Nos regards
La téprénone, une molécule qui nous donne des aigreurs d’estomac !

> 06 décembre 2017

La téprénone, une molécule qui nous donne des aigreurs d’estomac ! Après un rouge à lèvres formulé sans pigment, mais avec les principes actifs du Maalox (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/rouge-a-levres-la-bouche-rouge-avec-ou-sans-maalox-410/) nous présentons, aujourd’hui le cas très intéressant d’un actif anti-âge émergent, utilisé depuis les années 1990, au Japon, dans le cadre du traitement de l’ulcère gastrique !

La téprénone ou 6,10,14,18-tétraméthyl-5,9,13,17-nonadecatétaène-2-one est également connue sous le nom de tétraprénylacétone or géranylgéranylacétone (GGA). Il s’agit d’un principe actif mis au point au Japon et largement étudié par plusieurs équipes asiatiques (Li Ding, Tian Zhu, Qinxin Song, Yindi Zhang, Jianping Shen, HPLC–APCI–MS for the determination of teprenone in human plasma: Method and clinical application, Journal of Pharmaceutical and Biomedical Analysis, 44, 3, 2007, 779-785). Différents mécanismes d’action sont proposés pour expliquer son action.

En 1993, un bactériologiste chinois démontre l’effet antibactérien exercé par la téprénone sur une bactérie (Helicobacter pylori) impliquée dans le développement de pathologies gastro-duodénales (Eiji Ishii, Antibacterial activity of teprenone, a non water-soluble antiulcer agent, against Helicobacter pylori, Zentralblatt für Bakteriologie, 280, 1–2, 1993, 239-243).

En 1995, on démontre sur culture cellulaire (cellules gastriques de cochon d’Inde) que la téprénone engendre la production de protéines de choc thermique (Heat shock proteins), les HSP60, HSP70 et HSP90 (T. Hirakawa, M. Yamada, S. Teshima, T. Nikawa, K. Rokutan, Teprenone exerts its cytoprotective action trough induction of heat shock proteins in cultured gastric mucous epithelial cells, Gastroenterology, 108, 4, 1, 1995, a114). Celles-ci exerceraient un rôle protecteur.

Une étude multicentrique incluant plus de 1000 patients atteints d’ulcère gastrique est alors réalisée. On constate que le taux de cicatrisation est plus élevé en cas de bithérapie (association d’anti-histaminiques-H2 et de téprénone) que de monothérapie (utilisation d’anti-histaminiques-H2 seuls) (Hikoo Shirakabe, Tadayoshi Takemoto, Kenzo Kobayashi, Kazuei Ogoshi, Hidenobu Watanabe, Clinical evaluation of teprenone, a mucosal protective agent, in the treatment of patients with gastric ulcers: A nationwide, multicenter clinical study, Clinical Therapeutics, 17, 5, 1995, 924-935).

Vingt ans après ces premiers résultats, des tests réalisés sur un petit échantillon de 16 patients atteints de cirrhose, mais non infectés par la bactérie Helicobacter pylori, montrent l’intérêt de cette molécule dans la normalisation de la composition du mucus gastrique. En effet, la concentration en phospholipides diminue chez les sujets souffrant d’ulcère gastrique (en lien avec une infection à Helicobacter) et de gastrites (en lien avec une cirrhose, par exemple). Une posologie de 50 mg deux fois par jour sur une période de 4 semaines permet de normaliser la composition du mucus (Ryo Shimoda, Ryuichi Iwakiri, Sadatoshi Ishibashi, Seiji Kawasaki, Kazuma Fujimoto, Normalization in phospholipids concentration of the gastric mucosa was observed in patients with peptic ulcer after eradicaton of Helicobacter pylori and in patients with liver cirrhosis treated with teprenone, Gastroenterology, 120, 5, Suppl 1, 2001, a590).

