Nos regards
La socio-esthétique, au fait, qu’est-ce que c’est ?

> 16 avril 2018

La socio-esthétique, au fait, qu’est-ce que c’est ?

La pratique de la socio-esthétique constitue-t-elle le plus vieux métier du monde ? Non, ce n’est pas ce que l’on a l’habitude de dire ! Pourtant, ont été accolés le mot social (qui se rapporte à une société, à un groupe d’individus, mais également aux liens établis entre les différents membres d’une société) et le mot esthétique (qui se rapporte à la beauté, à l’harmonie), ce qui nous prouve que, à la manière de Monsieur Jourdain, qui, quotidiennement, faisait de la prose sans le savoir, les femmes (et oui, hier, comme aujourd’hui, ce métier est quasiment exclusivement féminin) se sont chargées, depuis des millénaires, d’embellir leurs semblables, en respectant les canons de la beauté en vigueur, afin de leur rendre la vie plus douce, et ont enfilé, sans s’en rendre compte, la blouse de la socio-esthéticienne.

Que l’individu ait envie d’« être pareil aux autres », afin de pouvoir s’intégrer à une société qui se montre hostile à son égard ou qu’il veuille « sortir du lot par un extérieur particulier », afin d’exercer sur ses semblables un certain ascendant, pour ne pas dire un ascendant certain (« être populaire », dirait un collégien du XXIe siècle), tout le monde est mué par le même désir, celui d’être aimé, estimé, respecté. Le mot « estime de soi » est lâché !

Ah, il ne fait pas bon être velues, lorsque le poil est traqué dans ses moindres recoins. Ah, il ne fait pas bon avoir le cheveu fin ou peu ou pas de cheveux, lorsque des chevelures abondantes sont nécessaires à la beauté. Ah, il ne fait pas bon avoir la peau « plus noire qu’une mûre qui se détache de l’arbre », lorsque la mode est au teint marmoréen. Vers qui se tourner si ce n’est vers ces esclaves, parfaitement au fait de toutes les techniques visant à transcender la beauté de leurs maîtresses (C. James, Toilette d’une romaine au temps d’Auguste et cosmétiques d’une parisienne au XIXe siècle, 1865) ?

Que dire du fait d’être maigre lorsque c’est l’opulence et la générosité des formes qui tient la corde (https://theconversation.com/le-tuto-beaute-du-duc-de-saint-simon-pour-une-grace-tres-xviii-siecle-71685) ?

Si les femmes sont « à la pratique », les hommes, quant à eux, raisonnent en théoriciens. En avocat talentueux qu’il est, un certain Ovide ne perd pas une occasion de s’adresser aux hommes et aux femmes, ses élèves, afin de leur prodiguer des conseils en vue de se faire aimer ; il ne manque pas de conseiller des produits cosmétiques simples, d’odeur agréable, permettant de réaliser un maquillage naturel (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/ovide-la-star-antique-du-relooking-355/) (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/ovide-s-en-va-t-en-guerre-contre-les-cosmetiques-qui-puent-376/). Pour gagner la bataille de la beauté, il faut des armes... armes cosmétiques, si l’on en croit Ovide. Le poète Anacréon confirme cette vision belliqueuse de la beauté, en nous précisant que celle-ci « de tout bouclier tient lieu » ; « une femme qui est belle triomphe du fer et du feu » ! (Couteau C et Coiffard L. Beauté mon beau souci - Une histoire de la beauté et des cosmétiques, Edilivre, 2015, 285 pages). Les mots « arme et bouclier protecteur » sont lâchés !

De l’Antiquité à nos jours, l’histoire de la beauté n’a pas été un long fleuve tranquille. Le corps s’effile ou se dilate en fonction des souhaits du moment, le corps est emprisonné dans un corset ou libéré de toute entrave (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/-a-bas-le-corset-vive-la-creme-amincissante-281/), le teint est « blanc de blanc » ou se laisse gentiment colorer par le soleil, les sourcils disparaissent comme par magie sous la pince à épiler experte ou s’étoffent et se rejoignent à merveille d’un coup de fard à base d’œufs de fourmis, au point de constituer une ligne continue au-dessus des deux yeux. Cosmétiques à base de céruse (ingrédient toxique s’il en est, puisqu’il s’agit d’un carbonate de plomb) pour blanchir le teint, cosmétiques radioactifs pour une beauté rayonnante... l’innocuité n’est pas toujours au rendez-vous ! Le recours aux cosmétiques est, en revanche, jusqu’à un passé relativement proche, l’apanage des classes aisées qui disposent du temps suffisant pour s’y consacrer et des moyens financiers nécessaires pour parvenir à leurs fins. Si l’expression « le temps, c’est de l’argent » est connu de tous, on pourrait tout aussi bien dire « la beauté, c’est de l’argent », car pour se laver, pour entretenir sa peau, la protéger, la maquiller, la parfumer... il est indispensable d’utiliser des cosmétiques qui sont, parfois, loin d’être bon marché. Les mots « innocuité et argent » sont lâchés !

Le début du XXe siècle voit des femmes de tempérament se transformer en « hommes d’affaire » redoutables. C’est le cas de Marceline Sebalt, de Nadia Payot, d’Helena Rubinstein… qui se considèrent, les unes comme les autres, comme les premières esthéticiennes, Marceline et Nadia n’hésitant pas finalement pas à s’autoproclamer, en quelque sorte et à créer les premières écoles d’esthétique pour former les autres (https://www.regard-sur-les-cosmetiques.fr/nos-regards/avec-nadia-payot-et-marceline-sebalt-la-naissance-du-metier-d-estheticienne-580/). Ces femmes qui se sont « faites toutes seules » ont la ferme volonté de poser les bases d’un métier fort ancien. Le mot « formation » est lâché !

