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La rosacée : un nom plein de promesses pour une affection dermatologique bien désagréable

> 01 février 2018

La rosacée : un nom plein de promesses pour une affection dermatologique bien désagréable Retrouvée également sous les noms plus anciens d’acné rosacée ou de couperose, la rosacée qui se rapporte en latin « aux roses » est une dermatose chronique inflammatoire qui touche, selon les auteurs, entre 1 et 10% de la population mondiale. Les femmes à peau claire sont préférentiellement touchées (Alexander Egeberg, Messoud Ashina, David Gaist, Gunnar H. Gislason, Jacob P. Thyssen, Prevalence and risk of migraine in patients with rosacea: A population-based cohort study, Journal of the American Academy of Dermatology, 76, 3, 2017, 454-458).

Les signes cliniques peuvent être à type de flush (rougeur transitoire du visage), d’érythème persistant, de télangiectasies, de papules et de pustules. Il existe différents types de rosacée. On distinguera 3 sous-types selon les symptômes observés : érythème et télangiectasies, papules et pustules, syndrome hypertrophique (rhinophyma). Des cas de rosacée oculaire sont également à déplorer.

La pathogenèse est compliquée et encore mal connue. Les éléments mis en cause le plus fréquemment sont une modification de la flore cutanée, une exacerbation du système immunitaire cutané et une hyperactivité vasculaire. Les altérations cellulaires occasionnées par le soleil sont également mises en cause.

Nous nous proposons de nous intéresser, aujourd’hui, à la rosacée au travers de sept points qui touchent aussi bien la physiopathologie que la prise en charge thérapeutique et/ou cosmétique de cette pathologie.

Rosacée et acariens. Depuis 1961, un acarien, le demodex est mis en cause dans le développement de cette pathologie. Une méta-analyse réalisée en 2017 par deux chercheurs taïwanais corrobore cela. Il apparaît que la densité de la population de demodex retrouvés au niveau cutané est plus importante chez un sujet atteint de rosacée erythémato/télangectasique et chez un sujet atteint de rosacée papulo-pustuleuse que dans la population témoin ne souffrant pas de cette pathologie (Yin-Shuo Chang, Yu-Chen Huang, Role of Demodex mite infestation in rosacea: A systematic review and meta-analysis, Journal of the American Academy of Dermatology, 77, 3, 2017, 441-447.e6). Le demodex, ce parasite d’une longueur moyenne de 0,3 mm, est présent chez tous les individus, avec une densité inférieure à 5 individus par centimètre carré. En cas de rosacée, cette valeur peut être quintuplée (Fabienne Forton, Marie-Anne Germaux, Thierry Brasseur, Anne De Liever, Bruno Seys Demodicosis and rosacea: Epidemiology and significance in daily dermatologic practice, Journal of the American Academy of Dermatology, 52, 1, 2005, 74-87). Demodex follicularum est hébergé par l’Homme, comme son nom l’indique, au niveau des infundibula pilaires. Demodex brevis, quant à lui, est retrouvé, dans un environnement lipophile, au niveau des pores sébacés et des glandes de meibomius (Chao-Kai Hsu, Mark Ming-Long Hsu, Julia Yu-Yun Lee, Demodicosis: A clinicopathological study, Journal of the American Academy of Dermatology, 60, 3, 2009, 453-462).

Rosacée, rougeur du visage et alcoolisme. Si des idées fausses circulent sur le sujet (en effet, on pourrait croire que les sujets atteints de rhinophyma sont des sujets qui présentent une addiction à l’alcool), on notera, toutefois, que la consommation d’alcool augmente le risque de développer ce type de pathologie. On considère ainsi que le risque est de 1,12 pour un sujet qui consomme 1,4 g d’alcool par jour, sujet que nous qualifierons d’amateur d’alcool hautement dilué (rappelons qu’une unité d’alcool correspond à un verre standard et à 10 g d’alcool pur) (http://inpes.santepubliquefrance.fr/CFESBases/catalogue/pdf/861.pdf) et de 1,53 pour un sujet qui consomme plus de 30 g d’alcool par jour. Vins blancs et liqueurs sont les plus impliqués (Suyun Li, Eunyoung Cho, Aaron M. Drucker, Abrar A. Qureshi, Wen-Qing Li, Alcohol intake and risk of rosacea in US women, Journal of the American Academy of Dermatology, 76, 6, 2017, 1061-1067.e2).

Rosacée et migraine. Il existerait un lien entre rosacée oculaire et migraine. Dans une population ne souffrant pas de rosacée la prévalence est de 7,3 % ; elle passe à 12,1 % chez les patients atteints de rosacée (toutes formes confondues). En cas de rosacée oculaire, la prévalence augmente de manière considérable, puisqu’elle est de 69% (Alexander Egeberg, Messoud Ashina, David Gaist, Gunnar H. Gislason, Jacob P. Thyssen, Prevalence and risk of migraine in patients with rosacea: A population-based cohort study, Journal of the American Academy of Dermatology, 76, 3, 2017, 454-458).

