Nos regards
La SOD, la belle au bois dormant du domaine cosmétique

> 21 novembre 2018

La SOD, la belle au bois dormant du domaine cosmétique

Si l’oxygène est indispensable à la vie, il est également responsable de la formation de substances toxiques appelées radicaux libres ou espèces réactives à l’oxygène (ERO). La superoxyde dismutase (SOD) constitue la réponse mise en place par un grand nombre d’espèces afin d’éviter les effets délétères associés. L’âge d’or de cette molécule correspond aux années 1990 ; à cette période elle fait l’objet de nombreuses publications et on envisage même d’en faire un moyen de lutte contre le gaz moutarde.1 A défaut d’en faire la solution anti-armes chimiques universelle, la SOD est un ingrédient cosmétique bien sympathique qui peut tout à fait partir en guerre contre les effets du vieillissement cutané, par exemple.

La SOD, qu’est-ce que c’est ?

La superoxyde dismutase est une enzyme qui catalyse la transformation des radicaux superoxydes en peroxyde d’hydrogène H2O2. Celui-ci est alors pris en charge par d’autres systèmes enzymatiques (catalase, glutathion peroxydase) afin de donner naissance à de l’eau. La SOD, ou plutôt les SOD nécessitent différents co-facteurs (cuivre, zinc, manganèse). Chez les mammifères, on distingue trois isoformes dont les localisations sont différentes. La SOD 1 (Cu, Zn-SOD) (homodimère de 32 kDa) est localisée au niveau du cytosol et du noyau, la SOD 2 (Mn-SOD) (homotétramère de 96 kDa) est présente au niveau mitochondrial, la SOD 3 (Cu,Zn-SOD) (homotétramère de 135 kDa) se retrouve au niveau de la matrice extracellulaire.2 Découverte dans les années 1940 dans le sang et le foie des mammifères,3 la SOD apparait sous le microscope des biochimistes Joe McCord et Irwin Fridovich, une trentaine d’années plus tard, comme un cytoprotecteur efficace pour lutter contre le stress oxydant. Baptisée initialement érythrocupréine du fait de sa présence au niveau des globules rouges, la molécule est renommée SOD du fait de la réaction de dismutation qu’elle est capable de catalyser.4,5

La SOD, où la trouve-t-on ?

La SOD est ubiquitaire et on la trouve, bien entendu chez l’Homme, mais aussi chez l’animal, dans le monde végétal et chez les bactéries. Chez les patients atteints de psoriasis, on constate une sous-expression de certains gènes d’intérêts (catalase, superoxyde dismutase, gluthathion réductase).6 On constate également qu’un certain nombre de xénobiotiques entraînent une inhibition de cette enzyme, ce qui peut avoir pour conséquence un certain nombre de pathologies.7 Les épinards, les feuilles de moutarde, le haricot mungo, les germes de blé, les lentilles, le maïs, l’avoine, le concombre, la pomme, la banane, l’avocat, le chou… sont autant d’aliments sources de SOD.8 Certaines eaux thermales renferment des germes susceptibles de constituer une source de SOD thermostable. C’est le cas, par exemple, d’eaux thermales puisées dans la région de l’Himalaya.9

On la trouve, nous dit-on, dans le « sel au bambou », produit depuis plus de 1300 ans par les Coréens. La production de ce remède traditionnel implique d’emprisonner du sel marin dans des tubes de bambou de 3 ans d’âge. Chaque extrémité est obturée à l’aide d’un bouchon d’argile rouge. Le bambou est alors porté à haute température (entre 1000 et 1500°C), en utilisant du pin comme combustible. Lorsque le bambou est « cuit » 9 fois, on considère qu’il permet d’obtenir le remède le plus efficace, car le plus concentré en ingrédients actifs. Entre la médecine traditionnelle et la cosmétique moderne, Chinois et Coréens ont décidé de construire un pont à base de tiges de bambou, qui est désormais regardé comme une source d’ingrédients anti-âge valorisable.10 Faut-il croire en la présence de SOD dans ce produit de calcination ? Etonnant lorsque l’on sait que les enzymes sont thermosensibles !

On trouve de la SOD dans les cosmétiques depuis les années 1990.11 Initialement d’origine bovine, elle subit la crise de la vache folle et renaît de ses cendres via une origine végétale ou biotechnologique. Le cantaloup, une variété de melon (Cucumis melo), est présenté comme la source de SOD la plus intéressante, avec une teneur de 100 U/mg.4 Une espèce de tabac (Nicotiana benthamiana), à défaut d’être fumée, donne bien des idées aux chercheurs en quête de SOD ; une fois génétiquement modifié, il permet la production d’une SOD extracellulaire semblable à celle retrouvée chez l’Homme.12

La SOD, qu’est-ce que ça fait ?