En 2013, des équipes coréennes se penchent sur l’effet inhibiteur de la mélanogenèse de la téprénone. La réduction de l’activité de la tyrosinase et de la synthèse de mélanine qui est dose-dépendante semble très séduisante pour ces chercheurs en quête de molécules dépigmentantes efficaces (Eun-Hyun Kim, Hyo-Soon Jeong, Hye-Young Yun, Kwang Jin Baek, Dong-Seok Kim, Geranylgeranylacetone inhibits melanin synthesis via ERK activation in Mel-Ab cells, Life Sciences, 93, 5–6, 2013, 226-232). On sait, en effet, que les asiatiques considèrent les taches cutanées comme des marqueurs de vieillissement beaucoup plus préoccupants que ne sont les rides pour les autres populations du globe.

Tout récemment une équipe japonaise a également mis en évidence l’effet protecteur de la téprénone sur les cellules ciliées vestibulaires de souris. Agressées par de la néomycine, les cellules des animaux ayant reçu la téprénone ont un taux de survie plus élevé que celui des animaux n’en ayant pas reçu du fait de la production de HSP70 (Shinpei Nagato, Kazuma Sugahara, Yoshinobu Hirose, Yousuke Takemoto, Hiroshi Yamashita, Oral administration of geranylgeranylacetone to protect vestibular hair cells, Auris Nasus Larynx, 2017).

Alors, quel rapport avec l’industrie cosmétique, nous direz-vous ? Aucun, sera notre réponse. Quoique… Evoquer un ingrédient qui possède un effet dépigmentant est un argument de poids pour des laboratoires en attente de la molécule-miracle !

La téprénone est un principe actif médicamenteux qui commence, timidement, mais sûrement, à faire une intrusion dans le monde de la beauté et plus spécialement dans le secteur de l’anti-âge. Le Cosing reconnaît cette molécule comme ingrédient cosmétique et le présente comme un « agent conditionneur » (http://ec.europa.eu/growth/toolsdatabases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=83492). Le fournisseur de matières premières Sederma propose à ses clients un ingrédient qui consiste en une solution de « geranylgeranylacetone dans du Caprylic/capric triglyceride ». Le pourcentage d’incorporation conseillé est de 3% minimum. Des crèmes renferment déjà la téprénone (https://www.lifeextensioneurope.fr/dna-repair-cream-1-oz), un ingrédient qui met le pied dans la quatrième dimension !

Nous souhaitons tirer la sonnette d’alarme quant à l’utilisation de cette molécule dans le domaine cosmétique. Les protéines de choc thermique ou protéines chaperonnes susceptibles d’être engendrées suite à l’administration de cette molécule possèdent une personnalité très troublante. Si un certain nombre de publications se font l’écho de leur effet cytoprotecteur vis-à-vis de diverses agressions (Manal M. Kamal, Ola M. Omran, The role of heat shock protein 70 induced by geranylgeranylacetone in carbon tetrachloride-exposed adult rat testes, Pathophysiology, 20, 2, 2013, 139-146), tous les articles les concernant ne sont pas aussi optimistes. On connaît, en effet, parfaitement, leur implication dans le développement de diverses tumeurs (leucémie, neuroblastome, cancer du sein et du foie…). Augmentation de la prolifération des cellules tumorales, diminution du phénomène d’apoptose, implication dans l’angiogenèse sont des faits observés dans le cas des HSP60, 70 et 90, ces mêmes HSP qui sont produites par les cellules mises en présence de téprénone (Jianming Wu, Tuoen Liu, Zechary Rios, Qibing Mei, Shousong Cao, Heat Shock Proteins and Cancer, Trends in Pharmacological Sciences, 38, 3, 2017, 226-256).

La téprénone est une molécule très étudiée dans le domaine médical qu’il convient de regarder avec prudence.

Ne jouons donc pas aux apprentis-sorciers… Laissons les principes actifs médicamenteux aux médicaments et acceptons de ne pas révolutionner le domaine de l’anti-âge à tout prix !

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