Rosacée et troubles gastriques. Helicobacter pylori est une bactérie impliquée dans le développement d’ulcères gastriques et d’affections gastriques chroniques. Les avis sont contrastés concernant son implication dans la survenue de crises de rosacée. Lors du traitement antibiotique mis en place pour traiter cette pathologie, on constate une réduction des signes cliniques de la rosacée. Ceci peut s’expliquer par le fait que cette bactérie peut entraîner la libération de médiateurs de l’inflammation et de molécules vasodilatatrices (histamine, prostaglandines, leucotriènes, cytokines) (Yalçın Tüzün, Ronni Wolf, Zekayi Kutlubay, Özge Karakuş, Burhan Engin, Rosacea and rhinophyma, Clinics in Dermatology, 32, Issue 1, 2014, 35-46).

Rosacée et troubles psychiques. Comme toute dermatose se traduisant par des signes cutanés visibles, parfois même très visibles, la rosacée entraîne une souffrance profonde. La peau est douloureuse, les traitements parfois peu ou pas efficaces, le patient voit sa qualité de vie drastiquement altérée. « Cela me tue littéralement », « J’ai tout essayé, il n’y a rien à faire » sont des phrases qui sont prononcées quotidiennement par des patients qui sont obligés de modifier leurs habitudes alimentaires, de modifier leur mode de vie pour faire face à une pathologie qui peut être très invalidante (Leah A. Cardwell, Michael E. Farhangian, Hossein Alinia, Sandy Kuo, Steve R. Feldman Psychological disorders associated with rosacea: Analysis of unscripted comments, Journal of Dermatology & Dermatologic Surgery, 19, 2, 2015, 99-103). La dépression est-elle la conséquence ou le facteur déclenchant de la rosacée ? Il est difficile de répondre à une telle question.

Rosacée et tabac. Les résultats à ce sujet sont assez difficiles à analyser et prêtent à sourire. Un fumeur « en activité » présente un risque moins élevé de développer une rosacée qu’un non-fumeur. En revanche, un ex-fumeur présente un risque plus élevé que ce non-fumeur (Jerry Tan, Mats Berg, Rosacea: Current state of epidemiology, Journal of the American Academy of Dermatology, 69, 6, 1, 2013, s27-s35). On en arriverait à penser qu’il est bon de fumer, que l’on ne doit surtout pas s’arrêter au risque de développer certains troubles tels que la rosacée !

Rosacée et prise en charge thérapeutique. Il n’existe pas un seul et unique traitement de la rosacée. Différentes pistes sont explorées. Dans le cas des rosacées papulo-pustuleuses, le métronidazole est couramment prescrit. Il est administré par voie topique ou par voie orale selon le cas. Il peut être associé à de l’acide azélaïque, un principe actif à activité antimicrobienne qui intervient en outre dans le processus de kératinisation. On le trouvera présenté sous forme de gel (dosage à 15%) ou de crème (dosée à 20%). L’ivermectine, un acaricide (forme topique dosée à 1%) a pour but de réduire la densité cutanée en Demodex follicularum ou D. brevis particulièrement importante chez certains sujets. Le crotamiton, un principe actif antiprurigineux (forme topique dosée à 10%), est également utilisé de manière empirique. On lui reconnaît des propriétés anti-parasitaires (gale, poux) associées à un effet anti-prurigineux (V Gallais, C Brue, MA Izri, O Chosidow, Ectoparasitoses (poux et gale), Journal de Pédiatrie et de Puériculture, 10, 1, 1997, 44-49). Crotamiton et ivermectine sont des principes actifs irritants et, de ce fait, assez mal tolérés par les patients. Le tartrate de brominidine peut être envisagé en application locale (gel dosé à 0,5% en principe actif) dans le cas des rosacées érythémateuses. Il s’agit d’un agoniste des récepteurs alpha2 adrénergiques. Cet effet se traduit par un effet vasoconstricteur au niveau des vaisseaux cutanés avec réduction de la rougeur du visage chez 60 à 70% des patients. Les rosacées inflammatoires seront prises en charge à l’aide d’un traitement systémique. Les tétracyclines de seconde génération (doxycycline et minocycline) présentent moins d’effets indésirables que les molécules de première génération. Elles doivent être prescrites le plus rapidement possible si l’on souhaite arrêter la progression du rhinophyma. Toutefois, l’efficacité des tétracyclines n’est pas clairement démontrée. Il est inutile d’avoir recours à des doses élevées de principe actif. En effet, l’effet anti-inflammatoire des tétracyclines s’exercent à des doses inférieures à celles nécessaires pour bénéficier d’un effet bactéricide. Le mode d’action mis en avant est une réduction de l’activité de la kallicréine, une enzyme capable de transformer des molécules pro-inflammatoires (les procathélicidines) en médiateurs de l’inflammation (cathélicidine). Enfin, les bêta-bloquants (propranolol, carvedilol), en diminuant l’activité du système nerveux sympathique, permettent de réduire les flushs, en particulier chez les sujets anxieux. L’effet vasoconstricteur est couplé à une diminution de l’état d’anxiété et de la tachycardie, ce qui est intéressant dans la mesure où ces symptômes alimentent la fréquence des flushs (Alison M. Layton, Pharmacologic treatments for rosacea, Clinics in Dermatology, 35, 2, 2017, 207-212).