Un effet protecteur vis-à-vis des UVB

Le rôle de la SOD dans le domaine de la protection solaire est connu depuis les années 1980. On avait, en effet, constaté que l’exposition ponctuelle de souris aux UVB engendrait une diminution de l’activité de la SOD alors qu’une exposition chronique aux UVB entrainait une augmentation des teneurs cutanées en SOD.13 Dans les années 1990, cette assertion est confirmée sur épiderme humain.14

La protéine de fusion TAT-SOD (protéine de 17 kDa résultant de la fusion d’un monomère de SOD 3 comportant 164 unités et du peptide HIV-TAT, un exhausteur de pénétration) est présentée comme une molécule d’intérêt dans le domaine de la protection solaire. Appliquée de manière topique, une heure avant irradiation, elle permet d’augmenter d’environ 40 % la Dose Minimale Erythématogène (DME) et de réduire la formation des cellules apoptotiques (Sunburn Cells) UV-induites de l’ordre de 50 %. On précisera que les tests n’ont été réalisés que sur 5 volontaires...15 Ne nous réjouissons, toutefois, pas trop vite. Il nous paraît primordial d’axer la recherche dans le domaine solaire dans la direction des filtres UV et non en direction de molécules agissant d’une autre manière. Dans le cas présent, si la molécule semble avoir un intérêt chez les sujets de phototypes III et IV (sujets capables de synthétiser une mélanine protectrice), il n’en sera rien chez les sujets de phototypes I et II (sujets produisant majoritairement une mélanine non protectrice). Le choix de l’exhausteur de pénétration serait également à retravaillé.

Un effet protecteur vis-à-vis de la lumière bleue
Depuis quelques temps, l’on nous parle beaucoup des effets néfastes de la lumière bleue en matière de vieillissement cutané ou oculaire.16,17 Du fait de la production de radicaux libres (probablement de superoxyde) au niveau épidermique,18 il ne serait pas aberrant d’incorporer de la SOD dans les cosmétiques anti-lumière bleue.

Un effet dépigmentant
La SOD semble inhiber la mélanogenèse, ce qui fait rêver certains dermatologues coréens, à la recherche de produits dépigmentants efficaces.19

Un effet cicatrisant
L’effet antioxydant de la SOD peut être intéressant dans le cadre de la prise en charge topique de certaines blessures. Dans le cas du sujet diabétique, par exemple, on constate une diminution du taux de SOD, entraînant des retards de cicatrisation. Il peut alors être utile de réaliser des formules associant différents actifs, dont la SOD.20

Un effet anti-allergique
Dans le cadre de la conjonctivite allergique, des équipes coréennes viennent de souligner l’intérêt de la SOD. Sur modèle animal, il apparait que la SOD3 permet de réduire la réponse immunitaire médiée par les lymphocytes (Th2).21

La SOD, une molécule que l’on copierait bien

Certains d’entre nous se rappelle sûrement de cette publicité qui nous présentait des sodas ressemblant comme deux gouttes d’eau (ou plutôt d’éthanol) à des boissons alcoolisées. On nous parle désormais de molécules anti-oxydantes SOD-like. C’est le cas, par exemple, d’un whisky japonais (oui, cela existe bien), le Yamazaki 18 (18 ans d’âge peut-on préciser), qui possède une activité anti-oxydante SOD-like importante (activité chiffrée à 1333 U/mL).22 Cette activité est à mettre en lien avec la présence de polyphénols. Il ne serait, toutefois, pas judicieux de préconiser de boire un verre de whisky par jour, pour des raisons toxicologiques évidentes !

SOD et bêta-carotène, les frères ennemis

Le recours à des compléments alimentaires renfermant du bêta-carotène n’est pas du goût de tout le monde. Nous sommes à compter parmi celles et ceux qui n’y voient aucun intérêt. Nous rappellerons au passage que la supplémentation orale en bêta-carotène peut entraîner, entre autres, une déplétion de la SOD leucocytaire, ce qui n’est, bien sûr, pas souhaitable.23

La SOD en un mot

La SOD (CAS : 9054-89-1 ; EC : 232-943-0) dort sagement dans l’inventaire cosmétique. Elle y est présentée comme un antioxydant, un réducteur, un agent conditionneur.24 La base de données Coptis ne connaît, quant à elle, qu’un seul fournisseur du nom de Lonza. La SOD en question est la SOD1. Elle est produite par biotechnologie, grâce à une levure. Nul doute, la belle ne tardera pas à se réveiller et fera le bonheur des services R&D en quête d’actifs anti-pollution, anti-lumière bleue, anti-morosité…

