaît au milieu des moules à suppositoires, des mortiers, des pilons et autres attributs pharmaceutiques. « Il faut croire qu’il y avait en moi une singulière prédestination à mélanger les onguents, les herbes et les pommades. » Outre la formule arrachée aux frères Lykusky, Helena feuillette les grimoires de son vieil ami et y trouve des pistes pour ses créations futures… Tous les soirs, dans sa chambre, Helena mélange les ingrédients, manie avec dextérité mortier et pilon, conditionne en pot…

La crème Valaze (« don du ciel ») restera la crème préférée d’Helena. Rebaptisée par la suite « Wake-up cream » ou « Jeunesse du teint », cette crème restera la formule de la jeunesse de celle qui l’a popularisée.

Une crème-barrière qui protège des intempéries, une pommade réalisée au mortier et au pilon… les détails concernant cette crème mythique ne sont pas légion. Comme toutes les préparations datant de la fin du XIXe siècle ou du début du XXe siècle, on peut se douter que la formule est minimaliste et ne renferme que peu d’ingrédients.

La crème Diadermine (acide stéarique, soluté ammoniacale, glycérine et eau) (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/diadermine-la-creme-a-tout-faire-168/), la crème Simon (glycérolé d’amidon, oxyde de zinc, parfum) (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/creme-simon-un-simple-glycerole-d-amidon-169/), la cire Aseptine (blanc de baleine, cire blanche, vaseline blanche, oxyde de zinc, parfum), la crème Tokalon (acide stéarique, eau distillée de rose, glycérine, gélose, lessive de soude)… autant de crèmes pour lesquelles les ingrédients se comptent sur les doigts d’une main ! On comprend mieux pourquoi l’industrie cosmétique fait rêver aussi bien les personnes dotées de qualités d’entrepreneurs que les consommateurs. La clé de la réussite tient souvent à peu de choses…

Avant de refermer ce Regard, une dernière précision : avant de décéder, Helena Rubinstein retrouva un feuillet où étaient consignés les ingrédients qui composaient la crème Valaze : une cire végétale, du sésame et de l’huile minérale (http://lemag.helenarubinstein.com/article/-valaze-focus-sur-le-premier-soin-revolutionnaire-d-helena-rubinstein_a295/1). Trois fois rien… un succès dû à la chance ?

La crème Valaze, la crème de la chance… non pas vraiment. La chance (« La chance est une magicienne furtive qui marche sur des chaussons de nuages. Ceux qui se prétendent malchanceux n’ont pas l’oreille assez fine pour l’entendre approcher. ») pour Helena Rubinstein porte le nom d’Edward Titus, un jeune journaliste, qui a très bien compris tout le potentiel qui bouillonne dans le cerveau de la jeune femme et qui deviendra, par la suite, son mari. Un article dans le journal, des petites annonces pour promouvoir une vente par correspondance, la mécanique du succès est lancée… Elle ne s’arrêtera plus !

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