Rosacée et apport des cosmétiques selon Zoé Draelos. Cette dernière est une dermatologue qui vit en Caroline du Nord et qui est très active dans le domaine de la prise en charge d’un certain nombre de dermatoses à l’aide de cosmétiques et plus précisément de cosméceutiques. Rappelons que ce terme, inventé dans les années 1960 par Raymond Reed, n’a pas plus de fondement réglementaire aux Etats-Unis que son cousin le dermocosmétique n’en possède en Europe. Zoe Draelos conseille l’utilisation d’un produit nettoyant adapté au type de peau du patient. Le sujet à peau grasse se verra conseiller un savon (un vrai à pH alcalin), le sujet à peau normale un syndet et le sujet à peau sèche un produit nettoyant exempt de corps gras. Le nettoyage se fait à la main et un rinçage abondant est fortement conseillé, en ayant soin de ne pas utiliser une eau trop chaude ou trop froide. Une serviette douce permettra de sécher la peau. Une crème hydratante sera ensuite appliquée, afin de recréer la fonction barrière, bien souvent déficiente. On évitera les produits hydratants formulés à base d’huiles végétales (huile de coco, d’olive, de chanvre, d’argan, de tournesol…) dans la mesure où ces huiles sont favorables au développement microbien. On préférera les huiles de synthèse telles que les silicones qui, outre un confort d’application indéniable, ne favorisent pas le développement microbien. Les substances comédogènes seront évitées. L’hydratant par excellence comportera des dérivés de la chimie des pétroles (paraffine solide et paraffine liquide), des silicones et de la glycérine. Des filtres solaires pourront être ajoutés de façon à atteindre un SPF de 30 ou plus. Les patients atteints de rosacée répugnent, selon le Dr Draelos, à utiliser des produits de protection solaire qui ont un aspect collant d’une part et qui procurent une sensation de chaleur du fait de la présence de filtres organiques. Pour cette raison, elle recommande les produits à base de filtres inorganiques, soit le dioxyde de titane ou l’oxyde de zinc, avec une préférence marquée pour l’oxyde de zinc. Pour masquer les lésions de rosacée, on pourra avoir recours à des produits de maquillage couvrants. Enfin, Zoe Draelos évoque la possibilité d’incorporer des actifs d’origine végétale à propriétés anti-inflammatoires dans les crèmes hydratantes destinées aux patients atteints de rosacée. Thé vert, aloe vera, allantoïne, matricaire, réglisse sont proposés afin de réduire les signes de l’inflammation (Zoe Diana Draelos, Cosmeceuticals for rosacea, Clinics in Dermatology, 35, 2, 2017, 213-217).

Rosacée et prise en charge cosmétique, selon nous. Des avis divergents. Pour notre part, nous ne cautionnons pas la classification adoptée par Zoe Draelos en matière de nettoyage de la peau. Le savon, produit d’hygiène irritant, ne conviendra certainement pas à une personne atteinte de rosacée et ce quel que soit son type de peau. On préférera un syndet, un gel lavant doux, une eau micellaire (ne contenant pas d’ingrédients irritants), ou une eau thermale (eau possédant des propriétés adoucissantes). La peau nettoyée sera ensuite protégée à l’aide d’une crème-barrière. On rejettera les formules les plus occlusives, c’est-à-dire celles qui renferment des huiles végétales et/ou des dérivés de la chimie des pétroles. Des formules courtes, dont la liste des ingrédients aura été soigneusement étudiée, seront privilégiées. En ce qui concerne la protection solaire, celle-ci est, bien sûr, indispensable en cas d’exposition solaire. Cette lapalissade peut surprendre, mais doit être réaffirmée une fois de plus. Un produit hydratant que l’on utilise tous les jours ne doit pas comporter de filtres UV. En revanche, si l’on souhaite être protégé à un niveau élevé, il faut choisir un produit de protection solaire renfermant des mélanges de filtres utilisés à fort pourcentage. L’emploi du seul et unique oxyde de zinc ne procurera pas un niveau de protection élevé. On choisira une forme galénique légère qui sera bien tolérée par le patient. On sera vigilant quant à l’absence d’alcool dans les cosmétiques destinés à cette peau ultra-sensible. Enfin dans le cas des rosacées papulo-pustuleuses très affichantes, on conseillera le recours à un maquillage correcteur. Pour camoufler les lésions rouges, on pourra utiliser des produits contenant un colorant vert. Le vert étant la couleur complémentaire du rouge, les lésions érythémateuses apparaîtront atténuées. Le colorant vert peut être appliqué sur la peau à l’aide d’un crayon ou d’un stick (pour les petites lésions) ou bien à l’aide d’une poudre compacte ou d’une crème (lésions plus étendues).

En résumé, la rosacée est une dermatose qui peut, selon le cas, passer quasiment inaperçue ou bien au contraire être extrêmement invalidante. Sans jamais se substituer au traitement médicamenteux, le cosmétique aura pour mission de faciliter la vie quotidienne des patients lors des gestes d’hygiène, d’hydratation ou de maquillage.



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