Bibliographie

1 Arieh Eldad, Patrik Ben Meir, Semion Breiterman, Malka Chaouat, Hannah Ben-Bassat, Superoxide dismutase (SOD) for mustard gas burns, Burns, 24, 2, 1998, 114-119
2 Myung-Ja Kwon, ByungHak Kim, Yun Sang Lee, Tae-Yoon Kim, Role of superoxide dismutase 3 in skin inflammation, Journal of Dermatological Science, 67, 2, 2012, 81-87
3 Shivi Tyagi, Shailesh Sharma, Mehak Taneja, Shumayla, Santosh Kumar Upadhyay, Superoxide dismutases in bread wheat (Triticum aestivum L.): Comprehensive characterization and expression analysis during development and, biotic and abiotic stresses, Agri Gene, 6, 2017, 1-13
4 Susana Romao, Therapeutic value of oral supplementation with melon superoxide dismutase and wheat gliadin combination, Nutrition, 31, 3, 2015, 430-436
5 Amit Bafana, Som Dutt, Arun Kumar, Sanjay Kumar, Paramvir S. Ahuja, The basic and applied aspects of superoxide dismutase, Journal of Molecular Catalysis B: Enzymatic, 68, 2, 2011, 129-138
6 Juan L. Melero, Sergi Andrades, Lluís Arola, Antoni Romeu, Deciphering psoriasis. A bioinformatic approach, Journal of Dermatological Science, 89, 2, 2018, 120-126
7 Łukasz Lewandowski, Marta Kepinska, Halina Milnerowicz, Inhibition of copper-zinc superoxide dismutase activity by selected environmental xenobiotics, Environmental Toxicology and Pharmacology, 58, 2018, 105-113
8 Superoxide dismutases in foods. A review, Food Chemistry, 33, 4, 1989, 243-270
9 J. K. Donnelly, K. M. McLellan, J. L. Walker, D. S. Robinson, Abhishek Thakur, Pradeep Kumar, Jeevan Lata, Neena Devi, Duni Chand, Thermostable Fe/Mn superoxide dismutase from Bacillus licheniformis SPB-13 from thermal springs of Himalayan region: Purification, characterization and antioxidative potential, International Journal of Biological Macromolecules, 115, 2018, 1026-1032
10 Xin Zhao, Yongcai Qi, Ruokun Yi, Kun-Young Park, Anti-ageing skin effects of Korean bamboo salt on SKH1 hairless mice, The International Journal of Biochemistry & Cell Biology, 103, 2018, 1-13
11 Farrokhzad Zeinali, Ahmad Homaei, Ehsan Kamrani, Sources of marine superoxide dismutases: Characteristics and applications, International Journal of Biological Macromolecules, 79, 2015, Pages 627-637
12 Ki Youl Park, Eun Yu Kim, Weontae Lee, Tae-Yoon Kim, Woo Taek Kim, Expression, subcellular localization, and enzyme activity of a recombinant human extra-cellular superoxide dismutase in tobacco (Nicotiana benthamiana L.), Protein Expression and Purification, 119, 2016, Pages 69-74
13 Yoshiki Miyachi, Sadao Imamura, Yukie Niwa, Decreased Skin Superoxide Dismutase Activity by a Single Exposure of Ultraviolet Radiation Is Reduced by Liposomal Superoxide Dismutase Pretreatment, Journal of Investigative Dermatology, 89, 1, 1987, 111-112
14 Kari Punnonen, Kirsi Lehtola, Pekka Autio, Urpo Kiistala, Markku Ahotupa, Chronic UVB irradiation induces superoxide dismutase activity in human epidermis in vivo, Journal of Photochemistry and Photobiology B: Biology, 30, 1, 1995, 43-48
15 Xiaochao Chen, Shutao Liu, Pingfan Rao, Jeremy Bradshaw, Richard Weller, Topical application of superoxide dismutase mediated by HIV-TAT peptide attenuates UVB-induced damages in human skin, European Journal of Pharmaceutics and Biopharmaceutics, 107, 2016, 286-294
16 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/les-cosmetiques-au-secours-de-notre-peau-quand-la-lumiere-bleue-lui-voudrait-du-mal-258/
17 https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/pour-ou-contre-la-lumiere-bleue-486/
18 Yuya Nakashima, Shigeo Ohta, Alexander M. Wolf, Blue light-induced oxidative stress in live skin, Free Radical Biology and Medicine, 108, 2017, 300-310
19 Hae-Young Kim, Shyam Kishor Sah, Sung S. Choi, Tae-Yoon Kim, Inhibitory effects of extracellular superoxide dismutase on ultraviolet B-induced melanogenesis in murine skin and melanocytes, Life Sciences, 210, 2018, 201-208
20 Lin Zhang, Yina Ma, Xiaochen Pan, Siyuan Chen, Shufang Wang, A composite hydrogel of chitosan/heparin/poly (γ-glutamic acid) loaded with superoxide dismutase for wound healing, Carbohydrate Polymers, 180, 2018, 168-174
21 Hyun Jung Lee, Bo-Mi Kim, Soojung Shin, Tae-Yoon Kim, So-Hyang Chung, Superoxide dismutase 3 attenuates experimental Th2-driven allergic conjunctivitis, Clinical Immunology, 176, 2017, 49-54
22 Kunimasa Koga, Satoshi Tachihara, Norifumi Shirasaka, Yuri Yamada, Sei-Ichi Koshimizu, Profile of non-volatiles in whisky with regard to superoxide dismutase activity, Journal of Bioscience and Bioengineering, 112, 2, 2011,154-158
23 Carla R McGill, Nancy R Green, Margaret C Meadows, Sareen S Gropper, Beta-carotene supplementation decreases leukocyte superoxide dismutase activity and serum glutathione peroxidase concentration in humans, The Journal of Nutritional Biochemistry, 14, 11, 2003, 656-662

24 http://ec.europa.eu/growth/tools-databases/cosing/index.cfm?fuseaction=search.details_v2&id=80509

Retour aux regards