De l’autre côté de l’Atlantique, au tout début du XXe siècle, une jeune femme est en butte à d’autres préoccupations. Se maquiller pour pouvoir s’intégrer dans la société et pouvoir trouver aisément un travail est l’idée qui germe dans le cerveau de Lydia O’Leary qui souffre d’une tache de vin qui occupe toute sa joue gauche. Cette tache de naissance ne lui rend pas la vie facile ; trouver un emploi de vendeuse avec ce type de problème cutané est tout simplement impossible. Aucun contact avec la clientèle n’est envisageable, se fait-elle répondre ! Puisque cette tache constitue un frein à son parcours professionnel, elle doit disparaître... sous une couche de maquillage, par exemple. De cette idée va naître une société de produits de maquillage couvrants. Sans le savoir elle-même, Lydia vient d’écrire une page dans l’histoire de la socio-esthétique. L’idée de proposer aux femmes souffrant de pathologies cutanées affichantes (c’est-à-dire présentant des caractéristiques visuelles jugées inesthétiques) dans le but de faciliter leur intégration dans le monde du travail, des cosmétiques adaptés est réellement révolutionnaire. (Couteau C. et Coiffard L. Dictionnaire égoïste des cosmétiques, Edilivre, 2016, 244 pages). Le mot « maquillage-thérapeutique » est lâché !

Dans les années 1970, ce sont deux esthéticiennes, Renée Roussière et Jenny Lascar, qui investissent les services de psychiatrie afin d’y proposer, de manière bénévole, des soins habituellement pratiqués en institut. L’aventure commence pour Jenny Lascar avec la dépression qui frappe l’une de ses amies. En lui rendant visite à l’hôpital, elle ne sait pas trop comment l’aborder afin de pouvoir lui être utile. C’est la professionnelle de l’esthétique qui va trouver la réponse à la question qu’elle se pose. Afin d’apaiser son amie, c’est sur ses mains que Jenny va compter. En la maquillant et en pratiquant des soins esthétiques, elle se rend compte du bien-fondé de cette expérience. La voisine de chambre de son amie semble prostrée, elle ne dialogue jamais avec sa voisine de chambre et ne dit bonjour à personne. Pourtant un jour, une petite voix dit « Et moi ? »... Cette petite voix qui réclame un soin est la petite voix qui va déclencher chez Jenny le besoin de développer l’activité qu’elle a initiée avec son amie au sein d’un service hospitalier (http://www.ina.fr/video/CPF86630582). C’est l’hôpital psychiatrique du Vinatier à Lyon qui va ainsi faire bénéficier ses patients des premiers soins de socio-esthétique. L’histoire de Renée Roussière est assez similaire à celle de Jenny Lascar... à un détail géographique près. Son histoire à elle se déroule dans l’ouest de la France, à Tours. Les mots « empathie, abnégation et cadeau » sont lâchés !

L’idée directrice est donc désormais d’offrir des soins esthétiques aux personnes qui souffrent, de quelque manière que ce soit ; le terme « offrir » est choisi intentionnellement ici, car il s’agit effectivement de soins gratuits permettant de toucher tous les publics y compris les plus démunis.

A partir de 2010, l’idée de former, à l’Université de Nantes, des étudiantes (esthéticiennes, mais également personnel médical détenteur à minima d’un CAP d’esthétique-cosmétique et donc a fortiori d’un BP ou du BTS) à ce métier de socio-esthéticienne s’impose à nous. Il faudra attendre 2015 pour voir arriver à Nantes la première promotion d’étudiantes. Celles-ci obtiendront un DU de Socio-esthétique. L’équipe enseignante composée de pharmaciens, de médecins, de juristes, d’acteurs du milieu social et du milieu carcéral... permet de sensibiliser les étudiantes à l’ensemble des publics concernés. Pour notre part, nous insistons, tout particulièrement, sur l’importance de la connaissance des ingrédients cosmétiques, afin que la future diplômée puisse, par la suite, dans le cadre de son activité professionnelle, choisir et conseiller, en toute autonomie et indépendance d’esprit, les cosmétiques les plus adaptés aux publics visés.

En 2018, les socio-esthéticiennes sont, bien sûr, plus nombreuses qu’en 1970. Le métier reste cependant encore mal connu des différentes structures (hôpitaux et cliniques, EHPAD, associations confessionnelles ou non œuvrant auprès des plus démunis, milieu carcéral...) qui peuvent faire appel à leur expertise. La réalisation de soins socio-esthétiques passant par la gratuité du geste (les soins doivent être accessibles à tous), il convient de porter bien haut les couleurs de cette belle profession, afin que les mécènes, bien souvent, encore trop frileux, jettent avec passion une multitude de gouttes d’eau dans cet océan de souffrance !

Si l’on remet bout à bout les mots-clés lâchés au fil de ce Regard, on aura compris l’état d’esprit et les missions d’une socio-esthéticienne ayant reçue une formation adéquate. Grâce à l’empathie dont elle capable de faire preuve et à son abnégation, la socio-esthéticienne offre en cadeau à son interlocuteur, des armes, un véritable bouclier protecteur, pour conserver intacte l’estime de soi ou la restaurer. Sans bourse délier, et ce, grâce à un mécénat, la personne en attente de soins esthétiques, recevra des conseils afin d’utiliser les produits les plus adaptés à son état et les moins susceptibles de lui nuire ; elle pourra recevoir également des soins ou être formée au maquillage thérapeutique.

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